lundi 26 décembre 2011

Homélie 4ème dim. Avent

Quatrième dimanche de l’Avent
18 décembre 2011

Il y a des rendez-vous qu’on ne peut manquer. Par exemple, à l’approche de Noël, le rendez-vous avec Marie, la mère de Jésus. Car au cours de la nuit de Noël, que virent donc les bergers ? « Ils découvrirent Marie avec le nouveau-né ». Ils sont donc inséparables.
L’Eglise aujourd’hui nous propose de remonter, une fois de plus, au commencement. Attention ! le voyage est insolite, et même parfois déconcertant, typiquement à la manière du Dieu des surprises.
N’allons pas à Jérusalem, la grande ville royale. Non. Prenons la route d’une petite bourgade de Galilée, dont on disait alors que rien de bon ne pouvait sortir d’elle.
Et là, entrons dans une modeste demeure, comme les autres. Une jeune fille habite ici. Elle est belle sans doute, car elle est jeune. Mais attention : déjà promise en mariage à un homme du même village, Joseph l’artisan charpentier. Pas de quoi en faire toute une histoire, me direz-vous.

Et soudain, c’est le coup de foudre, le coup de foudre de Dieu pour notre humanité, l’irruption du divin amoureux dans notre condition de misère. Un messager de Dieu entre, non sans surprendre la jeune fille qui est l’objet de la grâce divine. « Je te salue, comblée de grâces… » Marie ne s’attendait pas à une telle déclaration d’amour. Elle en est toute bouleversée, mais sans perdre son sang froid. Car elle demeure assez lucide pour poser des questions, intelligentes même.
Heureusement, le Dieu qui l’étonne jusque dans ses profondeurs de femme n’est pas du genre violent. Au contraire, il est tout en délicatesse, en respect. Le projet d’alliance de Dieu avec l’humanité doit se nouer en elle, tel est le souhait de Dieu sollicitant sa liberté. Oui, Dieu veut devenir plus qu’une parole dans son esprit, mieux qu’un bon sentiment dans son cœur. Dieu veut se faire quelqu’un jusque dans sa chair de femme afin d’être parmi nous, pour la première et dernière fois, l’un de nous, comme nous, au milieu de nous, pour nous. « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils. »

Et ensuite, tout explose dans le mystère. Car c’est la puissance de l’Esprit-Saint qui la prendra sous son ombre ». Et que sera cet enfant, fils de sa chair et pourtant pas tout à fait comme les autres ? « Il sera le Fils du Très-Haut, oui, le Fils de Dieu. »
Marie aurait pu s’effondrer devant des annonces et des promesses si déconcertantes, qui la conduisent à l’orée du mystère même de Dieu, bien au-delà des espérances d’Israël qu’elle partageait sans doute dans sa foi simple et profonde. Mais elle reste debout dans sa dignité, avec toute sa personnalité de femme et de croyante : « Comment ? je suis vierge ». Admirable réalisme d’une fille du peuple qui sait ce qu’elle est et veut aussi comprendre, autant que possible, même avec un ange, même avec Dieu.
Alors l’ange lui donne un signe, encore tout féminin. Sa cousine Elisabeth est enceinte, elle aussi, mais dans sa vieillesse, elle la femme qu’on appelait stérile. Alors la conclusion s’impose : « Rien n’est impossible à Dieu ».

Maintenant Marie s’incline, pas comme une vaincue par la religion, pas comme une humiliée par son Dieu, mais comme une petite servante invitée délicatement à l’extrême confiance, parce que ce Dieu-là est Amour. Un souffle de Dieu l’a effleurée en la touchant comme une subtile respiration d’en-haut. Dieu lui fait un cadeau dont elle ne mesure sans doute pas encore qu’il va changer le cours de l’histoire universelle, sauver toute l’humanité, bouleverser le cosmos, renouveler la face de la terre et des cieux.
Elle est là, toute petite devant une si grande nouvelle, émue par son Dieu qui l’interpelle et l’inspire. Elle lâche prise dans un immense abandon par liberté, ce qu’on appelle la foi : « Je suis la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »

Et commence en elle une vie inédite ; elle est comblée par une nouvelle présence, charnelle et spirituelle à la fois ; elle est la mère du Seigneur, elle est la maman de Jésus, le Sauveur du monde. « Car le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous ». Chair en elle d’abord, en croissance durant neuf mois, parce qu’il voulut naître d’une femme. Parmi nous, parce qu’il est venu pour nous, de Noël à Pâques, en passant par la croix. Et depuis ce jour-là, à Nazareth de Galilée, grâce à la féminine collaboration de Marie, la petite servante du Seigneur, Jésus demeure chaque jour avec nous, comme il nous l’a promis, jusqu’à la fin des temps.

