lundi 24 décembre 2012

Noël 212

Noël 2012




Joyeux Noël !

Pardon ! Vous parlez de quel Noël ? De quel Noël s’agit-il ?



Il y a celui qui a commencé déjà au début de novembre. On le nomme plutôt maintenant avec une certaine pudeur « les fêtes ». Alors, comme on dit : « Bonnes fêtes ». Avec des vitrines scintillantes, des propositions de réveillon bien gavé et bien arrosé, une débauche de consommation. Et quelques cadeaux évidemment, tantôt pour faire plaisir –et c’est très louable-, tantôt pour apaiser sa conscience, et c’est moins avouable.



Et puis à l’autre bout de la société, il y a ces Noëls dont j’entends dire : « Je n’aime pas ces fêtes. Vivement que ce soit passé ! » A cause des fatigues, à cause des solitudes, à cause des épreuves de santé, à cause des souvenirs pas toujours très festifs.



Et au milieu, entre deux, qu’est-ce qu’il y a ? Ce qu’on appelle « les fêtes de famille ». Quand on fait une enquête, les gens répondent surtout : « Noël, c’est une fête de famille ». Et c’est chaleureux. On s’aime davantage, on se rencontre plus. C’est beau !



Sauf qu’il ne faudrait pas oublier une certaine famille sans laquelle il n’y aurait jamais eu de Noël, ni il y a deux mille ans ni aujourd’hui. Oui, il y a bien une famille à l’origine de tout cela. Permettez-vous qu’elle se glisse discrètement entre le sapin illuminé, les cadeaux petits ou grands, les guirlandes et les menus de fêtes ? Et même au milieu des chants traditionnels, les vôtres.

Une famille. Plusieurs familles.

La première est éternelle. Donc toujours d’actualité. C’est la famille trinitaire, là où tout a commencé. Car Dieu est communion, parce qu’il est Amour, dans le bonheur du Père, du Fils et du Saint Esprit. Avec une précision importante : Dieu n’est pas du genre super-égoïste puisqu’il est justement Amour, il n’est que Amour. Il est amour à communiquer, à partager, à donner en cadeau, à se donner lui-même. En cadeau à nous, pour nous.



Et nous voilà à Bethléem, précisément pour Noël. Oui, « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a envoyé son fils unique » en la personne de Jésus de Nazareth. Tout cela peut sembler fou à des esprits qui ne perçoivent pas jusqu’où peut aller l’amour quand c’est Dieu qui aime.

Aimer, n’est-ce pas rejoindre l’autre là où il est, si bas qu’il soit ? N’est-ce pas se mettre à la place de l’autre pour lui montrer et lui démontrer cet amour ? Y compris, s’il le faut, pour le sauver ?



C’est ce que Dieu a fait à travers une famille toute simple, car Dieu ne pouvait que prendre la dernière place pour relever les plus petits, les derniers, les exclus de toutes sortes. Et cette famille est là devant nous dans la prodigieuse imagerie de Noël sous toutes ses formes : une femme, « petite servante du Seigneur », un homme juste et droit, tout de travail, de silence, de prière et de dévouement, Joseph.

Et surtout le petit, le bébé, l’enfant : le fils de Marie et le fils de Dieu, la rencontre parfaite dans la fragilité de la chair, entre l’humanité commune et la divinité pleinement offerte.





Tout le reste, en forme de poésie, de musique, de chant : vous l’exprimez mieux que je ne saurais le dire avec des paroles. La beauté est plus proche du mystère que tous les mots pour le dire. Les anges nous le rappellent avec leur présence de troubadours de l’évangile. Les bergers -les premiers invités à la fête du ciel et de la terre- sont là pour nous le répéter : les pauvres auront toujours la priorité dans le cœur et la vie du nouveau-né de Noël.



Noël ! Mais attention : Noël peut aussi être un piège. Il peut nous scotcher au passé sous des images romantiques, des airs pastoraux, des souvenirs sentimentaux. Tout le monde aime Noël, même les chrétiens plus ou moins détachés de la foi, même les incroyants les plus convaincus. Qui ne célèbre pas cette fête, d’une manière ou d’une autre ? Noël se serait-il réfugié, pour survivre, dans le registre de la nostalgie religieuse ?



Cette nuit, avec l’Eglise, je vous invite à conjuguer Noël au présent, au présent de Dieu, dans l’actualité du Christ, dans l’aujourd’hui de nos vies.

Plusieurs moyens sont à notre disposition.

Il y a cette Parole que le Verbe de Dieu ne cesse de nous adresser à travers la Bible, surtout dans les liturgies, quand Jésus est encore servi aux bergers que nous sommes, dans une crèche de simplicité et de beauté.

Il y a aussi tous les pauvres de notre monde –et qui peut dire qu’il n’est pas parmi ceux-là, au moins à certains moments de son aventure humaine ? Le petit pauvre de Bethléem n’a-t-il pas dit un jour : « Tout ce que vous faites –ou pas- à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites… ou pas » ? Alors là, surtout dans notre monde actuel, les possibilités de communion concrète sont vraiment infinies, sous les espèces de l’amour partagé, y compris avec celles et ceux qui ne sont peut-être pas aimables. Car quand on aime un peu comme Dieu, on ne compte pas, puisqu’il est le dernier en calcul parce qu’il est le premier en amour.



Et puis il y a le Noël suprême, pas seulement cette nuit, mais tous les dimanches, et même tous les jours, si nous en avons l’appétit : l’eucharistie, à savoir Jésus en personne enveloppé non plus de langes, comme à la crèche, mais enrobé de pain quotidien: « Prenez, mangez, c’est moi, c’est mon corps donné pour vous et pour la multitude.

Oui, le corps qui a grandi dans le sein de Marie durant 9 mois, le corps présenté aux regards étonnés et émerveillés des bergers de Bethléem, le corps qui fut en croix pour embrasser le monde entier et le serrer sur le cœur du Père dans un baiser de miséricorde.

Et le corps du vivant au matin de Pâques, avec des rayons de gloire jaillissant de ses plaies encore ouvertes pour nous montrer la victoire de l’amour sur tout mal, de la vie sur la mort, de l’espérance sur le non-sens.



Noël, ce fut la crèche. Maintenant, c’est la messe. Et tout ce qui va avec.

Et nous, sommes-nous avec ?



Claude Ducarroz

samedi 22 décembre 2012

Homélie du 4ème dimanche de l'Avent

Quatrième dimanche de l’Avent

Alors, tout va bien ? Tout va mieux ? Vous avez passé sans encombre la fin du monde prévue pour le 21 décembre dernier ? Vos héritiers sont contents. Vous aviez rectifié généreusement votre testament, n’est-ce pas ? J’espère que vous n’avez pas oublié la pauvre Eglise catholique romaine de Genève !

Eh ! bien la liturgie de ce jour nous invite -heureusement- à passer à des choses plus sérieuses. Le savez-vous ? Noël est bientôt là. Il frappe à notre porte. C’est demain soir, la nuit de lumière ; c’est après-demain la grande fête.

Aujourd’hui l’Eglise nous propose de faire trois voyages, des pèlerinages de préparation et de proximité avec le mystère qui va bientôt éclater aux yeux de notre foi dans la nuit de Noël.

A dire vrai, le premier voyage nous échappe, et pourtant il est fondateur, et en plus accompli à cause de nous, ou plutôt en notre entière faveur. C’est un déplacement uniquement motivé par le plus grand amour. L’épître aux Hébreux essaie de nous le décrire, cet itinéraire qui vit Dieu lui-même descendre sur notre terre afin de nous rejoindre ici-bas, là où nous sommes.

Une phrase résume cette extraordinaire entrée du fils de Dieu dans notre monde en un corps: « Me voici, mon Dieu, je suis venu pour faire ta volonté. » Dieu est devenu un pèlerin humain parmi nous, il est venu chez les siens, il a planté sa tente au milieu de nous en commençant son aventure par le sein visité d’une vierge d’Israël. Marie répondit : « Qu’il me soit fait selon ta parole ! » Premier voyage réussi !

Aussitôt commence un deuxième voyage. Enceinte de Dieu, Marie ne tient pas en place. Elle se met en route rapidement à travers les montagnes. Il lui faut partager son secret dans un geste d’amour, dans une démarche de solidarité.
Quand Dieu a investi un cœur et un corps humains, il déplace, il fait bouger, il met en chemin. Quand on laisse Dieu travailler en nous, il nous envoie vers les autres, tout près ou au loin, comme Marie vers Elisabeth. Plus qu’une visite : une visitation.

Qu’est-ce à dire ? Jésus est encore tout petit dans le ventre de sa mère. Il est invisible aux yeux de chair, mais ceux de la foi aperçoivent déjà la merveille. Le divin anonyme est déjà à l’ouvrage. Il remue dans le sein de Marie et provoque un remue-ménage spirituel autour de lui. Jean-Baptiste, lui aussi encore infime, en est tout tressaillant de joie. Et sa mère Elisabeth en est toute transformée. Elle est revêtue d’une foi nouvelle, elle qui, la première, salue Marie entre toutes les femmes en affirmant qu’elle est « la mère du Seigneur. »

 Et puis c’est la fête de l’Esprit Saint, en cette vieille femme qui crie d’une voix forte la première béatitude de l’Evangile : « Heureuse celle qui a cru en l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » Cette visite est devenue une visitation, comme toutes celles que nous accomplissons quand l’amour nous inspire et que la foi nous éclaire, notamment à l’approche de Noël.

Il reste le troisième voyage. Il nous est suggéré par la première lecture quand le prophète Michée nous parle de Bethléem, « le plus petit des clans de Judas, là où enfantera celle qui doit enfanter. »
A la veille de l’heureux évènement, nous sommes en marche vers le berceau ou plutôt la crèche des petits pauvres qui ne trouveront pas de place à l’hôtellerie. Nous sommes avec Marie, mais aussi avec Joseph, qu’il ne faut jamais oublier

Le voyage imprévu d’un couple forcé de quitter sa maison pour obéir aux ordres de l’autorité supérieure, avec une femme enceinte, des appréhensions plein le cœur et des questions plein l’esprit. Avec eux, si nous voulons bien les accompagner, nous prions avec les psaumes et les mots de la bible. Avec eux, nous partageons le destin des déplacés, réfugiés, sans logis, SDF de toutes sortes à travers le monde. Avec eux, nous nous préparons à accueillir auprès de Jésus tous les bergers de la terre, les femmes et les hommes les plus simples, ces pauvres de cœur dont le Christ dira qu’ils sont heureux, les préférés du Père.

Frères et sœurs, tout à l’heure nous allons aussi nous mettre en route, faire un bout de chemin jusqu’à la table eucharistique en nous insérant humblement dans l’Eglise en pèlerinage vers son Sauveur.
En un seul périple, nous allons revivre symboliquement une marche à l’étoile, un rendez-vous avec la lumière du monde.
Au cœur, nous porterons toute l’espérance d’Israël et aussi les espoirs de toute l’humanité en quête de salut, quelle que soit la religion des croyants et des priants de cette terre. 

Un peu comme Marie, dans la communion au Christ, nous serons habités par une présence réelle, mais discrète, presque cachée, puisque le Sauveur viendra à nous sous la forme la plus humble : un morceau de pain.

Enfin, notamment grâce au sacrement de la réconciliation, Dieu aura lui-même préparé la place dans la crèche de notre cœur pour l’accueil du divin Pasteur, celui qui se plaît parmi les petits bergers de ce monde, pas parfaits certes, mais recommandables par leur foi sincère et leur amour en voie de réchauffement.

Et l’enfant-eucharistie -le chemin, la vérité et la vie- tressaillira en nous en faisant de notre visite sa visitation.
Amen !

