vendredi 16 novembre 2012

Hommage à Yoki

+ Yoki Aebischer




La beauté…la bonté…la spiritualité. Et quatre lettres très humbles au coin du vitrail d’une longue vie. Une signature : Yoki. Notre cher Yoki.



La beauté d’abord, puisque, selon le message de l’apôtre Paul, « la création aspire de toutes ses forces à ce que la gloire de Dieu se révèle en nous ». Car Dieu est beauté. C’est elle qui sauvera le monde. Les artistes sont à la fois les prophètes et les artisans de cette beauté incarnée dans notre matière. Au sein d’une humanité souvent délabrée, ils ouvrent une brèche de splendeur qui transfigure nos cieux d’orage en échappée vers le paradis. Contempler un beau vitrail, surtout dans le silence d’une église, c’est reposer son âme à l’orée du Royaume de Dieu. Y a-t-il meilleur bonheur que la joie de se sentir emporté, jusqu’à l’extase parfois, dans la sereine lumière d’une œuvre qui respire la grâce, celle dont Dieu fait à la fois les artistes et les saints ?



Jusqu’au bout, Yoki a été au milieu de nous l’humble serviteur et l’ardent serveur de cette beauté-là. Chez nous beaucoup, et ailleurs aussi, il a semé, dans le verre, sur la toile et autrement encore, ces étincelles de poésie jaillies d’un cœur profondément contemplatif, des œuvres destinées à exciter le mystère qui nous habite et nous invite : notre capacité d’émerveillement. Il l’a fait avec un sourire fraternel, sans la prétention énervante des vedettes de l’esthétisme, mais dans la simplicité des partages chaleureux. Chez lui, le culte du beau donnait la main aux délices de la rencontre, avec l’accent inimitable de Joan, toujours en verve, dans les riches coloris de la communion humaine.



La bonté aussi, celle qui nous fait mieux comprendre pourquoi Dieu est amour, conjointement avec la beauté justement. En ce monde où il faut être trop bon pour l’être assez, la beauté serait encore froide et les œuvres tristement anonymes s’il n’y avait l’infinie bonté de Dieu et la chaude amitié de certains artistes. Nous admirons les prouesses des esthètes, mais nous sommes surtout touchés, jusqu’à l’émotion, jusqu’aux larmes, quand elles nous sont servies par un cœur généreux, dans le merveilleux rayonnement de la tendresse. Il en faut pour l’intelligence, il en faut surtout pour le cœur. Heureux ceux qui peuvent offrir tous les deux, comme des compagnons de pleine humanité, à l’image de Celui qui vient de nous redire : « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux qu’ils soient avec moi et qu’ils contemplent ma gloire, parce que tu m’as aimé. »



Yoki baignait dans cette double logique de contemplation et d’amour. Depuis ses commencements de pauvreté qu’il aimait évoquer sans aigreur ni regret, jusqu’à ses fréquentations des plus fins artistes et des plus subtils intellectuels, il resta lui-même pour continuer d’aimer les petits comme les grands, de tout son cœur simple et joyeux. Passer une soirée chez lui –ou plutôt chez eux- était un régal pour l’esprit et aussi une caresse pour le cœur. On en revenait pas seulement plus cultivé, mais surtout plus affectionné, comme la lumière et la chaleur sont inséparables dans ce bel artiste qu’est le feu.



Enfin la spiritualité. Il faut même dire : la mystique. Si l’art ouvre une porte sur une transcendance énigmatique, si l’amour -à commencer par celui qui relie des conjoints, les enfants, les petits enfants- a toujours un goût d’éternité, il faut oser pousser le portail qui mène à la source de tout. Tous n’y parviennent pas. Personne ne le leur reprochera. Mais quel nouveau bonheur que celui de pouvoir tout réunir et finalement tout goûter dans le mystère même de Dieu, « afin qu’ils aient en eux l’amour dont tu m’as aimé, et que moi aussi je sois en eux », priait Jésus pour nous. Oui, là, quand la beauté prend une majuscule, quand la bonté devient l’Amour même, quand la spiritualité s’habille de mystique, comme un lever de soleil derrière le vitrail de l’existence.



Qui n’a pas été frappé par la foi et par la vie religieuse de Yoki ? Sans ostentation certes –il était trop humble pour vouloir donner des leçons-, mais avec des convictions profondes, puisées dans la tradition familiale, étayées par la religion irlandaise de Joan, nourries par les belles liturgies et musiques qu’il chérissait. Cette spiritualité ne l’a jamais empêché de demeurer un homme libre, avec une réflexion critique, y compris sur son Eglise. Mais la figure du Christ et des saints, les symboles et les vérités de l’Evangile qu’il a si souvent mis en scène et en lumière, habitaient sa personne, non seulement comme source d’inspiration esthétique mais comme moteur de vie concrète. Il vivait de ce qu’il illustrait, il illustra ce qui le faisait vivre.



Pour toutes ces raisons, et tant d’autres encore que vous pourriez exprimer encore mieux que moi, vous, si nombreux, qui l’avez connu et aimé, admiré et rencontré, nous lui disons aujourd’hui merci. Devant Dieu et devant vous. Merci et au revoir.

Dans le Royaume de la Pâque, en plein mystère trinitaire et dans la communion des saints, tout n’est que beauté, bonté et spiritualité. Les pinceaux sont pour ce monde. Les yeux du cœur pour l’éternité.



Claude Ducarroz



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