C’est la messe. Nous allons communier. Certains parmi vous ne savent pas ce qu’est l’eucharistie…ou l’ont peut-être oublié. Je pense aussi à vous qui souvent ne pouvez pas communier parce que vous êtes malades, handicapés, âgés, mais qui espérez sûrement recevoir la communion à l’occasion de Noël, peut-être grâce à un ou une ministre laïc.
Communier, c’est participer au mystère de l’annonciation, de l’incarnation. C’est accueillir le Christ, y compris avec son corps emmailloté de pain, dans notre vie béante, telle qu’elle est, avec ses ombres et ses lumières. Si Marie fut le premier tabernacle du Verbe incarné, nous pouvons devenir des réceptacles de celui qui est à la fois le fils de Marie et le fils de Dieu. Prenez, mangez…
Le corps à corps eucharistique est une merveilleuse communion d’amour. Un peu comme Marie. L’eucharistie, la messe : c’est Noël tous les jours.

Claude Ducarroz

vendredi 23 décembre 2011

Homélie pour nos autorités cantonales

Homélie
I Rois 3,5-15


Plus vrai que nature, cet extrait du livre des Rois.

Un roi, Salomon, qui a un songe. Nous n’avons pas de roi chez nous, et nous nous vantons de n’en avoir jamais eu. Mais une autorité qui a un rêve, ça existe sûrement. Vous avez rêvé d’être candidat, puis élus. Et votre premier rêve s’est réalisé : vous êtes là ce matin, les rois et les reines -modestes certes- de notre démocratie helvétique.

Salomon, dans son rêve, s’est mis à prier, car c’est Dieu lui-même qui lui apparut dans la nuit. Dieu dans la nuit, c’est peut-être cela, la foi. On ne croit que dans une certaine obscurité, comme une victoire de la lumière intérieure sur des questions difficiles et des réponses jamais complètement évidentes.
Et Salomon pria. C’est beau, un roi qui prie. Il pria pour demander, comme il arrive encore souvent chez moi, chez vous, chez nous. Mais sa première pensée, qui est tout à son honneur, c’est de songer –c’est le cas de le dire- à ceux qui l’ont précédé. Mieux qu’une mémoire, c’est un mémorial. Bel hommage à son père David, reconnaissance pour celui qui lui a transmis un royaume de prospérité et de paix.
Le rétroviseur de la gratitude, pour le peuple et pour ses autorités antérieures, n’empêche pas d’imaginer un avenir meilleur, non pas dans des rêveries hors-sol, mais justement dans le terrain et le terreau labourés, ensemencés par celles et ceux qui ont œuvré avant nous, ici et maintenant dans le champ de notre canton, avec labeurs et fatigues, avec réussites et échecs, toujours dans la noble ambition de servir le meilleur bien de tout notre peuple.
Fidélité, justice, droiture du cœur : ne pouvons-nous pas mettre des visages sur ces qualités humaines qui font aussi la valeur, voire la grandeur de celles et ceux qui ont porté ou portent encore le poids des saisons et des jours ? Merci : c’est le minimum que nous leur devons, aux Davids des Salomons que vous êtes.

Et voici la prière. Salomon aurait pu demander, comme ce peut être encore une tentation lorsque la politique se décline en terme de combat, voire de guerres, oui demander la victoire de l’un sur l’autre, des uns sur les autres, dans le champ des batailles pour le pouvoir. Oui, solliciter de longs jours au parlement ou au gouvernement, par exemple, pour conjurer le couperet des élections, demander la richesse quand les intérêts particuliers –voire personnels- peuvent griser les ambitieux trop impatients ou trop gourmands.
Et la prière de Salomon fut exaucée, la bonne, la vraie : « Parce que tu n’as pas demandé pour toi de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, je te donnerai un coeur intelligent et sage. » Ce roi exceptionnel -mais, diront peut-être certains, pas très « politiquement correct »-, avait demandé dans sa prière un cœur attentif pour bien gouverner son peuple et savoir discerner le bien et le mal. Il avait même ajouté, réaliste ou idéaliste ? : « Comment, sans cela, pourrais-je gouverner ton peuple qui est si grand ? ».