                                               Claude Ducarroz

dimanche 16 décembre 2012

Homélie 3ème dimanche de l'Avent

Homélie du 3ème dimanche de l’Avent




Alors, qu’est-ce que vous préférez ? Le 21 ou le 25 ? Non, ce n’est pas le numéro gagnant du loto. Comme vous le savez tous : le 21 décembre, c’est la fin du monde. Et le 25, c’est Noël. Donc plus que 5 jours, et vous saurez tout. Mais je vous préviens : si c’est la fin du monde le 21, vous ne pourrez pas fêter Noël cette année.

Pour sa part, la liturgie de dimanche a choisi : c’est le numéro 25, c’est la joie et non pas l’angoisse, c’est la fête et non pas la ruine. C’est Noël !



Le ton est déjà donné par la première lecture tirée du prophète Sophonie : « Pousse des cris de joie, fille de Sion… Tressaille d’allégresse, fille de Jérusalem ! » L’apôtre Paul lui répond en écho : « Frères, laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie ! » Même l’austère Jean Baptiste en rajoute dans l’évangile puisqu’il est dit « qu’il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle. »



De la joie qui dégouline de partout, des ovations et de la danse, la fête sur tous les tons : on se dirait à Genève pour l’escalade, ou dans nos rues commerçantes durant le mois de décembre.



Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ? Rassurez-vous ! je ne veux pas jouer au rabat-joie. Nos cités sont pleines de lumière et de poésie à l’occasion de ce qu’on appelle pudiquement « les fêtes ». Je me réjouis que des lumières scintillantes habillent nos rues enneigées. Je sais aussi que les cœurs s’attendrissent à la faveur de l’actuelle saison. Pour un temps du moins, nous devenons meilleurs, et c’est tant mieux.



Et pourtant ce qu’évoque la liturgie de ce dimanche, c’est encore autre chose, tellement plus profond, plus durable, plus essentiel. Quelle est la bonne adresse de cette joie ? « Le Seigneur est en toi. Tu n’as plus à craindre le malheur. Car il te renouvelle par son amour », avertit Sophonie. Et saint Paul ajoute une précision : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur… Car le Seigneur est proche. »

Sans être ennemi des plaisirs qui nous font du bien, sans cracher sur nos joies humaines -grandes ou petites-, l’évangile nous promet encore une autre joie, celle qui a éclaté justement à Noël, pour les anges et les hommes, pour les bergers et les mages : la joie dont Jésus nous dira que rien ni personne ne peut nous l’enlever.



Dieu est joie, justement parce qu’il est Amour majuscule dans la fête éternelle de la Trinité. Quand on n’est qu’amour, on est forcément allégresse infinie, bonheur parfait.

Mais ce sublime trésor intérieur, Dieu ne saurait le garder pour lui seul. Sinon, il serait un divin égoïste, le contraire de Dieu-Amour. Noël, c’est la révélation suprême du vrai visage du vrai Dieu : il est don, générosité, partage, cadeau universel. Tellement tout cela qu’il devient l’un de nous pour nous le montrer et le démontrer. « Dieu a tellement aimé le monde –autrement dit nous, chacun de nous et tous- qu’il a envoyé son fils unique ». Alors se réalise vraiment la promesse du prophète : « Ne crains pas, Sion ! Le Seigneur ton Dieu est en toi, c’est lui le héros qui apporte le salut. »



Nous expérimentons cela quand nous retrouvons en nous cette source de divine joie, la fontaine de la fête intérieure. Cette allégresse est là, comme un présent sans cesse offert, quand nous écoutons en nous le murmure de la parole de Dieu, quand nous descendons en nous par la prière, quand nous ouvrons en nous un peu d’espace au silence, quand nous communions savoureusement au corps du Seigneur dans l’eucharistie.

Il y a en chacun de nous un puits de vie et de joie inaltérables, et si souvent nous l’oublions par superficialité. Assoiffés, nous passons à côté de l’eau vive sans nous arrêter. Affamés, nous cherchons le pain loin du vrai boulanger.



Mais heureusement, rien n’est perdu. Nous sommes un peu comme ces foules qui venaient auprès de Jean-Baptiste en lui demandant : « Que devons-nous faire ? » Ne sommes –nous pas, nous aussi, ce peuple en attente, dans un désert spirituel, même si nous sommes submergés par les fastes de la société de consommation et drogués par les frasques des minables plaisirs tristes.

Jean-Baptiste nous ramène au centre, à l’essentiel, là où la joie des uns fait le bonheur des autres, là où les signes de la présence de Dieu ne trompent pas.



Tout commence par l’accueil de celui qui vient nous « baptiser dans l’Esprit Saint et dans le feu », celui qui non seulement apporte avec lui une Bonne Nouvelle, mais celui qui est cette Bonne Nouvelle en personne : Jésus de Nazareth, le fils de Dieu et le fils de Marie.

Et puis une telle fréquentation du Christ change la vie, la nôtre et celle de toute l’humanité. C’est du gagné pour tous. Encore faut-il aller jusque là dans le témoignage pour et avec Jésus, quitte à remettre en question beaucoup de choses en nous et dans le monde.

Vous l’avez entendu : partager ses vêtements avec ceux qui n’en ont pas, donner à manger à ceux qui ont faim. Oui, pratiquer la justice économique et financière, refuser la violence -militaire ou autre- pour préférer la douceur de la paix. Et finalement mener une vie saine et sobre au lieu de nous laisser aller à tous les excès que nous proposent et parfois nous imposent les publicités de pacotille.



Alors, oui, nous serons, non seulement des bénéficiaires heureux, mais aussi des témoins joyeux de la Bonne Nouvelle, celle de Jésus, le Jésus de Noël et de Pâques.

Amen.



Claude Ducarroz

samedi 8 décembre 2012

Deuxième dimanche de l'Avent

Homélie du deuxième dimanche de l’Avent




Alors, qu’est-ce que vous préférez ? Le 21 ou le 25 ? Non, ce n’est pas le numéro gagnant au loto. Comme vous le savez tous : le 21 décembre, c’est la fin du monde. Et le 25, c’est Noël.

Vous avez donc le choix. Mais je vous préviens : si c’est la fin du monde le 21, vous ne pourrez pas fêter Noël cette année.



Dans l’évangile de ce dimanche, Jean-Baptiste a fait son choix, vous l’avez entendu : « Tout homme verra le salut de Dieu ». Et ça, c’est plutôt Noël ! Je pars donc du principe que, vous aussi, avec toute l’Eglise, vous avez opéré le bon choix. C’est le temps de l’Avent, nous allons vers Noël. N’allez pas vous précipiter chez un notaire pour peaufiner votre testament. Il y a mieux à faire : recevoir un baptême de conversion au bord du Jourdain pour le pardon de nos péchés.



Il reste que cette fête de Noël demeure un peu bizarre. Il y a plusieurs façons de la célébrer et donc de la préparer.

Noël est une fête de mémoire qui nous rappelle un évènement passé et d’une certaine manière dépassé. Car Jésus a bien grandi depuis lors. Le petit Jésus dans sa crèche, avec les bergers dans les champs et les anges dans nos campagnes, c’est fini. Ce fut une fois.

Aujourd’hui le Messie est ailleurs ou plutôt autrement.



L’Avent peut être une période de douce nostalgie qui ranime surtout les souvenirs romantiques de l’enfance perdue. Ce n’est pas mauvais, ça fait chaud au cœur, surtout si on peut le vivre dans un esprit de partage et d’amour.



D’ailleurs la société des commerces s’y entend pour nous scotcher à cette image d’un évènement savoureux et même un peu sirupeux, avec de moins en moins d’eau bénite sur les réveillons et de plus en plus de consommation païenne.



Or l’Avent du vrai Noël, c’est autre chose. Car Noël, pour les chrétiens, si c’est une pieuse mémoire, c’est surtout la communion actuelle avec un Vivant et une immense espérance source de joie, et non pas de peur.



L’Avent, c’est s’habiller le cœur des espérances d’Israël, refaire avec le peuple de Dieu le difficile parcours vers le Messie à venir ; c’est entrer dans le pèlerinage d’une Eglise toujours en marche, c’est devenir des nomades de l’Evangile. Et réentendre le cri du prophète : « Debout, Jérusalem, et tiens-toi sur la hauteur ! Vois tes enfants rassemblés du levant au couchant par la parole du Dieu saint. » Et notre prière se fait désir, attente, veille. La spiritualité des marcheurs du salut.



L’Avent, c’est savoir que ce salut est venu jusqu’à nous dans la personne de Jésus de Nazareth, le fils de Dieu né d’une femme, le verbe fait chair. C’est tellement autre chose que des souvenirs, fussent-ils religieux. C’est la certitude que ce monde, tel qu’il est, est aimé par Dieu, qu’à toute l’humanité est offert le salut.



Parce que l’enfant de Noël est monté sur la croix par amour, parce que le crucifié est ressuscité le matin de Pâques, parce notre frère aîné Jésus prie pour nous en nous attendant dans la maison de son Père et notre Père, parce que son Esprit nous accompagne sur les routes tortueuses, et parfois vertigineuses, de notre histoire et de nos histoires.



Pour une part, c’est vrai, ce qui a commencé à Noël, est encore devant nous. Il y a une mémoire, il y a surtout une espérance. Notre humanité est enceinte de Dieu, car la révélation plénière est encore à venir. Nous attendons le Royaume de Dieu, le retour du Christ glorieux, la pleine rédemption de nos personnes, y compris avec notre dimension corporelle. Pas une fin, mais une éclosion, un accomplissement, une moisson.



L’Avent nous donne à la fois la certitude que tout est désormais accompli par le Christ et en lui. Il nous invite en même temps à nous tourner résolument vers l’avenir de Dieu en nous et dans le monde, sur les ailes de la promesse de salut inauguré à Noël, démontré sur la croix et scellé au matin de Pâques.



Vous avez entendu : « Jérusalem, quitte ta robe de tristesse et de misère, et revêts la parure de la gloire de Dieu pour toujours, et enveloppe-toi dans le manteau de sa justice. Mets sur ta tête le diadème de la gloire de l’éternel. » Car, nous dit l’apôtre Paul, « Dieu qui a si bien commencé chez vous son travail le continuera jusqu’à son achèvement au jour où reviendra le Christ Jésus ».



Alors, vous hésitez encore ? Choisissez le 25 et non pas le 21. Et dans quelques instants, regardez sur l’autel et bientôt dans votre main : notre passé, notre présent et notre avenir seront là, dans l’humble crèche de votre main, dans le berceau de votre cœur : le Christ du pain de vie qui promet la vie éternelle. Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.



What else ?

Claude Ducarroz





500 ans du Chapitre cathédral

Le grand merci




« Magnificat ! » Mon âme exalte le Seigneur !



La liturgie de ce jour donne la main à notre fête pour nous fournir les meilleurs mots de la reconnaissance. Et deux vitraux inspirés par le cantique de Marie amplifient encore le chant de notre joie. Le premier est tout en couleurs de gloire, celui d’Alfred Manessier, enfin visible de jour depuis une semaine grâce à la coupole de verre installée au faîte du narthex de notre cathédrale. L’autre a ruisselé sur nous par la composition musicale originale de notre maître de chapelle Pierre-Georges Roubaty. Deux mains de beauté levées vers le ciel pour dire l’essentiel, à Dieu d’abord et aussi à vous tous : tout simplement merci.



Je pourrais m’arrêter là en ne citant personne d’autre pour n’oublier personne. Je dois cependant entrer dans quelques précisions afin que chacun reçoive, si possible, son dû de gratitude. Permettez que je les illustre par une dernière visite de notre collégiale-cathédrale, tout en rappelant, au fil de la balade esthétique et pastorale, les missions actuelles et futures de notre vénérable chapitre, comme on aimait à le dire jadis.



