vendredi 31 octobre 2014

Commémorer l'espérance

Dimanche 2 novembre 2014

Commémorer l’espérance

C’est plutôt exceptionnel : le 2 novembre tombe cette année sur un dimanche. Le 31ème dimanche du temps ordinaire s’efface donc devant la commémoration de tous les fidèles défunts. Du coup, une ambiance de cimetière pourrait plomber la liturgie dominicale. Encore que certains cimetières soient plutôt des lieux de paix et de beauté.
Il n’y a pas de honte à être triste quand on a perdu un être cher. Il n’y a pas de gêne à pleurer quand on évoque telle personne trop tôt disparue. Nous sommes aussi des êtres d’émotion, et celle-ci doit pouvoir s’exprimer sans remords. Il y a place en ce jour pour une saine et sainte nostalgie. La mémoire peut aussi se teinter de chagrin. C’est humain.
Mais la liturgie de cette fête, toute illuminée par le mystère pascal, convertit nos souvenirs consternés en solide espérance. Il suffit de quelques petites phrases, quand elles viennent de la Parole de Dieu, pour transfigurer nos afflictions en consolation et même en confiance retrouvée.
Et si c’était vrai ? Que la vie des justes est dans la main de Dieu. Que le Dieu d’amour accorde à ses fidèles grâce et miséricorde. Que nous verrons la bonté du Seigneur sur la terre des vivants. Que nous partagerons pour toujours la gloire du Christ ressuscité.
Bien sûr, devant une tombe ou une urne, personne ne pourra jamais nous dispenser du saut de la foi. Il faut comprendre celles et ceux qui meurent sans espérance ou commémorent leurs défunts sans parvenir à dépasser la douleur d’une perte sans espoir de revoir. « On les croyait anéantis, alors qu’ils sont dans la paix », dit l’auteur du livre de la Sagesse.
Il ne faut rien moins que la résurrection du Christ pour changer le cours fatal de notre histoire. Autrement dit un pur cadeau qui, s’il est offert à tous, n’est pas une évidence imposée à chacun. Celles et ceux qui croient à la vie éternelle ne peuvent qu’en témoigner humblement, y compris dans leurs deuils qu’ils partagent avec tous les autres humains, sans se prétendre plus vaillants qu’eux. Mais nous avons au moins ce ferme espoir que le Seigneur accueillera dans sa maison, pour les inviter à sa table, tous ceux qui, même sans l’avoir connu ni reconnu, auront servi leurs frères et sœurs humains dans la gratuité de l’amour. Comme Lui.
 « Heureux seront-ils ! », promet Jésus lui-même.
Et Marie sera sans doute là près de la porte, selon ce poème de Charles Péguy, décédé sur le front de la guerre il y a exactement 100 ans :
Nous ne demandons rien, refuge du pécheur
   Que la dernière place en votre Purgatoire
     Pour pleurer longuement notre tragique histoire
                                     Et contempler de loin votre jeune splendeur.
La tapisserie de Notre-Dame  1913

                                                                                                          Claude Ducarroz
A paru sur le site  cath-ch



Homélie de la Toussaint

Toussaint 2014



Heureux ! Neuf fois heureux !
Heu-reux ! C’est facile à dire, mais tellement plus difficile à faire ou plutôt à être, n’est-ce pas ?
Comment être heureux quand on a des gros ennuis de santé, quand on a perdu un être cher, quand on a des problèmes au travail, quand on a des soucis dans son couple ou avec ses enfants ? Et puis tout ce qu’on lit, voit, entend sur la situation du monde, qui ne peut pas nous laisser indifférents.

Ces déclarations de bonheur –qu’on appelle les béatitudes- sont-elles des provocations un peu trop faciles ou une feuille de route… qui tient la route, justement ? Il n’est pas si simple de répondre à cette question.

