samedi 8 juin 2019

Pentecôte 2019

Homélie
Pentecôte 2019

Un violent  coup de vent… des langues de feu…
Pas facile de se représenter de manière un peu humaine qui est le Saint Esprit. C’est pourquoi certains l’ont appelé le grand méconnu de la Sainte Trinité, au point de devenir parfois l’oublié dans la vie des chrétiens. Heureusement, la fête de Pentecôte est là pour nous rappeler opportunément qui il est et surtout ce qu’il fait en chacun de nous, dans l’Eglise et dans le monde.

Et puis j’ai redécouvert qu’une autre image pouvait nous y aider. Dans les quatre évangiles, au moment du baptême de Jésus, il est mentionné que l’Esprit Saint est descendu sur lui « sous la forme d’une colombe ». Mais malheureusement, le commentaire de la Traduction œcuménique de la Bible ajoute : « Aucune interprétation certaine n’a pu être donnée de ce symbole ». Alors je me risque à un commentaire plus personnel que je soumets à votre méditation de baptisés ayant reçu, vous aussi, l’Esprit de Jésus. Ne sommes-nous pas tous des enfants de la Pentecôte ?

En bonne théologie trinitaire, l’Esprit Saint, c’est le lien d’amour infini entre le Père et le Fils, leur parfaite communion en personne, le fruit de leur éternel baiser. Précisément, lors du baptême de Jésus, c’est toute la Trinité qui s’exprime au moment où Jésus de Nazareth reçoit du Père par une voix céleste la révélation de ce qu’il est –« Tu es mon fils, le bienaimé »- en même temps que le Souffle divin qui va lui permettre d’accomplir sa mission de Sauveur comme Agneau de Dieu qui ôte le péché de monde.
Et cet Esprit va demeurer sur le Christ jusqu’au moment où Jésus le transmettra à ses disciples, et plus largement à toute l’humanité. L’évangéliste Jean note que Jésus, au moment de sa mort en croix, a transmis l’Esprit, première Pentecôte universelle. Et l’évangéliste Luc parlera en quelque sorte du même évènement, sur l’Eglise d’abord réunie au Cénacle lors de la Pentecôte, mais sans oublier le vaste monde puisque, sur la place, des gens issus de toutes les cultures entendirent, chacun dans sa langue, parler des merveilles de Dieu.

Et la colombe alors ?
Pour voler, elle a besoin de deux ailes inséparables et coordonnées. Et nous aussi, pour être de vrais chrétiens, abreuvés du Saint Esprit, comme dit saint Paul (ICo 12,13), il nous faut voler de deux ailes, sur le vent de ce même Esprit, si nous voulons bien nous laisser conduire par lui. L’aile de la fidélité et l’aile de la liberté.

La fidélité d’abord, car l’inhabitation du Saint Esprit, qui fait de nous des enfants de Dieu et des héritiers avec le Christ, suscite en nous un profond attachement aux divers mystères révélés par l’évangile de Jésus. L’Esprit nous rappelle tout cela.
Sa parole à méditer et à goûter, son repas pascal à refaire en mémoire de lui, sa miséricorde à demander dans l’humilité et à accueillir dans la reconnaissance. Et même son Eglise –si imparfaite qu’elle soit-  justement parce qu’elle est le temple de l’Esprit et le Corps du Christ.
Face à toutes ces merveilles et à bien d’autres encore, l’Esprit nous incite à tenir bon dans la solidité de la foi, dans le courage de l’espérance, dans la vaillance de l’amour, dans la fidélité aux valeurs de l’Evangile.

 Et la prière, murmure de l’Esprit de Dieu qui habite en nous, nous ramène toujours à ce cri qui répète Abba, le balbutiement des enfants de Dieu bouleversés par la tendre majesté de Dieu le Père.

Mais il y a aussi l’aile de la liberté, puisque, nous l’a rappelé l’apôtre Paul, « nous n’avons pas reçu un Esprit qui ferait de nous des esclaves qui ont peur », mais un Esprit de fils et filles debout, un Esprit dont les fruits sont amour, paix et joie, sans oublier la liberté, car nous avons été appelés à la liberté (Gal 5,13) et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. (IICo 3,17).

Dans le contexte où nous vivons, dans une société qui semble s’éloigner des valeurs de l’Evangile, dans une Eglise secouée par de pénibles évènements, Dieu sait si nous avons besoin de voler de nos deux ailes. Celle de la fidélité à tout l’essentiel venu du Christ mort et ressuscité, qui nous fait vivre en promis au Royaume de Dieu, et celle de la liberté qui nous permet de trouver des chemins - peut-être inédits- pour le renouveau de la vie évangélique et ecclésiale dans notre monde.