Dans le premier vitrail à droite dans le chœur. Pour signifier le Chapitre cathédral, deux chanoines sont à genoux. Mais oui : ils prient ! L’un porte l’aumusse, héritage d’un passé qui remonte à notre fondation en 1512. L’autre est revêtu du camail violet. Notre première mission est justement de prier, avec l’office ecclésial matin et soir, sans oublier l’eucharistie quotidienne désormais concélébrée grâce au concile Vatican II. Nous resterons fidèles à ce pieux devoir de louange et d’intercession pour notre diocèse et notre peuple. Nous le faisons et le ferons en communion avec la paroisse St-Nicolas, l’unité pastorale Notre-Dame et le décanat de Fribourg, avec la volonté de continuer à servir humblement, selon nos forces humaines et spirituelles. Et merci à tous les prévôts et chanoines qui avant nous ont assumé et assuré ce ministère liturgique et pastoral qui demeure au cœur de la vocation du Chapitre, sous la houlette de notre cher saint Nicolas de Myre.



Dans le même vitrail. Nous sommes après 1924. La nouvelle hiérarchie est bien en place. La collégiale, après des siècles de négociation et de résistance, est devenue la cathédrale du diocèse. L’évêque domine. Le chapitre, avec son prévôt encore crossé et mitré, est à ses pieds. Mais il est rappelé discrètement à son Excellence qu’il doit consulter le Chapitre (« audito collegio –audito capitulo »). Il n’y pas de risque d’abus dans ce domaine depuis que le Concile Vatican II a établi autour de l’évêque de nouveaux conseils sans doute plus performants. Un certain rôle « conseiller » demeure cependant, par et au delà de certains chanoines qui font partie de la maison épiscopale. Je profite de cette fête pour présenter à notre évêque les remerciements et les disponibilités du Chapitre. Votre présence parmi nous pour la présidence de notre célébration eucharistique de mémoire et de louange, comme d’ailleurs d’autres marques de fraternité à notre égard, nous touche et nous réjouit. Les chanoines, aujourd’hui heureusement établis dans tous les cantons de notre diocèse, vous en sont très reconnaissants.



Passons au vitrail d’en face, à gauche, si j’ose cette expression. Il illustre les liens entre l’Eglise et l’Etat. Après le colloque académique de 2010, le livre de Jean Steinauer -qui vient de sortir de presse et que vous pourrez éventuellement acquérir pour un prix d’ami à la sortie- raconte savoureusement cette passionnante saga typiquement fribourgeoise. Les temps on changé, certes. Mais la volonté du Chapitre actuel est intacte : servir notre peuple en veillant à de bonnes relations avec ses autorités. Rassurez-vous : nous ne souhaitons pas revenir à une « république des chanoines ».

Mais nous sommes toujours disponibles, dans une juste distinction des pouvoirs qui

n’empêche pas des collaborations symboliques et même un peu plus si entente. Nous le vivons dans le respect et l’amitié, quelles que soient les couleurs politiques des acteurs de la république. J’en profite pour remercier chaleureusement ces autorités, qu’elles soient cantonales, communales ou universitaires, pour leur soutien à notre jubilé et leur participation sincère et joyeuse à notre fête.



Schlussendlich sollte man unsere Stiftskirche und Kathedrale im Detail anschauen. Dies ist die letzte Aufgabe des Kapitels: die kulturellen Schätze, welche uns die vergangenen Jahrhunderte in der Unterschiedlichkeit der inspirierten Künste durch den christlichen Glauben überliefert haben, mit viel Sorgfalt zu erhalten und sie grossherzig ausstellen.



Dieses Jahr war wunderbar. Wir haben Tausenden von Besuchern die künstlerischen Schönheiten und die geistlichen Inhalte, welche in diesem Heiligtum enthalten sind, gezeigt. Ich möchte an dieser Stelle einen ganz herzlichen



Dank an all' jene richten, die uns, oft ehrenamtlich, von Seiten der Kirche, als Künstler oder als Medienverantwortliche in unserem Bemühen, diese Schätze zu präsentieren und zu erklären, unterstützt haben. Mögen diese Instanzen und alle grosszügigen, privaten oder öffentlichen Spender, sowie jene, die dank ihnen unsere schöne Kathedrale und ihre Umgebung besser kennen und schätzen gelernt haben, unsere Dankbarkeit entgegen nehmen.







Enfin il faudrait visiter en détails toute notre collégiale- cathédrale. C’est l’ultime mission du Chapitre : conserver soigneusement et exposer généreusement les trésors culturels que les siècles antérieurs nous ont légués, dans la variété des arts inspirés par la foi chrétienne. Cette année fut merveilleuse. Nous avons montré à des milliers de visiteurs les beautés esthétiques et les messages spirituels que contient notre sanctuaire. Je ne saurais assez remercier les personnes des milieux ecclésiastiques, artistiques et médiatiques qui nous ont encouragés, souvent gratuitement, dans nos efforts de présentation et d’explication. Que ces instances, ainsi que les généreux sponsors privés et publics, trouvent ici notre profonde gratitude, ainsi que celles de tous ceux qui, grâce à eux, ont appris à mieux connaître et à mieux goûter notre belle cathédrale et ses environs.



Il faut aussi savoir s’arrêter, même quand il y aurait encore beaucoup de mercis à dire. Pour remonter à la source, il nous faut évidemment honorer la mémoire de Peter Falk et du pape Jules II sans lesquels nous ne serions pas ici aujourd’hui. Pour plus de détails, je vous renvoie aux ouvrages cités plus haut. Il fait bon redécouvrir les aléas de notre histoire, celle d’un Chapitre de chanoines profondément solidaire d’un peuple en marche dans les vicissitudes du temps, comme le montre la femme au rouet qui déroule patiemment les fils des évènements.



A l’autre bout de cette longue histoire, dans l’humble et pourtant solennelle actualité qui nous rassemble, je pense au personnel de la paroisse et de la cure qui nous a prêté main forte. Je pense aux nombreux bénévoles et donateurs pour les célébrations, les visites, les concerts, les expositions, les mentions dans les médias.

Et en évoquant pour terminer le fameux « vin du chapitre », je lève mon verre pour boire à notre santé, à notre sainteté à tous et à l’avenir de notre Chapitre.

Oui, santé, sainteté et encore merci !



Claude Ducarroz



















jeudi 6 décembre 2012

Homélie de la Saint Nicolas

Homélie pour la Saint Nicolas




On ne l’appelait pas Monseigneur, mais il était -et il demeure- un grand pontife, un bâtisseur de ponts : notre cher patron, l’évêque saint Nicolas de Myre.



Inutile de chercher à démêler l’histoire et la légende. Une constatation s’impose: il fut un homme de grande charité, et d’abord en faveur des petits, des enfants, des souffrants et miséreux de toutes sortes. La bonté fut le point commun de tous ses miracles. Il savait construire des ponts entre son coeur débordant d’amour et les petites gens dans la difficulté ou la peine. On n’en finit plus –jusqu’à en rajouter sans doute- de raconter ses bienfaits.



Voilà une première leçon à retenir de notre saint patron. La pastorale –qui est l’art évangélique du bon pasteur- ne peut réussir que dans un climat de charité, d’abord entre les pasteurs sous toutes leurs formes, mais surtout à l’égard de celles et ceux qui, aujourd’hui encore, chez nous ou ailleurs, vivent des situations d’épreuves, de violences, d’injustices ou d’exclusion.



La compassion des chrétiens, avec leur foi au Christ évidemment, doit être la première carte de visite des évangélisateurs. Croire au Christ et aimer les gens : c’est ainsi que commence la mission, à l’imitation de Jésus lui-même dont on a dit qu’il passa en faisant le bien. Saint Nicolas nous le rappelle opportunément.



A partir de 1087, les précieuses reliques de saint Nicolas -dont nous avons le privilège de posséder un extrait- sont rapatriées en Occident grâce aux marins de Bari. Mais le culte de saint Nicolas n’a jamais cessé de fleurir en Orient. Beaucoup parmi nous ont sans doute pu le vérifier : sur les iconostases des églises orthodoxes ou gréco-catholiques, saint Nicolas figure toujours en bonne place, aussitôt après les saints de l’évangile. Ainsi donc, notre saint patron est devenu un pontife, un bâtisseur de ponts entre l’Orient et l’Occident des Eglises.



A l’heure de l’œcuménisme, notamment entre l’orthodoxie et le catholicisme, l’évêque de Myre nous invite à cultiver des relations fraternelles entre des Eglises unies dans la foi essentielle, certes, mais aussi très diverses dans leurs façons de la dire, de la célébrer et de la vivre.



Ce fut aussi l’une des redécouvertes du concile Vatican II : la beauté de l’unité dans la diversité ou la richesse des diversités quand elles s’épanouissent sur le socle de l’unité. Il y a encore beaucoup à faire pour que le respect des variétés culturelles assumées dans les Eglises soit vécu comme une manifestation de communion au lieu de devenir un prétexte à des divisions. Que saint Nicolas de Myre nous y aide !



Nous voici à nouveau réunis dans notre belle cathédrale, les principaux acteurs de la pastorale catholique dans notre décanat. Nous avons pu le vérifier au cours de l’année jubilaire du Chapitre de saint Nicolas : cette église est la véritable maison du peuple qui vit à Fribourg. Saint Nicolas nous y accueille en nous invitant à vivre, déjà entre nous, une pastorale de complémentarité et de collaboration fraternelles. Unités pastorales, paroisses, communautés de cultures différentes, communautés religieuses et aumôneries : nous sommes ensemble l’Eglise catholique en ce lieu. Il fait bon le rappeler et le symboliser, comme ce soir, sous le patronage de saint Nicolas.

Mais saint Nicolas accueille aussi tout le monde, car il lui plaît que chacun se sente bien ici, chez lui comme à la maison. Il nous faut garder cette ouverture si nécessaire au témoignage chrétien dans une société pluraliste.

Bien à sa place au centre du portail d’entrée, saint Nicolas exprime la bienvenue la plus large aux croyants certes, pour des liturgies festives, mais aussi à tant d’autres qui viennent ici pour prier un moment dans le silence, trouver un peu de repos dans un havre de fraicheur et de paix ou tout simplement admirer des beautés nouvelles ou anciennes au hasard d’une visite touristique. A nous de leur manifester le sourire plein de bonté de notre saint patron.



Fribourg construit un nouveau pont. Il ne faudrait pas qu’il devienne le pont de la discorde, lui qui est censé nous aider à franchir des obstacles pour favoriser les communications et inciter à la communion humaine.

Le pont de la Poya, c’est bien. Le pont de saint Nicolas, c’est encore mieux.

Amen.



Claude Ducarroz



jeudi 29 novembre 2012

Méditation sur la Parole de Dieu


Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi?





Qui donc est Dieu pour nous parler ainsi ?

Qui donc est Dieu pour nous parler ?

Nous sommes ici parce que nous avons rendez-vous au carrefour de la Parole, de l'Écriture et de l'Église. Qui donc est ce Dieu qui nous a donné rendez-vous à ce carrefour ?



Parole en Trinité



Souvent, à la fin de nos lectures liturgiques, nous disons « Parole du Seigneur ». L’agir révèle l'être. Quel est l'être révélé par cette parole dite « de Dieu » ?

Dieu est étonnant : il nous parle, il est un Dieu parlant. Il y a beaucoup de dieux qui sont muets dans le monde : nous leur parlons mais eux ne parlent pas. Ce sont des idoles : « Elles ont une bouche et ne parlent pas » (Ps 115, 5)

Notre Dieu nous parle, il a quelque chose à nous dire. Il a en lui un secret. Bien avant ses paroles, il y a en lui déjà LA Parole, une Parole en lui, un verbe, LE Verbe.