On peut évidemment tout renvoyer dans le Royaume de Dieu, la terre nouvelle promise au-delà de la mort, « car votre récompense sera grande…dans les cieux », conclut Jésus.
Nous n’allons pas cracher sur une telle promesse. Elle est garantie par le Christ ressuscité qui nous a dit : « Je vais vous préparer une place… Et là où je suis, vous serez aussi avec moi. » N’est-ce pas ce que nous demandons et espérons pour tous nos chers défunts ? En attendant que ce soit pour nous, avec tous les saints et saintes du ciel. 
Nous avons bien raison de nous cramponner à cette espérance qui, finalement, correspond à nos plus chers désirs, pour nous-mêmes et pour ceux et celles que nous aimons : être heureux pour toujours avec Dieu, la source de notre vie et l’océan de notre rivière. Oui, comme dit l’apôtre Jean : « Nous serons semblables à Dieu parce que nous le verrons enfin tel qu’il est. »
Faut-il dès lors en rester là, au risque de transformer la religion en opium du peuple, à savoir une vague promesse de consolation illusoire dans l’au-delà ? Elle peut éventuellement nous aider à supporter les maux d’ici-bas, mais sans conférer un sens à cette vie, autre que d’être la salle d’attente plus ou moins confortable en vue de la vie d’après ? Le vaudois qui préférait le vin d’ici à l’(e)au-delà aurait-il, quelque part, raison ?

Regardons ces fameuses béatitudes d’un peu plus près. Elles ouvrent une espérance de vie éternelle, mais elles tracent aussi un chemin qui devrait nous aider à marcher sur cette terre déjà, debout et non pas en rampant. Certes c’est parfois paradoxal, un peu comme la vie : « Ceux qui pleurent seront consolés, ceux qui ont faim et soif de justice seront rassasiés, les miséricordieux obtiendront miséricorde et les artisans de paix recevront la dignité de fils et filles de Dieu. » Pas seulement dans l’au-delà, mais dès maintenant.

Il y a donc une possibilité ouverte, même pour ceux qui traversent des adversités et des souffrances, d’être heureux maintenant, en attendant le bonheur parfait de l’autre côté de la mort. Un bonheur que Jésus décrit ainsi : « Que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite… Une joie que personne ne pourra vous enlever. »

Et c’est vrai. Quand on regarde la vie des saints, on se rend compte que beaucoup parmi eux ont passé par des épreuves, mais qu’ils ont su garder la joie essentielle. Pensons par exemple à saint François d’Assise. Quelle belle leçon !

Elle est double. D’abord cette joie, il faut aller la chercher dans les profondeurs, au niveau de l’être plutôt que dans le faire ou le ressentir. Je ne veux pas signifier par là qu’il n’est pas important de trouver aussi du plaisir à vivre, des petits bonheurs quotidiens, dans les expériences de l’amour, de l’amitié, des relations humaines d’apparence banale. Comme on est heureux d’avoir encore de la petite monnaie dans son porte-monnaie !
Jésus lui-même a apprécié les délices de la table entre amis, les beautés de la nature, le sourire tout neuf de celles et ceux qu’il aidait à vivre ou à revivre.
Mais quand il voulait puiser dans la nappe phréatique de la vraie joie, il se retirait sur la montagne, priait le Père dans le secret, accomplissait sa volonté et non pas nécessairement la sienne propre. Quand il exulta sous l’action de l’Esprit-Saint, c’est parce que le Père avait caché ses mystères aux sages et aux habiles et les avait révélé aux pauvres et aux petits.
Le bonheur, finalement, c’est une affaire de communion des êtres plutôt que les démonstrations du paraître ou les exploits du faire.
Et cela est possible même dans les difficultés. On pourrait dire que ce bonheur-là est offert à tous en toutes circonstances, car il est un cadeau de Dieu sans interruption. Les saints nous en donnent la preuve.

Finalement, la meilleure recette du bonheur ici et maintenant, --après avoir mangé et bu dans le bonheur même de Dieu qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes-, ne serait-ce pas de contribuer à faire le bonheur des autres, selon cette parole de Jésus : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ! » ?
On peut appeler cela la joie d’aimer, mais aussi, plus simplement peut-être, le bonheur de faire plaisir, de donner un coup de main, d’aider à se relever, à grandir, à retrouver un sens à la vie. A qui, aujourd’hui, as-tu offert ne serait-ce qu’un petit supplément de bonheur ? C’est peut-être ça la sainteté au quotidien.

* La mort des autres nous rappelle sans cesse, et parfois douloureusement, que nous sommes tous mortels et que, par conséquent nous devons nous tenir prêts, car nous ne connaissons ni le jour ni l’heure.
* La présence discrète des saints et saintes nous indique la prairie du bonheur parfait dans les jardins du paradis auprès de Dieu qui nous comblera de sa propre joie. Heureusement.
* Et le partage avec celles et ceux qui nous entourent sur cette terre nous invite à toujours prendre les chemins de l’amour fraternel pour semer dès maintenant des graines d’éternité qui donneront des fruits dans le royaume des cieux.