Je trouve cette prière extraordinaire et pleine d’actualité, qu’en pensez-vous ? vous qui êtes ici comme magistrats choisis par notre peuple et dévoués désormais par serment au service de son bien.

Salomon s’éveilla, et voilà que c’était un songe. Un songe seulement ? Ou une invitation à donner chair et sang à ce beau rêve ? Mieux : une incitation à devenir, tous ensemble -peuple et magistrats- non pas des rêveurs mais des éveillés de la politique, dans le meilleur sens du mot, à savoir des serviteurs et des servantes d’une humanité qui, si elle est plus large que notre petite république, mérite, chez nous comme ailleurs, des hommes et des femmes sages, désintéressés et généreux. Je me permets d’ajouter : des visionnaires d’un avenir à construire sur des valeurs sûres. En somme le développement le plus durable, celui qui coïncide, je le crois, avec les inspirations puisées dans le christianisme et le meilleur de toutes les religions.
Et puis, la prière de Salomon finit si bien, et je crois que là-dessus, nous serons tous d’accord : « Salomon rentra à Jérusalem, il offrit des sacrifices de communion et il donna un banquet à tous ses serviteurs. » Sans oublier les dames, évidemment.

Heureuse législature, joyeux Noël, bonne année…et bon appétit !

23 décembre 2011 Claude Ducarroz, prévôt

samedi 17 décembre 2011

Voeux à mes amis

Claude Ducarroz Noël 2011 - Nouvel An 2012

A mes amis !

Les vœux semblent un rituel presque immuable, au risque de devenir conventionnel.
Croyez que ce n’est pas ainsi que je vous adresse cette lettre qui, malheureusement, a l’allure d’une circulaire. Mais croyez que mon cœur y est, et combien !

En vous redisant ma profonde reconnaissance pour votre si précieuse amitié, je vous prie de recevoir mes vœux chaleureux pour ce Noël et pour la nouvelle année 2012. Nous avons tous besoin de la lumière allumée humblement dans la nuit de Bethléem, celle qui cherche encore son chemin dans notre monde et dans nos vies, au gré de nos invitations dans nos maisons intérieures.

Les années passent. Ma vie est-elle montante ou descendante ? C’est une question que je me pose et je sais que la réponse optimiste ne peut être qu’une grâce venue de Celui qui est la lumière du monde. C’est ainsi que j’envisage l’avenir, non comme une conquête, mais comme un cadeau à recevoir « les mains ouvertes devant toi, Seigneur ».

Il m’arrive, quand je rencontre des contemporains ou même des plus jeunes, d’envier leur statut de retraité, parfois depuis longtemps. Ils en sont si contents. Et moi, dans l’institution-Eglise, je me retrouve encore « employé à plein-temps », alors que je viens d’entrer dans la 73 ème. Je mesure qu’on est prêtre pour toujours, à plein coeur si ce n’est à plein temps, « à cause de Jésus et de l’Evangile », même s’il m’arrive d’estimer qu’un peu de repos serait bienvenu. En cette fin d’année, j’ai lâché quelques tâches afin d’alléger le poids des jours. Je ne suis plus le doyen du décanat de Fribourg, je me suis retiré de certaines institutions, j’ai cessé certaines collaborations par l’écriture.

C’est vrai : l’année jubilaire des 500 ans du Chapitre cathédral risque de remplir largement les vides ainsi créés. Vous pouvez le devinez en lisant le papillon ci-joint qui pourrait même provoquer quelque rencontre entre nous, dans ou autour de notre cathédrale, si vous le souhaitez. Je serai toujours heureux de vous accueillir chez moi, car ce n’est jamais un travail que de revoir de bons amis. D’ailleurs mon rêve serait que j’aie davantage le temps de vous visiter. Je fais ce que je peux. Comprenez-moi.

A part ça, je crois que la santé est encore bonne, même si la septantaine se rappelle à mon souvenir par de petits bobos. Ma grand-mère disait parfois : « Il ne fait pas bon vieillir ». Mais on n’a pas encore trouvé d’autres solutions pour vivre plus longtemps !

Avec amour surtout, avec humour aussi, je vous redis toute mon affection en demandant au Seigneur de vous bénir, vous et les vôtres, dans la générosité de son amour à Lui.