Dieu est parlant en lui-même. Il est une Parole, il se dit, il tient sa parole. Il est lui-même en dialogue, en communion de parole. Il y a en Dieu, éternellement, un phénomène incandescent de Parole.

Dieu est silence et pourtant il se dit une parole en lui. Ce verbe, cette parole, est heureusement conjointe avec l’amour. Dieu est Amour car en Dieu la parole n'est pas une lumière froide, une intelligence qui glace par sa clarté, mais un feu chaleureux qui accompagne sa parole. Le feu de la parole est l'Esprit, amour en personne du Verbe et du Père. En Dieu, à partir du Père-source, il y a comme deux mains qui prient, se croisent, se rejoignent et s'allient pour exprimer à la fois la clarté de l'intelligence lumineuse et la chaleur de l’amour.



Parole en création



Il faut que cette lumière puisse sortir et déborder dans une générosité spirituelle : Parole créatrice. Dieu ne fait pas exister pour s'amuser avec des concepts, mais il fait exister par amour, pour étaler une tendresse. Exister et faire exister est toujours une affaire d’amour pour Dieu.

On voit dans la Genèse combien la création est à la fois un exercice de beauté et une démonstration de tendresse, dans toutes les variétés de l’existence. Cette création, signe d’une paternité immense, s’exerce par lui, avec lui et en lui -le Verbe- et sous toutes les énergies de l’Esprit qui planait sur toutes choses.

Parole d’engendrement, de mise à l’être, générosité par similitude, ressemblance, surtout pour l’homme, la femme et l’enfant. Divine différence avec le reste de la création : quelqu'un est créé à l'image et la ressemblance de Dieu.

Nous voyons là le lien entre le Père et le Fils : créer à l'image est le propre de l'engendrement, à l'image et la ressemblance de ceux qui nous ont donné la vie. Dans la vie de l'être humain, il y a la signature de la filiation éternelle du Verbe : comme le Verbe est à l’image du Père, nous sommes créés à la ressemblance du Christ, à l'image de Dieu.



Parole dans l’histoire



Pour Dieu, après le prodige explosif de l’existence donnée, suscitée, après l'exploit des engendrements, commence la longue aventure des relations, communications, alliances. Il ne suffit pas d'exister et d’être là. Il faut être avec : avec Lui, avec les autres, s'exprimer. Entrer en relation par amour, c’est la mise en route de l’histoire, de nos histoires.

La Parole majuscule entre dans nos paroles minuscules. Le Verbe se dit dans des paroles humaines, au risque de nos langages, de nos contextes sociaux et culturels. Par le Verbe, dans le souffle de l’Esprit, Dieu se fait histoire avec nous en épousant nos petites ou nos grandes histoires. Il tricote la sienne avec les nôtres dans la grandeur et les misères de nos vies. Il se dit en nos paroles en prenant tous les risques. Tant qu'on n'a pas pris tous les risques, on n'a pas vraiment aimé. C’est la grande aventure de l'histoire du salut. Dieu choisit des porte-paroles. Pas des êtres parfaits ni extraordinaires, mais des êtres submergés par un appel, par une vocation. Toujours au service d’une communauté, ils sont capables de dire prophétiquement quelque chose de Dieu, sur Dieu et à Dieu, pour un peuple.

C’est cela que nous percevons, bruissant sous les Écritures, murmurant à l’oreille de notre cœur jusqu’à susciter notre foi, à travers les fatigues de nos lectures mais aussi la joie de partager cette parole au carrefour des Écritures bibliques.



Parole faite chair



Et puis tout-à-coup, il y a l’évènement et l’avènement de Jésus-Christ. Dieu nous a finalement parlé par son fils, « resplendissement de sa gloire et expression de son être ». (Cf. Ep. aux Hébreux ch. 1.) L’invraisemblable nous tombe dessus et c’est encore un amour. « Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils » nous dit Saint Jean. La Parole de Dieu a investi complètement un homme, né d’une femme, de chair et d’esprit. La Parole de Dieu a là une concentration humaine extraordinaire. La Parole s’est faite chair en Jésus-Christ.

Quand la Parole dresse sa tente dans notre histoire, ce n’est pas pour l’effleurer mais pour l’habiter complètement. Au centre du monde, du cosmos, en chacune de nos vies est plantée désormais la tente de la présence de Dieu. Évènement extraordinaire, tellement divin qu’il passe par l’humain : une femme qui permet la rencontre entre nos histoires et l'histoire de Dieu. C’est avec le cœur d’une femme, au corps d’une femme, que la Parole majuscule se lie définitivement à nos paroles humaines pour « faire » le Verbe fait chair, et cela renverse beaucoup de choses dans les relations humaines…

Ses paroles deviennent bonne nouvelle, révélation du mystère. Elles agissent, guérissent, pardonnent, accueillent, consolent, ressuscitent, en particulier les plus blessés. C’est encore une manière de dire Dieu : Jésus va au bout de la marge où nous mettons beaucoup de gens. Lui ira les chercher : la brebis perdue, le fils prodigue, la femme adultère… pour montrer qu’il n’y a pas de marge à l’amour de Dieu. Le don devient pardon, c'est à dire un don par-dessus la marge. Ces paroles sont allées jusqu’au bout : « Aujourd’hui, tu seras avec moi », dit Jésus à un rejeté maximum…

« Debout ! » La parole s'est mise debout au matin de Pâques. Par le Christ, l’amour a fait triompher la vie. Par la Résurrection, Dieu a repris parole au milieu de nous et plus personne ne fera taire cet amour-là.



Parole en semence



Parole à mettre en pratique. Nous ne pouvons que nous positionner face à cette parole, comme le terrain face aux semences que le semeur jette sans demander la permission à la terre. Mais il revient à la terre d’accueillir : cette Parole va devenir Écriture et paroles d’Eglise. Entre la Parole qu’est le Verbe et notre humanité, il y a désormais des noces, une alliance, mariage indissoluble, bonne nouvelle pascale. Nous pouvons alors, dans la force de cet Esprit et dans la lumière du Père, laisser Dieu nous parler, le Christ nous illuminer et l’Esprit nous entraîner, afin de devenir des porte-paroles, portés par le Père et porteurs de la Parole.

Jésus dit sa parole à chaque personne qui est pour lui tout un monde. Il le dit aussi dans les civilisations, les cultures, les communautés qui, tant bien que mal, essaient d'humaniser le fait d'être un humain. Dieu se faufile dans les sagesses, les philosophies, de toutes les ères culturelles. Il ne faut jamais oublier -je crois- que le murmure de Dieu suinte dans l'âme de tout homme et même dans les constructions culturelles, les institutions religieuses qui nous paraissent loin de l'évangile,

Dieu prend des risques calculés car il veille sur l'essentiel de ce qu'il veut nous dire et c'est le rôle de l'Esprit de veiller, de réveiller, d'éveiller, pour que, à travers l'histoire, cette parole continue sa course. Des éveillés, on pourrait les appeler ainsi les prophètes, les sages, parfois des prêtres. Des éveillés et des éveilleurs, des veilleurs conscients d'une mission qui les dépasse, les submerge et parfois les déprime. Ils parviennent malgré tout à continuer de dire quelque chose de la part de Dieu à des personnes, peuple souvent sourd, réticent comme il est dit « à la nuque raide ».





Parole d’écriture



La parole poursuite sa course sans cesse. Puis vint l'écriture. En soi c'est une avancée décisive dans l'histoire, que la parole divine puisse devenir écriture. Par là même la parole de Dieu relève le défi du temps. Il y a quelque chose de fugace qui devient presque éternel. Que cette parole soit enfermée dans la tête ou dans les lettres, c’est un nouveau risque ou une nouvelle chance. La nouvelle chance de pouvoir partager la parole en la ranimant sous la lettre, mais en même temps le risque de la bétonner de sorte qu’on ait alors ce qu'on appellerait le littéralisme ou le fondamentalisme. L'écriture doit demeurer un parole, c'est-à-dire qu’il doit y avoir dans l'écriture, encore et toujours, un message de quelqu'un à quelqu'un pour dire quelque chose d'essentiel sur Dieu, sur nous et sur le monde.

L'écriture et la parole sont comme les deux faces d'un même amour qui s'exprime toujours quand il s'agit de Dieu à l'humanité sous le mode d'un signe ou d'une rencontre, quelqu'un qui dise à quelqu'un « je t'aime ». On peut confisquer la lettre, on peut aussi la relire à haute voix, et alors l'écriture redevient parole.

A partir du moment où l'écriture et la parole dialoguent, se donnent la main du coeur, nous sommes dans un dialogue de Dieu avec nous. Que les facilités de l'écriture ne perdent jamais l'épaisseur tendre de la parole.



Parole en Eglise



C'est à ce moment là qu'intervient finalement l'Eglise et d'abord les Apôtres et les premiers témoins de Jésus Christ. C'est vrai, le Christ, c'est d'abord une expérience faite dans la rencontre d'homme à homme qui mérite d'être écrite, non pas une philosophie, des idées. C'est la palpitation d'une rencontre qui finalement appelle, engendre l'écriture, ce qu'on appelle le nouveau testament. Une expérience d'abord vécue puis racontée, une expérience de narration mais aussi une interprétation.

Ce Christ qui n'a rien écrit, voici qu'on commence à écrire sur lui, de lui et alors il devient lui même une écriture personnelle délivrée au monde. Finalement Jésus est la clef et en même temps la clef de voûte des écritures. A la fin on comprend qu'en nous parlant à nous, ceux qui ont écrit ne parlaient que de Lui. Mais lui, c'est très intéressant pour nous, c'est même essentiel : des souvenirs, des paroles, des actes de Jésus, interprétés à la lumière du mystère pascal, car ce mystère a évidemment transfiguré la vision et la signification de ce qu'il était, de ce qu'il a fait, de ce qu'il a dit. Regarder ainsi les vérités du Christ dans le prisme de Pâques.

Toutes sortes de sciences humaines nous aident à faire en sorte que l'écriture nous révèle son coeur brûlant. C'est refaire le chemin d'Emmaüs. On accepte aussi que quelqu'un nous explique, que d'autres qui savent mieux certaines choses nous aident. Il y a comme une fraternité dans l'approche des écritures, grâce à certains spécialistes, à certains interprètes. Réjouissonsnous que l'écriture soit pour nous un message à la fois découvert personnellement, offert communautairement et délivré spirituellement.



Au service de la parole



Prendre donc au sérieux la tradition des interprétations, et là il faut reconnaître que dans l'Eglise on n’est pas laissé simplement avec notre Bible et « débrouilles toi ». On sait bien à terme ce que cela peut produire. Chacun peut fonder sa secte ou créer son Eglise. On a dans notre Eglise un équipement fraternel - il faut qu'il soit fraternel, qu'il ne soit pas autoritaire ou vertical- pour qu'on puisse parcourir ensemble le chemin des écritures à la manière d'Emmaüs.

Il y a des ministères pour cela. On a les Pères de l’Eglise, très intéressants, on a des docteurs de l'Eglise, il y a des saints et des saintes. On peut rajouter les musiciens bien sûr, les peintres, les sculpteurs : c'est merveilleux le trésor que l'Eglise met à notre disposition. Les beautés mais aussi les livres, le cinéma, tout ce qu'on veut. Bien sûr, il y a les théologiens, il y a les exégètes, il y a le sens chrétien des gens. Et puis il y a le magistère -et là c'est une notion plus catholique- y compris le rôle du successeur de Pierre, le Pape. On a un magistère qui balise les interprétations, qui rappelle les choses essentielles, qui nous évite heureusement de dérailler. Il ne faudrait pas que le magistère nous empêche d'avancer. Il suffit qu'il nous empêche de sortir de la route, mais la route doit rester ouverte à de nouvelles découvertes, parce que le magistère n'est pas une barrière sur la route, mais des barrières au bord de la route.