Alors nous expérimenterons l’actualité de cette invitation exorbitante de Jésus, la dernière béatitude. »Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux »


                                   Claude Ducarroz

vendredi 17 octobre 2014

César et/ou Dieu?

César et/ou Dieu ?

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! »
Que de malentendus, que d’erreurs, que de crimes même autour de cette petite phrase de l’évangile citée seulement par Matthieu.
- Puisqu’il faut rendre à César ce qui est à lui, les princes d’ici-bas ont-ils le droit d’exiger tout et n’importe quoi de leurs sujets, y compris lorsqu’ils les nomment plus  démocratiquement des « citoyens » ?
- Puisqu’il faut rendre à Dieu ce qui lui appartient -autrement dit tout-, les pouvoirs religieux peuvent-ils user même de la violence pour contraindre les hommes à accomplir leurs devoirs sacrés ?
On a vu tout cela dans l’Histoire, et parfois encore aujourd’hui. Les deux règnes antagonistes n’ont pas fini de se disputer le cœur et la conscience des personnes.
Soyons justes : dans nos sociétés européennes, de gros progrès ont été accomplis dans les relations entre César et Dieu. Traduisons : entre l’Etat et les Eglises. Sous le slogan « Une Eglise libre dans un Etat libre », on a cherché à mieux définir les droits et devoirs des personnes qui appartiennent à la société de cette terre tout en revendiquant un attachement à une religion qui pointe vers le ciel.
Sans être parfaite, la démocratie pluraliste assure au mieux un certain équilibre entre les allégeances. Les citoyens ont des droits, mais aussi des devoirs, que les Eglises leur rappellent. Car on n’est pas encore dans le Royaume de Dieu. Mais les croyants doivent pouvoir jouir des libertés fondamentales qui leur permettent d’exprimer sans entrave leurs convictions, en privé et en public, évidemment avec égard pour celles et ceux qui ne pensent pas nécessairement comme eux. C’est à l’Etat de veiller sur le respect de ces espaces de liberté.
Où en sommes-nous aujourd’hui chez nous ? A la faveur d’un individualisme qui frise l’égoïsme, on en vient à exiger surtout le respect des droits personnels sans estimer que nous avons aussi des devoirs, y compris vis-à-vis de la communauté sociale et politique. Les Eglises feraient bien aussi de répéter aux croyants –et aux autres en passant- que tous doivent aussi rendre à César ce qui lui appartient afin que la vie commune sur cette terre soit marquée non seulement par le primat des libertés individuelles mais aussi par la nécessité des solidarités sociales. Y compris par la justice salariale, le paiement des impôts et le secours dû aux plus faibles.
Echange de bons procédés ! L’Etat se doit de respecter les consciences de ses citoyens, notamment  lorsqu’ils s’expriment à travers les religions et Eglises, dans la mesure où le bien commun, défini démocratiquement, est bien servi par leurs engagements au bénéfice de tous, à commencer par les plus pauvres. Un supplément d’âme ne peut qu’être bienfaisant pour toute la société. Les Eglises sont aussi là pour le proposer et le vivre. Dans la liberté évidemment.
César ou Dieu ? Les deux, mais chacun à sa place. Je ne vois pas en quoi les citoyens, même sans religion, auraient à craindre celles et ceux qui estiment que Dieu doit être premier servi quand on sait combien ce Dieu-là est ami des hommes. De tous.

                                                                       Claude Ducarroz

A paru sur le site www.cath.ch

mardi 7 octobre 2014

Si je puis me permettre...

Si je puis me permettre…

Qui suis-je pour (oser) en parler ? Moi qui suis un célibataire, et même un vrai. Sauf que je suis amené à accueillir des fiancés et à bénir des mariages. Avec joie ! Mais pas de semaine -ou presque- sans que j’apprenne la nouvelle d’une séparation ou d’un divorce. Qui l’eût cru ? Il y avait pourtant beaucoup d’amour entre eux et une grande espérance autour d’eux.
Mystère de l’amour. Mystère aussi du désamour. La fragilité des couples –pas tous heureusement- me taraude en mon cœur et en ma conscience. Comment peut-on passer si rapidement des tendresses les plus démonstratives aux conflits sans remède ?