Rue des Chanoines 13 – 1700 FRIBOURG 026 321 27 04 076 317 56 25 cl.ducarroz@bluewin.ch – www.cducarroz.blogspot.com

samedi 10 décembre 2011

Troisième dimanche de l'Avent

Homélie du 3ème dimanche de l’Avent
11 décembre 2011

Tiens, le revoilà. Revoilà Jean-Baptiste. Il était entré dans la liturgie de dimanche dernier par la porte de Marc. Le voilà qui revient par la porte de Jean, l’incontournable Jean-Baptiste.
C’est qu’il n’est pas n’importe qui, ce prédicateur vêtu de poils de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins et son menu quotidien de sauterelles et de miel sauvage.
Pas n’importe qui, selon ce que Jésus lui-même a dit de lui : « Plus qu’un prophète » (Lc 7,26), le plus grand parmi ceux qui sont nés d’une femme (Cf. Mt 11,11), « l’ami de l’époux » (Jn 3,29). Un grand monsieur de l’Evangile puisqu’il fut « envoyé par Dieu pour rendre témoignage à la Lumière afin que tous croient par lui » (Jn 1,6-7).
Et pourtant aujourd’hui, à l’écouter lui-même en personne, il ne veut surtout pas qu’on le prenne pour un autre. Il est d’abord l’homme des « non ». Ni le Messie, ni Elie, ni le grand prophète. S’il vous plaît : pas de malentendu à son sujet !

Une petite phrase explique à la fois cette touchante humilité et son immense autorité : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne connaissez pas. » Jean-Baptiste, c’est l’homme qui n’existe que par et pour un autre qui est plus grand que lui. Il se fait tout petit devant lui puisqu’il « n’est même pas digne de défaire la courroie de sa sandale. » Mais il est pourtant utile et même nécessaire parce qu’il doit aplanir les chemins devant lui et rendre témoignage à la Lumière venue chez les siens.

Tel est le rôle de ce précurseur : ouvrir la route qui mène au Christ, le désigner aux yeux de celles et ceux qui attendaient le Messie et s’effacer devant lui. Car il faut, pour que Jésus grandisse, que son précurseur diminue, jusqu’à conduire ses disciples au seul vrai maître, jusqu’au martyre même. C’est bel et bien ce qu’a fait Jean-Baptiste, le grand témoin de Jésus le Christ.

Comment ne pas reconnaître dans cette figure exceptionnelle, mise en évidence durant ce temps de l’Avent, la mission de l’Eglise, aujourd’hui encore ? On cherche des Jean-Baptiste pour notre temps, et pourquoi ne serait-ce pas toi, moi, nous ?
Après deux mille ans d’évangélisation et de témoignage, Jésus n’est-il pas encore, et même de plus en plus chez nous, ce quelqu’un qui est au milieu de nous et que nous ne connaissons pas, le plus souvent parce que nous l’avons oublié ?

Il se tient là, certes, avec sa parole en écho par l’Eglise dans le brouhaha du monde. Il est bien au milieu de nous avec les signes de sa présence grâce aux sacrements. Discret jusqu’au silence, il palpite pourtant au cœur de celles et ceux qui, à commencer par les pauvres et les malheureux, attendent un geste de solidarité pour se sentir et se savoir aimés par l’Amour majuscule. Depuis le matin de Pâques et grâce à l’Esprit de Pentecôte, le Seigneur Jésus marche sur les sentiers de notre humanité comme un divin passant qui frappe délicatement aux portes de nos consciences et de nos cœurs, en espérance d’invitation et d’ouverture pour partager son repas de fête avec nous, chez nous.

Jésus ne manque jamais. Mais peut-être les Jean-Baptiste manquent-ils aujourd’hui. Il est temps que l’Eglise -je veux dire tous les chrétiens, et donc chacun de nous- retrouve le dynamisme de Jean-Baptiste qui accomplit sa mission en toute humilité certes, mais aussi avec un engagement total, jusqu’au don de sa vie pour Jésus, lui le chemin, la vérité et la vie.

Noël approche. Malgré la crise, qui devrait pourtant nous faire réfléchir et nous ramener à des valeurs plus humaines, nous voyons que s’étale le matérialisme d’une société obsédée par le profit et les plaisirs égoïstes, tandis qu’ailleurs, dans le village mondial d’à côté, des hommes, des femmes, des enfants crèvent de misère jusqu’à mourir de faim, de solitude, de désespoir.

Que dirait Jean-Baptiste dans ce contexte ? Où sont les Jean-Baptiste d’aujourd’hui ? C’est à l’Eglise, aux Eglises, de relever le défi. C’est à nous, les envoyés de Dieu par le baptême dans l’Esprit, de devenir ou redevenir témoins de celui qui se tient anonyme au milieu de nous, le Sauveur du monde.