Et là, je vous invite à relire Romains 10,14-17 : «Si de ta bouche tu confesses que Jésus est Seigneur et si dans ton coeur tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé». Et ensuite l'apôtre dit « Comment l'invoquerait-il sans avoir cru en lui? Comment croirait-il en lui sans l'avoir entendu? Comment l'entendrait-il si personne ne le proclame? Et comment le proclamer sans être envoyé? Aussi est-il écrit « Ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent les bonnes nouvelles. Ainsi la foi naît de la prédication, et la prédication se fait par la parole du Christ. »

Relisez aussi le chapitre 2 de la première lettre aux Thessaloniciens. Il y a six fois « la parole de Dieu », « l'Evangile de Dieu ». Et aussi la relation entre la Parole et celui qui porte la parole, c'est à dire Paul qui dit son ministère toujours imprégné par cette parole, imprimé par la parole, toujours au service de la parole. En même temps vous verrez le lien avec les Thessaloniciens, le lien avec la communauté. Cet apôtre ne travaille pas à son compte. Il ne crée pas une secte. Sa joie, c'est de partager avec sa communauté. Il aime cette communauté et il a deux manières de le lui dire : comme un père et comme une mère.





Parole sur le cœur



Enfin je voudrais juste vous lire dans la deuxième lettre aux Corinthiens (3,2-4) le but de l'écriture : c'est qu'elle s'écrive finalement en nous.

« Notre lettre, c'est vous, lettre écrite dans nos coeurs, connue et lue par tous les hommes. De toute évidence, vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos coeurs. » C'est bien là que l'apôtre veut écrire sa lettre, car le parchemin, c'est nos coeurs. C’est aussi notre rôle à tous : laisser écrire par l'Esprit en nous la parole et ensuite devenir peu à peu des écrivains de l'Evangile sur le coeur de ceux que nous rencontrons.

Jésus parle encore chaque jour. Ses paroles sont lancées comme des graines au fond des champs préparés de l'intérieur. Ses mots sont des soleils qui mettent en pleine lumière les désirs et les projets du coeur. En vérité, ses paroles sont déroutantes, ses paroles sont tranchantes. Il est terrible de tomber aux prises de sa parole vivante. Elle chasse l'ombre des recoins où se tassent les sombres projets et se tissent les troubles toiles du mensonge, elle casse les serrures des caveaux où s'enterrent les sales billets et s'impriment les égoïsmes du superflu. Elle touche au coeur et au corps. Elle aide à transfigurer et la loi est mutée en acte de liberté. La pierre est roulée et la beauté est mise au jour comme pain sorti du four.

Parole partage, parole ravage, parole nue, parole crue, parole d'amour, parole lumière. Dieu-parole, parole de Dieu, tendresse pour l'homme, pour l'homme de désir, parole libre qui accouche la vie. (Cf. Charles Singer).



Claude Ducarroz







lundi 26 novembre 2012

Ecouter le Concile Vatican II

A l’écoute de Vatican II




La Révélation





Le 18 novembre 1965, par 2344 oui et 6 non, les Pères du Concile Vatican II ont adopté la constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation.

Sa genèse et sa maturation furent particulièrement laborieuses.



A la suite des Réformes protestantes du 16ème siècle, qui insistèrent sur l’autorité éminente voire exclusive de la Bible (sola scriptura), l’Eglise catholique a vécu dans une ambiance de prudence, voire de méfiance à l’égard de la Bible. Certes, la Bible a toujours été lue dans la liturgie -mais en latin !-, elle a toujours servi de référence chez le magistère et parmi les théologiens. Mais elle fut déconseillée pour « le peuple de la base », et même parfois interdite. On craignait des déviations ou des erreurs qui pussent être fatales à la foi et à la communion de l’Eglise.



C’est dire que, sur ce point, l’Eglise catholique revient de loin. Heureusement, bien avant le Concile, des exégètes, des théologiens et des historiens courageux se sont remis à explorer plus à fond les Saintes Ecritures, non sans subir parfois les mises en garde et les remontrances des autorités ecclésiastiques. Citons entre autres le Père Lagrange, qui sera peut-être bientôt béatifié.

Ces prophètes préparaient le Concile sans le savoir.



La Constitution Dei Verbum, en citant d’abord I Jn 1,2-3 situe aussitôt la révélation divine dans un contexte d’amour. Amour de Dieu pour nous et invitation à la communion d’amour et de joie entre les croyants. Voir aussi Ex 33,11 et Jn 15,14-15. Nos 1 et 2.



Cette révélation a connu des étapes.

* La création est elle-même une révélation de la puissance, de la beauté et de l’intelligence de Dieu offertes à notre contemplation et à notre étude rationnelle. Cf. Rm 2, 6 et 7. No 3.

* Dans les diverses religions, nous trouvons aussi des semences de la vérité divine qui nous disent quelque chose du mystère de Dieu. Le Concile en parle surtout dans le document Ad gentes sur l’activité missionnaire no 11 et 15 et dans Gaudium et Spes nos 3 et 18.

* Le peuple d’Israël a été le principal dépositaire de la révélation divine, depuis Abraham en passant par Moïse, les prophètes et les poètes des psaumes. C’est l’Ancien Testament, indispensable pour connaître le sens de l’entière révélation divine et son accomplissement en Jésus.

* Car c’est lui, le Christ, comme le rappelle l’épître aux Hébreux en 1,1-3 qui est à la fois le médiateur et la plénitude de la divine révélation, le révélant et le révélé, par sa vie, sa mort et sa résurrection, sans oublier le don de l’Esprit.

* En s’appuyant sur les paroles et les actes de Jésus, les apôtres et écrivains du Nouveau Testament nous ont transmis -la Tradition- leur témoignage sur leurs expériences avec le Christ, en les fixant par écrit pour l’essentiel. Leurs Ecritures constituent des références fondatrices pour la vie de l’Eglise et des croyants.



Cette Eglise est la réceptrice et aussi la transmetteuse de ce trésor de vérité et d’amour. Elle le fait dans sa prédication, dans son culte et dans sa vie, en rappelant ce qu’il faut croire et faire pour notre salut. Dans l’Eglise, tout est placé sous la Parole de Dieu, selon les Ecritures et avec l’assistance du Saint Esprit.



Cet Esprit est à l’œuvre :



- dans le peuple des croyants qui accueillent, vivent et expriment l’Evangile (sensus fidelium) -Lumen gentium no 12, et notamment par les laïcs – Lumen gentium no 35.

- dans le service du magistère dont le Concile rappelle qu’il n’est pas au dessus de la Parole de Dieu mais à son service, quand il conserve, met en valeur et interprète le message biblique. No 10.

- Dans les charismes des théologiens, exégètes et autres spécialistes qui nous aident à mieux connaître, interpréter et vivre les richesses de la Parole biblique.



Comment faire avec la Parole de Dieu telle qu’elle nous est transmise par la Bible ?



* Nous devons d’abord croire que Dieu a parlé jadis et qu’il nous parle encore aujourd’hui. C’est la foi.

* Nous devons demander les grâces du Saint Esprit dans la prière pour pénétrer les saints mystères à la fois cachés et révélés dans les Ecritures.

* Nous devons continuellement puiser en elles, personnellement et aussi en communauté, les trésors de vérité et d’amour qui nous aident en vivre en enfants de Dieu-Père.



Quelques points d’attention



* Ces textes, même s’ils sont sacrés, sont aussi des textes écrits par des humains. Nos 12 et 13. En conséquence il faut les aborder dans leur contexte personnel, communautaire et historique. Les sciences humaines sont là pour nous y aider. Il faut aussi les prendre au sérieux.

* A travers ces textes situés dans leur environnement, Dieu continue de nous dire quelque chose d’important sur lui-même et sur nous, sur le mystère trinitaire et sur notre propre mystère. C’est ce qu’il faut essayer de décrypter, parfois entre les lignes.

* Finalement, chacun doit se poser la question : qu’est-ce que Dieu me dit à moi personnellement, à nous communautairement, aujourd’hui ? D’où l’importance de la méditation personnelle, mais aussi du partage communautaire et de la liturgie. No 21



Recommandations



Ne pas oublier d’honorer aussi l’Ancien Testament. No 15

L’eucharistie et la Parole de Dieu dans les Ecritures sont les deux côtés d’une même table sur laquelle Dieu offre le pain de vie à ses fidèles. Il faut les vénérer pareillement. No 21

Il faut continuer de rendre l’accès des Ecritures largement ouvert à tous les chrétiens. No 22

Les études bibliques entre chrétiens des Eglises encore séparées sont vivement recommandées. No 22





Une prière



« Que par la lecture et l’étude des Livres saints « la parole de Dieu accomplisse sa course et soit glorifiée » (2 Th. 3,1) et que le trésor de la Révélation confié à l’Eglise comble de plus en plus le cœur des hommes. » No 26.





Claude Ducarroz



dimanche 25 novembre 2012

Méditation pour les 30 ans du Tremplin

Les 30 ans du « Tremplin »


Méditation sur Jn 4,1-42

Jésus et la Samaritaine

De l’exclusion à la communion



Comme militant contre toutes les exclusions, comme apôtre de la communion, il est bien connu : Jésus de Nazareth. De multiples exemples le prouvent, et surtout celui de sa rencontre avec la femme de Samarie, en Jean ch. 4.

En vérité tout aurait dû favoriser l’exclusion. Or tout a été fait pour aboutir à une communion.



A ne pas oublier : Jésus venait de se sentir exclu et marginalisé par les petits chefs de la Judée. Il veut retourner dans sa Galilée natale, mais il doit à cet effet traverser la Samarie, une région à hauts risques. Le voilà donc en un contexte de voyage, de migration.

L’évènement se passe autour d’un puits, là où tout peut arriver : la rude concurrence pour l’eau ou la rencontre pour boire ensemble.



Au départ, rien que des handicaps cumulés.

Il est fatigué à cause du voyage « à pied ». Handicap physique.

Il fait chaud à midi en ces lieux arides.

Un homme et une femme inconnus ne se parlent pas en public. C’est mal vu, mal jugé. Handicap social.

Un juif ne dialogue pas avec une Samaritaine, fille d’un peuple hérétique. Handicap religieux.

Un saint homme peut-il s’exposer à fréquenter une femme qui eut cinq maris ? Handicap moral.



Quel sera l’élément déclencheur, le point commun qui va tout provoquer ?

Tous les deux ont soif. Ils partagent cette expérience humaine de base : la soif. Avec toutes les diverses déclinaisons de l’expression : soif de l’eau pour désaltérer le corps, soif d’amour pour combler le cœur, soif de sens à donner à sa vie. Soif de Dieu finalement.

Là, au bord du puits, c’est la rencontre imprévue, inédite de deux soifs.

Et le plus « riche » se fait d’abord mendiant. « Donne-moi à boire », lui dit Jésus. Lui, le premier, avoue sa soif, et le besoin de son secours.



Alors tout devient possible. Ils sont à égalité de pauvreté, malgré toutes leurs différences. On ne peut se rencontrer en profondeur qu’entre pauvres.

La femme en est très étonnée. Elle le dit, mais surtout elle continue le dialogue. Des premières banalités jusqu’aux plus secrètes profondeurs. Car il faut voir plus loin que les apparences, il faut descendre à l’intérieur des personnes. Et pour cela accomplir tout un voyage, vaincre les préjugés.

Chacun, quel qu’il soit, a besoin de l’autre, quel qu’il soit. Chacun a soif de l’autre.

Et ça peut aller jusqu’au partage religieux. Où et comment faut-il adorer Dieu ? N’importe où, pourvu que ce soit « en esprit et vérité ».



Alors la communion s’élargit, merveilleusement.