Je regarde le bouquet de roses qu’un (vieux) couple d’amis m’a offert à l’occasion d’une visite. Elles étaient superbes, ces fleurs achetées chez le fleuriste, avec un petit sachet de poudre pour favoriser leur santé. Et pourtant, si peu de jours après, les voilà déjà en train de flétrir, bientôt destinées au cimetière des beautés mortes par incapacité de durer. C’est que ces roses avaient été coupées de leurs racines. L’eau dans le vase, même avec le coup de pouce du sachet bio, ne peut suffire à les prolonger longtemps. Une rose s’épanouit vraiment quand elle demeure sur le rosier, les racines en bonne terre et la sève discrète mais vitale, qui circule dans ses branches, du feuillage jusqu’au sommet de la fleur.
N’y aurait-il pas trop d’amours sans racines spirituelles, trop de couples coupés de leur sève religieuse, qui fleurissent hors sol, périssables comme un bouquet mis dans un vase, joli certes, mais qui ne peut faire illusion bien longtemps ?

Cela dit, je ne veux accuser personne. Les célibataires, y compris les prêtres, ont aussi leurs tentations et leurs fragilités. Ne serions-nous pas tous appelés à retrouver des racines plus solides en plongeant dans le terreau de la parole de Dieu, en nous exposant au soleil de la prière, en nous redonnant la main du cœur par le dialogue et la réconciliation, en nous laissant arroser par l’eucharistie, l’autre sacrement de l’alliance qui tient bon, même par mauvais temps ?

On peut discuter de beaucoup de choses, même dans un synode consacré à la famille. C’est utile. Mais le plus nécessaire sera toujours cette communion avec l’Amour majuscule qui retient et soutient dans son cœur nos amours minuscules.
Minuscules et pourtant porteuses de vocation à l’éternité.

Claude Ducarroz


A paru sur le site  www.cath.ch 

vendredi 3 octobre 2014

Encore une affaire de vignerons!

Encore une affaire de vignerons
Mt 21,33-43.

Ce n’est qu’une parabole, mais c’est encore d’actualité.
Comme il arrive souvent, cette parabole dite des « vignerons meurtriers » suscite plusieurs niveaux de lecture.

Jésus semble d’abord résumer l’histoire d’Israël. Ses privilèges : le propriétaire a soigné sa vigne en la dotant de tout ce qui lui est nécessaire pour donner du fruit. Et il l’a confiée à des vignerons en qui il a placé toute sa confiance. Parabole de l’alliance de Dieu avec son peuple de prédilection.
Puis vinrent les problèmes. Pire encore : les trahisons. On sait, par la bible elle-même –et sans tomber dans l’antisémitisme- combien Israël, souvent tancé par les prophètes, s’est montré indigne de cet amour préférentiel en allant jusqu’à persécuter ceux qui voulaient le ramener dans la fidélité à son Dieu.

Le tournant de la parabole pique en pleine actualité. C’est le passage des serviteurs au fils lui-même, autrement dit l’envoi de Jésus, le fils du Père devenu super-prophète au milieu de son peuple. Avec toutes les conséquences à venir : sa passion, sa mort et jusqu’à la résurrection, cette pierre rejetée qui devient la pierre d’angle pour tenir debout tout l’édifice du salut définitif. Une merveille sous nos yeux !

Enfin, il y a l’actualité de la communauté pour laquelle cet évangile a été écrit. On y voit, avec étonnement voire réticence, que des païens adhèrent de bon cœur à l’évangile tandis que les juifs hésitent beaucoup. L’Eglise est en marche vers les « gentils ».

N’y aurait-il pas une lecture possible pour notre actualité à nous, aujourd’hui ?
Bien sûr ! Dans nos pays dits de « vieille chrétienté », que devient l’héritage christique ? Ne sommes-nous pas plutôt du côté des vignerons ingrats et même infidèles qui gaspillent le trésor de l’évangile transmis par nos pères et mères dans la foi? D’autres, au loin, semblent aujourd’hui reprendre le flambeau de cette foi avec la joie de l’évangile, tandis que nous faisons la moue devant la révélation biblique, au point de la rejeter, que ce soit avec une certaine violence antichrétienne ou dans la douceur de l’indifférence.

Et voilà que notre pape nous invite à gagner les périphéries. En nous, autour de nous et jusqu’au bout du monde.
Heureusement, l’œuvre du Seigneur a encore quelques surprises à nous proposer. Il dépend aussi de nous qu’elle puisse devenir ou redevenir « merveille sous nos yeux ».

Claude Ducarroz

A paru sur le site cath.ch