* Il est la Parole. Il a besoin de porte-parole qui proclament son Evangile comme une bonne nouvelle de libération.
* Il est le Pain et le Vin à partager dans la foi. Il attend de nous que nous soyons certes des célébrants de l’eucharistie, mais d’abord des invitants chaleureux à la table où il se donne encore pour la multitude.
* Il est l’ami des pauvres, des petits, des pécheurs. Il compte sur nous pour démontrer à nos contemporains que la joie consiste en la simplicité de vie, en la satisfaction d’être solidaires et miséricordieux, dans le bonheur d’être ensemble, notamment à Noël, plutôt que dans l’illusion d’avoir beaucoup, et si possible plus que les autres.

Jean-Baptiste : le précurseur du Messie Jésus, mais aussi le précurseur de l’Eglise, l’indicateur de sa mission, l’incitateur à mettre en pratique l’Evangile, le prophète du renouveau de nos communautés chrétiennes.
Tout cela s’est passé à Béthanie de Transjordanie, là où Jean baptisait.
Tout cela peut se passer aujourd’hui, là où nous vivons, en Eglise d’Avent, parce que nous sommes les Jean-Baptiste de notre temps.
Claude Ducarroz

mercredi 7 décembre 2011

Homélie de l'Immaculée Conception

Fête de l’Immaculée Conception
8 décembre 2011

Kékaritoménè… et tout est dit.
Kékaritoménè, c’est le mot grec utilisé dans l’évangile de Luc pour exprimer la salutation de l’ange Gabriel à Marie le jour de l’Annonciation.
Comment traduire ce mot en notre langue française ?
Certains utilisent une phrase entière, par exemple « toi qui as la faveur de Dieu », dans la traduction œcuménique de la Bible.
Plus simplement dans la liturgie, on emploie l’expression « comblée de grâces » ou encore « pleine de grâces », comme dans la récitation traditionnelle du Rosaire.

Qu’est-ce à dire ?
La théologie latine, puis l’Eglise catholique ont traduit cela par le dogme de l’Immaculée Conception, la fête de ce jour, tandis qu’en Orient on préfère nommer Marie la panagia, la toute sainte, ce qui revient pratiquement au même.
La mère de Jésus est resplendissante de sainteté, de beauté, de grâce, justement parce qu’elle est la mère du Christ, le fils de Dieu fait homme.
Et laissons aux théologiens subtils le soin de fouiner dans les détails pour exprimer finalement une vérité très simple. Marie est la femme parfaite, la nouvelle Eve, celle que Dieu a préparée depuis toujours pour devenir la digne mère du Sauveur du monde. Et la première sauvée, c’est justement elle.

Alors que faut-il retenir pour nous du mystère de Marie qui, par certains côtés, est évidemment unique et exceptionnel. Jésus n’a eu qu’une seule mère, et c’est Marie de Nazareth. Encore que…
Dans les trois évangiles synoptiques, on raconte comment Marie et la famille proche de Jésus sont venues le rejoindre pour le voir et lui parler. Et Jésus répondit : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique. » (Cf. Lc 8,21). Et il promena son regard sur ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, à savoir ses disciples.

Quelque part, certes imparfaitement, nous sommes donc impliqués dans le mystère de l’Immaculée Conception, surtout si l’on utilise comme fil conducteur de notre réflexion l’évangile de l’Annonciation retenu pour la liturgie de cette fête.

Qu’est-ce à dire ?
D’abord que tout est grâce. En nous, pour nous, tout est d’abord cadeau de Dieu, sans aucun mérite préalable, sans même un désir de notre part. En effet, c’est par pure grâce de Dieu que nous recevons de lui, comme le rappelle Saint Paul, « la vie, le mouvement et l’être. » (Ac 17,28).

C’est ainsi que, en nous aussi, Dieu prépare par une grâce originelle, créatrice, gratuite l’offre de toutes les autres grâces au cours de notre vie. De quoi rendre grâces, par exemple en reprenant le cantique de Marie : « Le Seigneur fit pour moi des merveilles. Saint est son Nom. » (Lc 1,49).