D’abord au bénéfice de cette marginale qui se sent respectée, et même aimée. Et pour le grand profit des disciples, ces religieux scandalisés par l’audace de Jésus. Eglise, que fais-tu pour et avec les « marginaux » ?

Enfin c’est toute la communauté humaine de cette femme –sa ville- qui en est bouleversée. Elle ose s’adresser à ses concitoyens. C’est elle qui les rassemble. C’est elle qui les met en route, elle les fait sortir… de la ville et d’eux-mêmes.



L’exclue devient agente de communion, au point que, sur sa parole à elle, ses voisins invitent Jésus à demeurer auprès d’eux. Le divin marginal est accueilli chez des non-conformes.

La communion est toujours contagieuse quand l’exclusion est…exclue.



Quel plus beau programme ?

Devenir, comme certains le sont déjà, des Samaritaines et des Jésus pour notre temps.



Claude Ducarroz

samedi 24 novembre 2012

Fête du Christ Roi

Homélie


Christ-Roi 2012



Que vient faire ce roi dans notre démocratie ? Les Suisses se vantent de n’avoir jamais eu de roi au cours de leur histoire. C’est vrai : nous n’avons jamais été une monarchie. Et c’est probablement un cas unique dans l’histoire des peuples. Et en plus nous nous portons très bien ainsi.

« Alors, tu es roi ? », demanda Pilate à Jésus, de sa voix impériale. « Ma royauté ne vient pas de ce monde », répondit Jésus.

Voilà qui mérite quelque explication.



Il y a deux sortes de royauté. Celle de l’autorité et celle du pouvoir.

La tentation du pouvoir, celui qu’on exerce sur les autres, y compris par la contrainte, peut toujours nous faire déraper dans la violence, l’oppression, la répression.

L’exercice de l’autorité met son honneur à faire grandir l’autre en le respectant. L’autorité culmine dans le service. Elle se recommande finalement par sa charité.



Deux mise en scène, dans la vie de Jésus, nous donnent la bonne clef d’interprétation.

* La première, c’est le lavement des pieds, qui scandalisa si fort l’apôtre Pierre. Jésus vient de traîner par terre devant ses disciples pour leur laver les pieds, le boulot des esclaves. En se relevant, il leur dit : « Si je vous ai lavé les pieds, moi le Maître et le Seigneur, … c’est pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous. » Car c’est finalement ça, régner en Maître, dans la logique de l’Evangile ! Servir par amour.

* La deuxième mise en scène s’observe le lendemain. Jésus est debout devant un Pilate bardé de la puissance romaine invincible. Il se présente comme un roi de carnaval. On lui a mis une couronne d’épines sur la tête, un roseau en guise de sceptre dans la main et une tunique rouge par dérision. Et Jésus ose dire au représentant de l’empereur : «Tu le dis. Je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »



* On pourrait même ajouter une troisième mise en scène, celle qui figure au tympan du porche de notre cathédrale. Le roi Jésus est arrivé dans la gloire. Il est assis sur un trône surmonté d’un baldaquin. Il domine l’arc-en-ciel et les nuages. Mais observez bien : sa tête est auréolée de l’or glorieux, mais elle a gardé la couronne d’épines. On peut encore contempler ses plaies comme stigmates de sa passion.



Que nous sommes loin, me direz-vous, de ce qui se passe dans le monde, et peut-être parfois dans l’Eglise. Si souvent la course au pouvoir s’autorise de tous les coups, même les plus bas. Que ne fait-on pas pour dominer sur les autres, pour les soumettre, parfois jusqu’à l’asservissement ? Tant d’instruments de violence, depuis les armes les plus sophistiquées jusqu’aux conditionnements psychologiques, en passant par toutes sortes de chantages affectifs ou financiers, peuvent transformer quelqu’un en roitelet souverain et impitoyable. Ce peut être le cas au niveau de peuples entiers, mais ça peut aussi arriver dans les milieux de travail et jusque dans les familles.



Je le sais : les meilleures autorités, surtout dans les Etats, on aussi besoin d’un certain pouvoir pour promouvoir et faire respecter le bien commun. Dans l’Eglise, il doit déjà en être autrement puisque Jésus n’a cessé d’avertir ses disciples en leur répétant : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous se fera votre serviteur. »

Et Jésus d’ajouter pour montrer qu’il leur parle en connaissance de cause : « Car le Fils de l’homme lui-même n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »



Peu ou prou, d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous en situation d’autorité, nous exerçons tous un certain pouvoir. Dans quel état d’esprit le faisons-nous ?: là est la question.

Au pied du Christ-Roi, à l’entrée de notre cathédrale, il y a deux personnages. Ils nous indiquent le chemin. Tous deux sont à genoux, et ils prient. Se faire petits devant Dieu, telle est la vraie grandeur de l’homme, car Dieu comble de son amour celles et ceux qui gardent une attitude d’humilité, un cœur ouvert à ses grâces.

* A gauche, c’est Marie, la petite servante du Seigneur, celle qui a chanté dans son cantique : « Dieu a déployé la force de son bras : il a dispersé les hommes au cœur superbe, il a renversé les potentats de leur trônes et élevé les humbles. »

* A droite, c’est Jean-Baptiste, celui qui a ouvert les chemins d’accès au Messie Jésus, pour finir par cette prière : « Il faut que lui grandisse et que moi, je diminue. »



On pourrait croire que toutes ces histoires d’autorité par le service et de croissance par l’humilité conduisent aux humiliations et à la tristesse, selon cette phrase terrible de Nietzsche : « Ils ne surent aimer leur dieu qu’en clouant l’homme à la croix. » Or c’est tout le contraire que démontrent les saintes et les saints, ceux qui sont encore représentés, priant mais glorieux, dans les voussures du portail de notre cathédrale, autrement dit la communion des saints.



Le crucifié est ressuscité, le roi de la croix nous a ouvert le Royaume de Dieu. Là où il est, il nous attend et nous serons pour toujours avec lui dans sa gloire. Les servantes et serviteurs de cette royauté et de ce roi peuvent déjà boire dès ici-bas aux sources de la vraie joie, là au cœur des services déployés dans l’amour, notamment auprès des petits, des pauvres, des souffrants et des exclus. Car, selon la seule parole de Jésus que cite saint Paul : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. »



Oui, amen, ainsi soit-il, qu’il en soit ainsi !



Claude Ducarroz

vendredi 16 novembre 2012

Hommage à Yoki

+ Yoki Aebischer




La beauté…la bonté…la spiritualité. Et quatre lettres très humbles au coin du vitrail d’une longue vie. Une signature : Yoki. Notre cher Yoki.



La beauté d’abord, puisque, selon le message de l’apôtre Paul, « la création aspire de toutes ses forces à ce que la gloire de Dieu se révèle en nous ». Car Dieu est beauté. C’est elle qui sauvera le monde. Les artistes sont à la fois les prophètes et les artisans de cette beauté incarnée dans notre matière. Au sein d’une humanité souvent délabrée, ils ouvrent une brèche de splendeur qui transfigure nos cieux d’orage en échappée vers le paradis. Contempler un beau vitrail, surtout dans le silence d’une église, c’est reposer son âme à l’orée du Royaume de Dieu. Y a-t-il meilleur bonheur que la joie de se sentir emporté, jusqu’à l’extase parfois, dans la sereine lumière d’une œuvre qui respire la grâce, celle dont Dieu fait à la fois les artistes et les saints ?



Jusqu’au bout, Yoki a été au milieu de nous l’humble serviteur et l’ardent serveur de cette beauté-là. Chez nous beaucoup, et ailleurs aussi, il a semé, dans le verre, sur la toile et autrement encore, ces étincelles de poésie jaillies d’un cœur profondément contemplatif, des œuvres destinées à exciter le mystère qui nous habite et nous invite : notre capacité d’émerveillement. Il l’a fait avec un sourire fraternel, sans la prétention énervante des vedettes de l’esthétisme, mais dans la simplicité des partages chaleureux. Chez lui, le culte du beau donnait la main aux délices de la rencontre, avec l’accent inimitable de Joan, toujours en verve, dans les riches coloris de la communion humaine.



La bonté aussi, celle qui nous fait mieux comprendre pourquoi Dieu est amour, conjointement avec la beauté justement. En ce monde où il faut être trop bon pour l’être assez, la beauté serait encore froide et les œuvres tristement anonymes s’il n’y avait l’infinie bonté de Dieu et la chaude amitié de certains artistes. Nous admirons les prouesses des esthètes, mais nous sommes surtout touchés, jusqu’à l’émotion, jusqu’aux larmes, quand elles nous sont servies par un cœur généreux, dans le merveilleux rayonnement de la tendresse. Il en faut pour l’intelligence, il en faut surtout pour le cœur. Heureux ceux qui peuvent offrir tous les deux, comme des compagnons de pleine humanité, à l’image de Celui qui vient de nous redire : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux qu’ils soient avec moi et qu’ils contemplent ma gloire, parce que tu m’as aimé. »



Yoki baignait dans cette double logique de contemplation et d’amour. Depuis ses commencements de pauvreté qu’il aimait évoquer sans aigreur ni regret, jusqu’à ses fréquentations des plus fins artistes et des plus subtils intellectuels, il resta lui-même pour continuer d’aimer les petits comme les grands, de tout son cœur simple et joyeux. Passer une soirée chez lui –ou plutôt chez eux- était un régal pour l’esprit et aussi une caresse pour le cœur. On en revenait pas seulement plus cultivé, mais surtout plus affectionné, comme la lumière et la chaleur sont inséparables dans ce bel artiste qu’est le feu.



Enfin la spiritualité. Il faut même dire : la mystique. Si l’art ouvre une porte sur une transcendance énigmatique, si l’amour -à commencer par celui qui relie des conjoints, les enfants, les petits enfants- a toujours un goût d’éternité, il faut oser pousser le portail qui mène à la source de tout. Tous n’y parviennent pas. Personne ne le leur reprochera. Mais quel nouveau bonheur que celui de pouvoir tout réunir et finalement tout goûter dans le mystère même de Dieu, « afin qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi je sois en eux », priait Jésus pour nous. Oui, là, quand la beauté prend une majuscule, quand la bonté devient l’Amour même, quand la spiritualité s’habille de mystique, comme un lever de soleil derrière le vitrail de l’existence.



Qui n’a pas été frappé par la foi et par la vie religieuse de Yoki ? Sans ostentation certes –il était trop humble pour vouloir donner des leçons-, mais avec des convictions profondes, puisées dans la tradition familiale, étayées par la religion irlandaise de Joan, nourries par les belles liturgies et musiques qu’il chérissait. Cette spiritualité ne l’a jamais empêché de demeurer un homme libre, avec une réflexion critique, y compris sur son Eglise. Mais la figure du Christ et des saints, les symboles et les vérités de l’Evangile qu’il a si souvent mis en scène et en lumière, habitaient sa personne, non seulement comme source d’inspiration esthétique mais comme moteur de vie concrète. Il vivait de ce qu’il illustrait, il illustra ce qui le faisait vivre.



Pour toutes ces raisons, et tant d’autres encore que vous pourriez exprimer encore mieux que moi, vous, si nombreux, qui l’avez connu et aimé, admiré et rencontré, nous lui disons aujourd’hui merci. Devant Dieu et devant vous. Merci et au revoir.

Dans le Royaume de la Pâque, en plein mystère trinitaire et dans la communion des saints, tout n’est que beauté, bonté et spiritualité. Les pinceaux sont pour ce monde. Les yeux du cœur pour l’éternité.



Claude Ducarroz



samedi 10 novembre 2012

In memoriam 2012

In memoriam 2012




Guillaume. Il s’appelle Guillaume. Il a 4 ans. Il fréquente déjà l’école enfantine. La maîtresse vient de parler de l’importance de l’eau pour la vie humaine. Elle pose alors la question : « Qu’est-ce qui est le plus nécessaire pour qu’on puisse vivre ? » Et Guillaume de répondre du tac au tac : la liberté !