Toujours revenir au Christ Jésus, témoigner pour sa parole, vivre de sa présence, tenir fermement dans la communion de l’Eglise. Mais aussi laisser l’Esprit, comme il est dit, souffler où il veut, que ce soit dans des initiatives étonnantes pour exprimer ces témoignages, ou sur des chemins de réformes –si nécessaires- pour la vie de l’Eglise, ou encore dans des prises de positions qui peuvent parfois déranger nos habitudes, pourvu que ce qui est écrit de manière critique dans les marges reste sur la page de la fidélité au Christ et de la fraternité en Eglise. 

On le sait bien : les chrétiens, aujourd’hui comme hier, choisissent parfois leur aile. Tantôt certains veulent d’abord persévérer jusqu’à l’obstination dans la voie des traditions qu’ils jugent essentielles, tantôt d’autres veulent surtout explorer les chemins de fascinantes libertés pour des renouveaux qu’ils souhaitent bénéfiques.

L’Eglise ne serait-elle pas le lieu où ces deux ailes peuvent et même doivent battre ensemble, chacune avec ses priorités respectables, mais jamais dans l’exclusion de l’autre, et plutôt dans la collaboration de tous ?
Car nous avons un urgent besoin d’une nouvelle Pentecôte de vent et de feu, qui puisse continuer à incendier le monde par l’amour, réchauffer l’Eglise et l’éclairer du dedans, sans jamais oublier que le souffle vital, c’est justement l’Esprit Saint, celui qui renouvelle sans cesse la face de la terre.
« Puisque l’Esprit est notre vie, dit saint Paul, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Gal 5,25).


Claude Ducarroz

mercredi 5 juin 2019

Courrier du coeur

Courrier du cœur

« Dans notre Eglise, il me semble que rien de sérieux dans le changement ne se pointe à l’horizon. Comment ne pas désespérer et garder la foi ? »
Cette réflexion (par écrit) ne vient pas d’une personne hypercritique qui cèderait, comme de coutume, au prurit d’un réquisitoire malveillant. Il s’agit d’une dame d’un certain âge qui s’est très souvent engagée au service de l’Eglise dans un bel esprit de foi et d’amour désintéressé. C’est ainsi qu’elle exprime son « cri du cœur ». Il s’ajoute aux remarques désabusées et aux doléances consternées que j’entends autour de moi. Sans compter les commentaires vinaigrés ou ironiques provenant de milieux toujours prompts à casser du sucre sur le dos de notre Eglise.
Ce serait une grave erreur de répondre en haussant les épaules sous prétexte que l’Eglise a déjà connu bien d’autres crises ou agressions dont elle est, finalement, sortie toujours vivante, voire plus vigoureuse qu’auparavant. Dieu merci ! Laisser passer l’orage en attendant des jours meilleurs n’a jamais amélioré la météo ecclésiale.
Quand le concile Vatican II nous a rappelé que « l’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile » (Gaudium et spes no 4), ce n’était pas seulement une invitation à nous intéresser de plus près à ce qui se passe dans la société. C’était aussi un appel à écouter et surtout à entendre ce que les chrétiens de toutes sortes vivent et expriment, dans la foi et l’amour, au sein de leurs communautés. D’où cette précision à l’intention de nos pasteurs :  « Qu’avec un amour paternel les évêques accordent attention et considération dans le Christ aux essais, vœux et désirs proposés par les laïcs », ceux-ci ayant « la faculté et même le devoir de manifester leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise ». (Gaudium et spes no 37).
A la suite du concile Vatican II, le peuple de Dieu a pris la parole pour s’exprimer dans un esprit de communion et de liberté sur les changements attendus dans notre Eglise pour qu’elle soit davantage missionnaire et prophétique au cœur de notre monde. Si l’on relit ces textes –par exemple ceux du Synode 72 en Suisse et ceux d’AD 2000 dans le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg-, il faut bien constater que beaucoup de réformes ardemment souhaitées attendent toujours leurs mises en œuvre. Et voilà que les problèmes non résolus, les appels perdus dans le désert de l’indifférence hiérarchique remontent à la surface avec un coefficient supplémentaire d’impatience, voire de colère. Il suffit de penser, par exemple, aux ministères laïcs, à l’œcuménisme, à la pastorale des familles, à la place des femmes dans notre Eglise, à la vie et au ministère des prêtres, à l’évangélisation parmi les jeunes, etc…
J’entends autour de moi le gémissement de beaucoup de cœurs chrétiens…et douloureux. Comment ne pas les encourager, plus que jamais, à prier et à lutter en Eglise, pour continuer de croire, d’espérer et d’aimer. Avec patience certes, mais aussi avec impatience. En manifestant l’une et l’autre, dans un esprit de communion active et aussi critique.
Sans jamais oublier que le cœur de l’Eglise, finalement, bat dans le cœur du Christ crucifié et ressuscité, là où Jésus ne cesse d’envoyer l’Esprit Saint sur l’humanité et sur son Eglise, afin de « renouveler la face de la terre ». (Ps 104, 30).

Claude Ducarroz


A paru sur le site  cath.ch  le 5 juin 2019