Et puis les grâces de Dieu –la première et toutes les autres ensuite- ne nous contraignent pas, ne nous forcent jamais, car elles sont une preuve de son amour et non pas une démonstration de sa puissance, ou alors c’est la puissance de son amour.
On le voit chez Marie. La « toute sainte » est infiniment respectée. L’ange lui fait une proposition. Elle a le droit d’être troublée, de poser des questions. Elle peut s’engager librement.

Celles et ceux qui écoutent et accueillent Dieu dans leur vie grandissent en liberté. A l’ombre de l’Esprit, ils abandonnent toute peur –« Sois sans crainte, Marie »- car ils se savent et se sentent invités au oui par l’Amour majuscule.
Celles et ceux qui ont « trouvé grâce auprès de Dieu » peuvent alors s’engager avec joie, comme des servantes et des serviteurs qui font confiance à la parole libératrice.

Leur vie, certes, n’est pas un long fleuve tranquille. Marie en est la vivante démonstration. Mais le bonheur est au bout du voyage. L’Immaculée Conception conduit à l’Assomption dans la gloire. « Toutes les générations me diront bienheureuse », prophétisa Marie.

Notre nouvel évêque nous a révélé qu’il souhaitait nous aider à trouver ou retrouver la joie d’être croyants.
Voilà une expérience mariale, corroborée par le témoignage d’innombrables autres saints.
« Heureuse toi qui as cru », dit Elisabeth à Marie. Et Jésus d’ajouter lui-même, en présence de Marie et en pensant à nous : Oui, « heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique ».
Elle… et nous !

Claude Ducarroz

mardi 6 décembre 2011

HOMéLIE DE LA SAINT-NICOLAS

Fête de saint Nicolas
6 décembre 2011

Saint Nicolas !
Il y a un nom, comme ça, qui sent les biscômes -avec ou sans son effigie-, un nom qui allume des étoiles dans les yeux des enfants de tout âge.
Il y a un nom qui suscite de longues processions ferventes dans les fumées parfumées de l’encens, avec d’émouvantes vénérations de reliques, comme j’ai pu le vivre à Minsk en Biélorussie.
Il y a un nom qui multiplie des icônes scintillantes destinées à la vénération des fidèles dans tout l’Orient chrétien.
Il y a un nom qui rassemble encore des foules, dès 5 heures du matin, sur terre et sur mer, comme je l’ai vu à Bari.
Sans compter la foule de Fribourg, une ville à lui dédiée depuis sa fondation en 1157, avec une église chère à notre cœur, augmentée du titre de collégiale dès 1512 –il y a 500 ans- et même de cathédrale depuis 1924, une cathédrale en robe de fête dans l’attente de son nouveau pasteur.

Dans la brume poétique, entre l’histoire et la légende, saint Nicolas est comme l’aimable quintessence du bon pasteur.
Il est évêque, c’est la moindre des choses quand on est si glorieux, avec tiare orientale ou mitre occidentale, c’est selon. C’est sûr, nous disent les historiens, il a participé au premier concile œcuménique, celui de Nicée en 325. Les bons évêques savent allier l’autorité personnelle avec l’esprit et la pratique collégiales.



Et puis cet homme, ce chrétien, ce pasteur a fait tellement de bien que la hotte de ses exploits évangéliques déborde de récits, tous plus touchants les uns que les autres. Oui, des prouesses qui nous impressionnent encore, justement parce qu’elles sont peut-être encore d’actualité, pour la blessure de notre conscience et pour l’incitation à l’action, aujourd’hui comme hier.

* Sauver des enfants qu’on massacre dans leur corps ou dans leur cœur, les toucher et les embrasser comme Jésus, en les respectant infiniment.
* libérer des prostituées, ces exploitées de toutes les ténébreuses et inavouables passions, dans des commerces, hélas ! encore florissants.
* multiplier la nourriture pour secourir des affamés à l’heure où la crise des riches –encore bien nourris, rassurez-vous- provoque de nouvelles misères, chez nous et surtout ailleurs, dans les pays de la faim endémique,
* guider des marins dans la tempête -pas chez nous évidemment, car on ne peut se payer à la fois l’aviation et la marine-, mais peut-être dans la tête et dans le cœur de celles et ceux –nos nouvelles autorités par exemple- qui doivent conduire la barque de notre société dans les méandres des choix difficiles, parmi les écueils des intérêts contradictoires, là où la raison du plus fort risque tellement de devenir la meilleure.

A tous ces virages dangereux, sur la route de l’Eglise comme dans l’arène de la société, nous retrouvons le brave saint Nicolas, nimbé d’histoires peut-être incertaines ou exagérées, mais tellement proche de ce que nous vivons en couleurs humaines, en profondeur chrétienne, en pesanteur ecclésiale.