Cet épisode dont je vous garantis l’authenticité rejoint la célébration de ce jour. En régime démocratique, un vrai soldat est un homme libre qui, potentiellement, préfère la liberté à sa propre vie.



Même si ce ne fut pas –heureusement- au cours de batailles toujours sanglantes, certains soldats de chez nous ont fait le sacrifice de leur vie en accomplissant leur devoir de citoyen « sous les drapeaux », comme on disait jadis. Aujourd’hui, nous leur disons un solennel merci.



N’oublions pas non plus, dans notre mémoire et notre reconnaissance, les femmes et les enfants qui ont participé à cette offrande patriotique en assumant vaillamment la dure condition de veuves et d’orphelins. Ces femmes en particulier rejoignent la pauvre veuve de l’évangile de ce jour qui, discrètement, a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. Nous ne dirons jamais assez notre gratitude à ces vaillantes personnes qui, sans être au front, ont fait front vaillamment aux malheurs de l’existence pour l’amour de notre patrie.

Ces patriotes de l’ombre sont représentées dans le premier vitrail à gauche dans le chœur de notre cathédrale. Au pied de la femme symbolisant l’histoire, qui dévide le fil des évènements en utilisant un rouet, nous voyons une femme en deuil qui pleure, le visage dans ses mains, en laissant tomber à terre la palme de la victoire. Les deux dates entourant cette veuve disent tout : 1914-1918. On pourrait ajouter, hélas ! 1939-1945.



Depuis 1945, heureusement, notre armée n’a jamais plus vécu une mobilisation générale dans une atmosphère de guerre. Il faut d’abord le reconnaître : nous le devons surtout à la nouvelle Europe qui a su, peu à peu, exorciser ses démons d’impérialisme et autres « ismes » en misant désormais sur la paix, la coopération et même une certaine fraternité. N’empêche que de nouveaux défis se lèvent sans cesse, qu’il faut relever avec les mêmes valeurs qui nous ont permis de surmonter les épreuves de jadis, sous l’arbre de la liberté.



Les moyens de communication actuels nous fournissent instantanément les informations mondiales qui viennent heurter à la porte de notre conscience et de notre cœur. Nous ne pouvons plus nous abriter derrière l’ignorance, comme si nous ne savons pas. Encore faut-il que notre degré d’engagement pour la paix dans la liberté -qui fit l’honneur de notre peuple et de son armée- soit à la mesure de cette information.



Oui, quelles sont aujourd’hui la largeur et la profondeur de notre service à la paix et à la liberté dans ce monde dont nous sommes, que nous le voulions ou non, profondément solidaires ?



Ceux et celles qui frappent à notre porte, venus parfois de très loin, nous rappellent que nous ne pouvons plus cultiver notre noble idéal démocratique sans nous sentir interdépendants de ceux qui subissent parfois le contraire, ou luttent comme nous pour les mêmes idéaux, tout près ou à l’autre bout du monde.



Quand il partit pour Sarepta, très loin de chez lui, le prophète Elie fuyait la persécution du roi Achab. Sur la route de son exil vers Sidon au Liban, il rencontra cette veuve avec son fils au bord de la famine. Ce fut le choc de deux misères qui provoqua le miracle de l’huile et du pain, parce qu’il y eut dialogue, accueil, solidarité entre personnes que tout aurait pu opposer.



Notre armée est peut-être un rempart. Sur ce rempart, des veilleurs sont près à donner leur vie pour préserver notre liberté, aujourd’hui comme hier. A tout rempart il faut aussi des portes, et même des ponts. Fribourg en est l’évidente démonstration.

Tel est le rôle de nos autorités. Appuyées sur le rempart : ouvrir des portes, bâtir des ponts, pour une Poya de liberté contagieuse et de paix toujours plus universelle.



Le rempart est un instrument de défense. Il doit être surtout un message permanent. Dans ce petit pays, fidèle à son passé et ouvert sur son avenir, il y a encore des hommes et des femmes –des petits Guillaume qui deviendront grands- qui ont encore assez le goût de la liberté pour trouver et prouver qu’elle est aussi essentielle à la vie que l’eau de nos sources.

A condition de la boire, cette liberté, à la santé de tous, chez nous et jusqu’au bout du monde.





Claude Ducarroz





samedi 3 novembre 2012

Homélie du 31ème dimanche ordinaire

Homélie


31ème dimanche ordinaire



« L’Eglise, c’est beaucoup trop compliqué pour moi. Je préfère suivre ma religion personnelle en obéissant à ma conscience. »



Vous avez sûrement entendu une réflexion semblable de quelqu’un qui se dit croyant, mais ne veut pas s’embarrasser de dogmes à croire, de rites à pratiquer, d’obligations à observer. Pourquoi surcharger sa vie de traditions d’un autre âge, que d’autres nous imposent, alors qu’on peut être religieux –et peut-être même bon chrétien- simplement en étant un honnête homme, sans couper les cheveux en quatre au salon de coiffure d’une Eglise ?



Il y avait quelque chose de cette mentalité chez ce scribe qui s’avança vers Jésus en lui demandant : « Quel est le premier des commandements ? » Sous entendu : celui qui résume tous les autres et suffit à faire un bon juif fidèle et même pieux.

Jésus ne va pas chercher midi à quatorze heures : il lui rappelle ce qu’il sait déjà, à savoir l’essentiel de la loi divine confiée à Moïse pour le peuple d’Israël. Nous connaissons aussi ce double commandement de l’amour de Dieu et du prochain.



Tout paraît donc simple en effet. Mais en même temps, tout se complique quand il s’agit de mettre en pratique en vérité cette feuille de route aux apparences d’extrême sobriété.

D’abord tout commence par ces deux mots qui donnent le ton : « Ecoute, Israël ! »

Ecouter Dieu. Certes c’est l’écouter dans l’intimité de sa conscience, ainsi définie par le concile Vatican II : « …le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » GS no16.



Est-ce à dire que tout le reste ne sert à rien, à savoir les commandements et autres recommandations promulguées par les religions ? Nous le vérifions chaque jour en observant l’actualité du monde et notre propre vie. En toute conscience, et parfois même en toute bonne conscience, nous sommes capables du meilleur et aussi du pire, tant notre faculté de faire le bien est parfois submergée par notre habileté à faire le mal, en allant même jusqu’à le justifier.



Comme il fait bon alors, rappelé par la révélation divine et par notre religion, entendre à nouveau le commandement du double amour sans lequel nous risquons tous de nous tromper nous-mêmes et de tromper les autres dans l’accomplissement aveugle de notre propre volonté.

Oui, c’est très simple puisque Jésus lui-même le dit : « Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » Mais en même temps, qui peut dire qu’il a déjà aimé Dieu « de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force. » ? Et qu’il a aimé son prochain, y compris ses ennemis, ajoutera Jésus, « comme lui-même » ?

En amour selon Dieu, nous serons toujours des apprentis de première année. Faut-il alors se décourager, devenir des dépressifs de la sainteté ? Surtout pas.

A ce scribe qui n’était certainement pas meilleur que nous, Jésus a fait cette déclaration pleine d’espérance : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. »



Et puis justement, sur cette route d’exigence mais aussi de beauté et de joie, il y a le secours de Dieu et la fraternité de l’Eglise.

Il y a d’abord ce grand prêtre dont nous parle l’épître aux Hébreux qui nous rappelle que Jésus est « capable de sauver de manière définitive ceux qui s’avancent vers Dieu grâce à lui. » Sur la route de la sainteté, nous sommes bien accompagnés, en cas de chute quelqu’un est toujours prêt à nous relever. Il y a la morale, il y a aussi le pardon ; il y a parfois la misère, il y aura toujours la miséricorde.



Et puis heureusement, il y a l’Eglise. Certes elle ne remplace pas notre conscience personnelle, elle s’engage même à la respecter. Mais elle est aussi là pour éclairer cette conscience, pour signaler les impasses, pour nous donner la main quand nous trébuchons, afin que l’amour de Dieu et du prochain demeure notre boussole, jusque dans nos brouillards et nos nuits intérieurs.



Cette Eglise ne doit jamais oublier que, selon la parole de Jésus, l’amour de Dieu et du prochain « vaut mieux que toutes les offrandes et tous les sacrifices ». Autrement dit tous nos cultes, même les plus religieux, et ce qui va avec, ne sont rien si l’amour n’est pas à la base de tout, dans ses deux faces inséparables : aimer Dieu, aimer son prochain.



Toute religion risque toujours de surévaluer l’extérieur contrôlable au détriment de l’intérieur personnel et mystérieux. C’est pourquoi il y a parfois des conciles pour remettre l’Eglise au milieu du village, ou plutôt l’Evangile au coeur de l’Eglise. Merci Jean XXIII, merci Vatican II.



Ce retour au centre est symboliquement représenté dans le portail d’entrée de notre cathédrale. Le Christ en gloire domine le monde, l’histoire, l’Eglise. Ce Christ, « le grand prêtre qu’il nous fallait », a gardé la couronne d’épines pour rappeler son sacrifice par amour. Et dans les trois voussures est représentée la communion des anges et des saints, tous les mains jointes, qui nous accueillent ici et nous attendent là-haut en priant pour nous.

Prenons place dans ce beau cortège d’humains pécheurs mais sauvés, qui s’avancent vers le Royaume, à la rencontre du Christ-Roi.

Oui, nous faisons partie du pèlerinage puisque Jésus redit à chacun de nous : « Confiance, tu n’es pas loin du Royaume de Dieu. »



Claude Ducarroz



lundi 29 octobre 2012

Homélie de la Toussaint 2012

Toussaint 2012




8 milliards ! Non, il ne s’agit pas de dollars ou de francs suisses, ce qui revient presque au même selon le cours de la bourse actuelle.

8 milliards ! Il s’agit des êtres humains vivant actuellement sur notre planète Terre.

Que de diversités de toutes sortes : physiques, culturelles, sociales, politiques, religieuses. 8 milliards de fois différentes d’être un homme. Ou une femme évidemment.



Une chose au moins est semblable à tous : nous cherchons tous le bonheur, nous souhaitons tous être heureux. Chacun à sa façon évidemment.

Et pourtant il y a beaucoup de malheureux ici-bas. Nous le sommes tous, au moins à certains moments de notre vie. Et même les plus heureux ne le sont pas parfaitement. Comme le dit un proverbe connu : le bonheur n’est pas de ce monde ! Ne serait-ce pas que nous nous trompons d’adresse dans notre quête haletante du bonheur ?



Vous l’avez entendu : quelqu’un vient de nous parler, lui aussi, de bonheur. Quelqu’un vient de nous dire 9 fois « heureux ». C’est Jésus de Nazareth dans cet évangile des béatitudes. A y voir de plus près, il nous propose et nous promet deux bonheurs.



Le premier s’écrit avec une minuscule parce qu’il demeure imparfait, précaire, fragile, même s’il s’agit d’un vrai bonheur. Il peut être expérimenté dès ici-bas à condition de suivre la feuille de route donnée par ce même Jésus.



Mais attention : pas de recettes faciles comme celles qu’essaient de nous vendre toutes les publicités de consommation matérialiste et hédoniste, et finalement surtout égoïste. Comme si le bonheur humain ne pouvait se construire que sur le malheur des autres.



Le bonheur, selon Jésus, grandit en se partageant avec les autres. Ces petits bonheurs-là font d’autres heureux, surtout parmi les malheureux. On ne regrette jamais de tout faire pour être heureux ainsi, car ces « béatitudes » sont les purs fruits d’un grand amour au quotidien de la vie. Et seul l’amour est source de vraie joie, cette joie dont le Christ nous promet que rien ni personne ne peut nous l’enlever.