Et voilà que nos biscômes ont perdu son effigie, une fois de plus pour des raisons économiques ! « Plus personne ne veut nous livrer des étiquettes de saint Nicolas », se lamente un célèbre pâtissier et paroissien d’ici. A quoi pense cette porte-parole de la Migros quand elle déclare sans se gêner : « Le biscôme est un produit vendu jusqu’à Noël. On ne peut pas avoir à la fois saint Nicolas et le Père Noël ». ? Et nous alors ? Et Fribourg ?

Après avoir protesté comme il se doit, nous allons réagir à notre manière, la chrétienne.
Avec ou sans image de notre cher patron, nous voulons le rejoindre en ce qu’il a de meilleur, en ce qu’il est, à savoir un témoin de l’évangile en son temps pour que nous soyons des témoins du même évangile en notre temps.

* En urgence, si je puis dire, nous allons prier pour notre évêque en attendant de l’accueillir dans sa cathédrale saint Nicolas, avec joie et espérance.
* Nous allons fêter les 500 ans du chapitre cathédral, sans complexe ni d’infériorité ni de supériorité, parce que ce chapitre - propriétaire et gardien de la précieuse relique de saint Nicolas depuis le 9 mai 1506- a démontré durant ces 5 siècles qu’il savait assumer ses tâches, dans les limites des humanités canoniales, au service de cette ville, de ce canton, de cette paroisse, de ce diocèse. Les commémorations programmées vont nous le rappeler, non pas pour faire dans la nostalgie, mais pour rebondir, modestement mais aussi courageusement, dans l’avenir ecclésial qui nous guette autant qu’il nous défie.

Nous allons continuer à faire Eglise dans cette ville bien-aimée dont les paroisses et communautés catholiques sont toutes les enfants ou les petits-enfants de cette collégiale et cathédrale.
Un tel fait d’histoire ne peut que nous inciter à cultiver et même à développer « l’esprit de famille », par des collaborations et des échanges accrus. Pas seulement pour répondre aux dures nécessités de l’heure, mais surtout pour manifester, au service de notre population, ce que veut dire, même dans des styles variés : « Ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières…. C’est pourquoi ils avaient la faveur de tout le peuple et le Seigneur adjoignait à la communauté ceux qui seraient sauvés. »

Ce soir, dans ce rassemblement liturgique mais aussi sympathique jusqu’à la cordialité, le Seigneur lui-même se tient à notre porte et il frappe. Il nous propose d’écouter sa voix et d’ouvrir la porte, en communauté élargie. Il veut entrer pour souper avec nous, maintenant, dans cette eucharistie de fête. Car il veut être, aujourd’hui comme au temps de Nicolas de Myre, lui près de nous et nous près de lui, lui le Crucifié ressuscité.

C’est ça la communion, celle qui coule de l’eucharistie et qui irrigue notre pastorale dans la collaboration de tous, évêques, prêtres, religieux et religieuses et plus que jamais laïcs hommes et femmes. Une communion qui doit aussi arroser de valeurs évangéliques les vastes champs de notre société, surtout en ces temps de crise… et d’élections !

Saint Nicolas, aide-nous à entendre ce que l’Esprit dit aujourd’hui à notre Eglise, à nos Eglises ! A nous !

Claude Ducarroz

dimanche 4 décembre 2011

Homélie du deuxième dimanche de l'Avent

Homélie du 2ème dimanche de l’Avent
4 décembre 2011

Un petit conseil gratuit pour votre mode d’hiver : une robe en poil de chameau et une ceinture de cuir autour des reins. Et voici pour le menu de fête : un plat de sauterelles et du miel sauvage. Bon appétit !
La recette n’est pas de moi, mais de Jean-Baptiste dans l’évangile de ce dimanche.
Après avoir annoncé en une courte phrase « la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le Fils de Dieu », l’évangéliste Marc pointe aussitôt sur Jean le Baptiste, le précurseur du Seigneur.
C’est pourtant cette première phrase, très brève, qu’il nous faut d’abord méditer. Pour Marc, c’est un commencement, comme au livre de la Genèse, un commencement qui conditionne tout le reste. Il y a vraiment du nouveau, du neuf, de l’originel. Et c’est une bonne nouvelle, de quoi réjouir le cœur, dilater l’esprit et même apaiser le corps. Car ce n’est pas une belle idée, même pas une déclaration d’amour. C’est quelqu’un, de chair, de cœur et d’esprit : Jésus de Nazareth, le Christ, donc le Messie et en même temps le Fils de Dieu.