Le bonheur d’être simple dans notre style de vie, celui d’être libre à l’égard des biens matériels, celui d’avoir un cœur pur, désencombré des passions les plus impétueuses.



Le bonheur de travailler à la justice pour tous, celui de préférer la force d’aimer aux violences de la force brute, celui d’oser pardonner pour rétablir de bonnes relations.



Le bonheur de s’investir pour la paix au lieu de promouvoir la guerre, celui de souffrir, s’il le faut, « à cause de Jésus et de l’Evangile » parce c’est eux seuls qui ont le dernier mot du bonheur qui dure.



Et le bonheur majuscule, alors ?

Dans ses béatitudes, Jésus nous parle aussi du bonheur dans le Royaume de Dieu, sur cette terre nouvelle promise dans les cieux.

Autrement dit quand Dieu lui-même, qui n’est qu’Amour, sera notre plein bonheur puisque nous serons en lui comme le poisson dans la mer, complètement immergés dans sa tendresse et sa lumière infinies.

Inutile de fantasmer sur ce bonheur puisqu’il dépasse infiniment nos capacités actuelles de représentation. Il suffit de savoir que là où est le Christ ressuscité maintenant, nous serons aussi, puisqu’il est allé nous préparer une place de gloire auprès de lui dans la maison de son Père, là où il y a de l’espace pour beaucoup de monde.

Et c’est là –nous le croyons- que nous attendent aussi nos chers défunts. Nous demandons pour eux, qui nous ont aimés et que nous avons aimés, de pouvoir passer à la majuscule du bonheur auprès de Dieu. Cette humble prière est notre manière à nous de continuer de les aimer et de leur dire merci.



Dans la communion des saints, nous pressentons que nos liens de famille ne sont pas coupés mais transfigurés. Quand nous allons au cimetière ou simplement quand nous pensons à eux, nous ranimons nos souvenirs émus. Plus encore : en passant par le Christ, nous nous tenons par la main en enjambant le ravin de la mort, car ils sont des vivants autrement et non pas des morts pour toujours, parce que, eux comme nous, nous misons sur les énergies de la Pâque universelle inaugurée par le Christ.



Et dans cette messe maintenant ne sommes-nous pas tous réunis par lui et en lui ?

La Toussaint : quelle fête belle de famille nombreuse. Très nombreuse !



Claude Ducarroz

Homélie 30ème dimanche ordinaire

Homélie


30ème dimanche du temps ordinaire





Tout y était ! il ne manquait rien ni personne. Que voulez-vous de plus ? Il y avait Jésus, une foule nombreuse, ses disciples et même le pauvre de service. On connaît même son nom : Bartimée, le fils de Timée, un mendiant aveugle.

Et pourtant il manquait quelque chose –plusieurs choses- pour faire un évènement qui fasse un Evangile, une vraie « bonne nouvelle. »



Premièrement, le pauvre crie. Ou plutôt il prie ; il prie en criant vers Jésus : « Jésus, fils de David, aie pitié de moi. » Priorité au pauvre -à tous les pauvres, de toutes les pauvretés. Ils ont encore le droit de crier et de prier au cœur de notre monde à la fois merveilleux et cruel. Qui les entend ? qui les écoute quand ils crient « de plus belle », comme le Bartimée de Jéricho ?



Et que dit Jésus, que fait Jésus ?

Il l’appelle, ou plutôt il demande aux autres –et d’abord aux disciples et même à ceux qui l’avaient empêché de crier- de l’appeler afin qu’il vienne vers lui dans un élan, et même un bond, un saut pleins de confiance. Entre Jésus et lui, pour provoquer la rencontre de salut et de guérison, il y a des « serviteurs et servantes de l’appel », des ministères d’Eglise. Jésus appelle… des appelants. Jésus met en route des médiateurs de rencontre. Jésus suscite des services d’écoute et d’invitation. Surtout quand des pauvres souffrent, prient, crient.

« Appelez-le », dit Jésus. On appela donc l’aveugle en lui disant : « Confiance, lève-toi, il t’appelle. »



Là est la mission de l’Eglise, de toute l’Eglise… que nous sommes. Celle de chacun d’entre nous, chacun avec ses charismes propres. Personne ne peut dire qu’il n’a rien à faire, qu’il ne sait rien faire quand il s’agit de faciliter la rencontre entre Jésus et un pauvre. Ne serait-ce que parce que chacun de nous, quel qu’il soit, a été, est ou sera, comme Bartimée, un pauvre qui a besoin de Jésus, un criant et un priant, avec sa misère connue ou secrète. Nous sommes tous aussi des Bartimée.

Appelés ou appelants, il nous faut tous, tôt ou tard, jeter le manteau de nos fausses richesses, nous alléger de notre orgueil, pour bondir vers Jésus et nous jeter, confiants et libérés, dans les bras de sa miséricorde, le manteau en moins, la tendresse en plus.



Cette miséricorde, dans cet évangile, s’exprime dans un dialogue presque naïf, d’une merveilleuse simplicité : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? », comme si Jésus ne le savait pas. C’est qu’il veut lui conférer la dignité du priant, qui collabore à sa propre guérison. « Rabbouni, dit l’aveugle, que je voie ! » Et Jésus de répondre : « Va, ta foi t’a sauvé. » Le sauveur semble s’effacer devant le nouveau « voyant » du salut. Un amour, une foi : tout l’ingrédient d’une vraie « bonne nouvelle. »



Il nous reste à contempler le résultat. Il est double : l’aveugle voit, c’est la moindre des choses, et en plus il suit Jésus sur la route. Peu à peu, il devient disciple, il rejoint une Eglise dynamique, toujours en chemin avec Jésus, vers d’autres pauvres, vers d’autres guérisons, vers d’autres bonheurs partagés.



On parle beaucoup ces temps-ci de « nouvelle évangélisation », y compris à Rome où s’achève le synode des évêques qui lui est consacré.

Tout est dans cet évangile.

Jésus continue de marcher au pas de notre humanité par les inspirations et les énergies de son Esprit, surtout quand il aperçoit des pauvres laissés pour compte au bord de nos routes. Evangéliser, c’est peut-être d’abord faire attention à eux, les appeler par amour à la suite de Jésus, leur révéler un évangile de libération et de promesse.

Et nous laisser évangéliser…en évangélisant.



Etre Eglise, faire Eglise, c’est surtout conduire au Christ, et non pas à nous. Ce n’est pas « faire du chiffre » pour l’Eglise, c’est faire signe pour Jésus, dans nos églises certes, mais aussi et surtout autour de nos églises, dans la vie de chaque jour, là où nous partageons le destin de nos frères et sœurs en humanité, à commencer par les plus pauvres, en leur donnant la main. Le tout enrobé de prière, certes, avec des appels courageux.

Mais surtout avec cette joie très particulière qui consiste à suivre Jésus sur la route – sa route – en donnant envie à d’autres de rejoindre l’humble cortège qui nous entraîne tous jusque dans la vie éternelle.

Eglise, Eglise que nous sommes : bon voyage !



Claude Ducarroz





mercredi 17 octobre 2012

En hommage à + Soeur Denise-Marie

+Sœur Denise-Marie
En hommage et merci

Il y a trois manières de bien lire l’Evangile, et pourquoi ne pas choisir toutes les trois ?

La première consiste à plonger dans le texte sacré, avec un cœur ouvert par la prière, tout à l’écoute de l’Esprit qui anime la lettre et transfigure la vie.
La deuxième est une forme de contemplation, celle que nous pratiquons lorsque nous nous laissons toucher par les œuvres d’art qui nous racontent l’Evangile sur toutes les gammes de la beauté. Une fresque de Fra Angelico à Florence, la Pietà de Michel-Ange, le Requiem de Mozart et tant d’autres chefs-d’œuvre nous ramènent par l’émotion aux sources bibliques du salut.
Et puis il y a la fréquentation de certaines personnes qui incarnent, par ce qu’elles font et surtout ce qu’elles sont, telle ou telle page de la divine révélation.

Je n’hésite pas à le dire maintenant qu’elle n’est plus là pour protester : Sœur Denise-Marie était de ces témoins qui font voir l’Evangile en les regardant vivre, tout simplement.
Durant 15 ans, dans cette paroisse et au-delà, j’ai médité souvent la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu en observant, souvent admiratif, parfois inquiet, les faits et gestes de cette vraie « sœur de la charité ».
Quand je voulais l’agacer, tout en m’amusant un peu, je luis disais qu’elle était  la « Mère Teresa  du Valentin ». Elle protestait. Mais quand on lui demandait ce qui la faisait agir, courir, s’indigner, remettre en question, déranger en interrogeant la conscience, forcer à l’engagement au service des plus pauvres, elle citait aussitôt, comme la sainte de Calcutta, cette phrase de l’Evangile de Matthieu : « Tout ce que vous faites -ou pas- à ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites… ou pas. »
Tel était le fond de sa spiritualité, telle était la source vive de son action, telle était sa motivation la plus profonde.

Dès lors tout être humain, quels que soient son origine, sa culture, sa religion, et même ses défauts et ses astuces, était digne de son écoute, de son attention, de son secours. Il suffisait qu’il soit en manque de quelque chose –par exemple de dignité, de respect, de solidarité- pour que montent en elle la sainte colère d’une protestation et surtout la violente impatience d’une action, parfois solitaire, souvent partagée, car elle avait l’art de nous mettre au boulot avec elle quand la cause de la fraternité humaine et de la charité chrétienne était en jeu. Il y avait en Sœur Denise-Marie une redoutable contagion de l’amour traduit en imagination pour aider, secourir, relever, restaurer en humanité.

Elle aurait pu se contenter d’une compassion efficace à la manière d’une super « dame de charité ». Eh ! bien non ! Elle avait la charité intelligente et même perspicace. J’ai souvent été frappé par sa capacité d’analyse des  misères dans leurs causes sociales, économiques et politiques. Son cœur réagissait dans les urgences comme il se doit quand on est une fille de sainte Jeanne-Antide. Mais son esprit voyait plus large, dans les racines et dans les conséquences de ce qui fait souvent le malheur des pauvres gens.
Tout naturellement, sur ces terrains de la lutte quotidienne pour l’humanité de l’homme –de tous les hommes, et d’abord des plus fragiles et exclus-, elle se trouvait en fraternelle compagnie avec celles et ceux qui avaient au cœur la même passion de servir et de libérer. Ils avaient souvent d’autres références philosophiques ou religieuses : peu importe. C’est la capacité d’investissement pour l’autre –pour les autres-  qui bâtissait entre tous, croyants ou non, une merveilleuse et efficace communion.
Car de cette femme à la fois fragile et forte émanait un rayonnement qui dépassait largement  les cercles de la religion et de l’Eglise. Par son exemple d’une extraordinaire générosité, elle nous forçait à être meilleurs, pas dans les discours toujours trop faciles, mais dans les actes et en vérité.

Bien sûr, elle avait aussi ses défauts, qui étaient le plus souvent le revers de ses précieuses qualités. On ne pouvait que lui pardonner d’être parfois trop bonne quand on sait que, dans ce bas monde et face à tant de misères, il faut être trop bon pour l’être assez.

Enfin je veux souligner combien sa vie religieuse, faite de méditation, de prière et d’eucharistie a constitué le cœur brûlant de son action. Sans ostentation, mais avec une fidélité basique qui m’a souvent édifié, elle misait sur cette communion avec le Christ pour mieux aimer ses frères et sœurs en humanité. Généralement en retard à la messe pour cause de rendez-vous imprévus ou urgents, elle quittait alors le Christ pour le Christ. Elle était donc toujours à l’heure de l’Amour. Maintenant elle le voit puisqu’elle est arrivée.
Sœur Denise-Marie : merci !

Claude Ducarroz