Durant ce temps d’Avent, nous ne pouvons pas faire comme si nous ne savions pas déjà qui est au cœur cette Bonne Nouvelle.
Certes, il nous est proposé de re-parcourir l’itinéraire du peuple hébreu en espérance du Messie puisque Marc mélange aussitôt des citations de l’Exode et des prophètes Malachie et Isaïe. Certes, il nous faut nous laisser entraîner par Jean-Baptiste depuis le désert jusqu’au bord du Jourdain et entrer dans la dynamique exigeante d’une véritable conversion, en reconnaissant nos péchés.
Certes la simplicité de vie, la pauvreté des moyens et la frugalité des plaisirs entrent dans cette phase de préparation intérieure, tout le contraire de ce que nous proposent les pubs matérialistes qui nous envahissent et nous suffoquent.

Mais si l’Avent est en effet le temps d’une espérance, nous savons déjà en qui nous avons mis notre espérance. Celui que nous attendons est déjà venu, nous n’ignorons pas entièrement celui qui vient. Jean-Baptiste, qui attendait le Messie en même temps qu’il voyait le Christ venir à lui pour le baptême, pouvait déjà s’écrier : « Voici venir derrière moi celui qui est plus grand que moi. Moi, je vous ai baptisés dans l’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit-Saint ».

Telle est la spiritualité un brin paradoxale de ce temps de l’Avent : nous ne pouvons pas faire semblant d’attendre un inconnu, un anonyme, un absent. Baptisés dans l’eau et l’Esprit, nous sommes à la fois des enfants de Noël et des fils et filles de Pâque. Nous nous souvenons de sa venue, dans le sein d’une humble servante et dans la misère de la crèche. Mais nous vivons actuellement de cet Esprit qu’il nous a donné en abondance dans le mystère de sa mort et de sa résurrection, en attendant son retour dans la gloire.

Alors quel devrait être notre « état d’Esprit » durant ces semaines d’Avent ?
* La conversion, sur laquelle insiste tellement Jean-Baptiste, car nous n’en finirons jamais de nous préparer à recevoir en nous, toujours plus profondément, toujours plus intimement, celui qui est déjà venu et qui vient encore, à travers ses visites intérieures, lui qui frappe sans cesse à la porte de notre cœur, attendant patiemment que nous l’invitions librement à entrer pour partager le repas de fête avec nous.

* La conversion personnelle, certes, mais aussi l’évangélisation. Car si Jean-Baptiste eut un rôle important à jouer auprès du peuple en attente, alors que Jésus était pourtant déjà au milieu des siens, c’est que Jésus comptait sur lui pour « préparer à travers le désert le chemin du Seigneur, tracer dans les terres arides une route aplanie pour notre Dieu. » Les Jean-Baptiste d’aujourd’hui, c’est nous, qui que nous soyons. Indignes de nous courber pour défaire la courroie des sandales de Jésus ? Jean-Baptiste le premier en avait conscience. Mais ça ne l’a pas empêché d’annoncer la Bonne Nouvelle du Messie et même de baptiser, y compris Jésus lui-même. Il savait qu’il avait à diminuer pour que Jésus grandisse, mais il n’a pas dé-missionné de sa mission : être le porte-voix du Seigneur Jésus, y compris en conduisant ses propres disciples vers lui. Exactement ce que sont appelés à faire les chrétiens dans ce monde où tant d’êtres humains ne connaissent pas encore leur Seigneur… ou l’ont déjà oublié.

*Enfin, l’apôtre Pierre nous rappelle que le chrétien est toujours en attente d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, où résidera la justice. Nous savons que nous ne pouvons pas les réaliser pleinement ici-bas, même avec les meilleurs hommes et femmes politiques, même avec les meilleurs évêques ! N’empêche que nous pouvons et nous devons les préparer en rendant notre histoire humaine justement un peu plus humaine. Tous les engagements sociaux, politiques, économiques, culturels, écologiques qui vont dans le sens d’une plus grande fraternité sur cette terre déjà ont quelque chose à voir et à faire avec notre rôle de Jean-Baptiste et avec l’attente du monde nouveau dans le Royaume de Dieu.
L’Avent n’est pas le paradis des boutiques, mais le tremplin du Royaume de Dieu.


Claude Ducarroz