jeudi 31 octobre 2019

Avant d'aller au cimetière

Toussaint 2019

« Pourquoi tu pleures ? »
C’était à la fin d’un enterrement. Un petit garçon, qui tenait la main de son père, s’est tourné vers lui en lui posant cette question : « Papa, pourquoi tu pleures ? »

Quand un être cher s’en va, surtout lorsque les circonstances sont particulièrement tristes, inattendues, voire dramatiques, nous pleurons, et c’est bien naturel de le faire. Il ne faut jamais avoir honte de ses larmes.

Nous avons toujours au moins deux raisons de pleurer : justement parce que la personne décédée nous est chère, et aussi parce qu’elle est morte, disparue, comme on dit pudiquement. Nos larmes sont le témoignage d’un amour blessé et en même temps le signe d’un espoir cassé. On voudrait tellement tenir encore l’être aimé dans nos bras, et le retenir pour toujours dans la vie.
Derrière tout amour vrai, il y a nécessairement, qu’on l’avoue ou non, le désir d’un toujours, et sa nostalgie éplorée, quand il faut dire un dernier adieu à celle ou celui qui nous aimait et qu’on a tant aimé.
Alors les pleurs coulent, les larmes arrosent les souvenirs. Il va falloir vivre, ou du moins survivre, sans la présence de cet autre qui donnait un sens à notre existence et contribuait à notre bonheur. On a parfois l’impression qu’on ne pourra jamais plus être heureux. Et pourtant il nous faut continuer de vivre.

Où sont les clefs de cette énigme qui, tôt ou tard, nous rattrape tous ?

Du côté de l’amour perdu, nous pouvons faire quelque chose. Il est  possible que nous ayons l’impression de ne jamais pouvoir retrouver le bonheur, ou pas comme avant.
Mais je suis sûr que nous avons encore de quoi aimer, d’autres à aimer, pour leur bonheur et pour le nôtre. Nos chers disparus nous ont peut-être dit, et souvent montré, qu’il y a encore de quoi continuer d’écrire de l’amour, même sur les marges de la vie qui nous reste.
Dans la cadre de la famille le plus souvent, mais aussi au-delà. Il y a toujours, il y aura toujours des malheureux à secourir, des solitaires à accueillir, des pauvres à servir, des malades à visiter, etc… Autrement dit des frères et sœurs à aimer, sans barrière et sans frontière.
Les souvenirs bénis des morts qui nous font encore pleurer peuvent devenir des invitations à continuer l’affection d’hier par la compassion d’aujourd’hui. Rien n’est plus digne de la mémoire des morts que l’humble service des vivants.

Mais que faire pour l’espérance, me direz-vous ? Cette espérance d’un toujours qui semblait indissociable de nos amours. Dire à quelqu’un « je t’aime », de tout son cœur, de tout son corps, c’est lui dire : « je ne voudrais pas que tu meures ». Et pourtant il est mort, elle est morte, et c’est bien ce qui provoque ce terrible chagrin qui peut même conduire tel ou telle jusqu’à l’orée du désespoir.
Alors là, il faut s’arrêter et réfléchir. Ce n’est pas parce que nous n’avons pas la clef du « toujours », que l’éternité de l’amour n’existe pas. Il nous faut simplement, je dirais surtout humblement, accepter de la recevoir de la main d’un autre que de soi-même. Nous ne nous sommes pas donné la vie à nous-mêmes, nous l’avons reçue comme un don, un cadeau gratuit, y compris avec cette merveilleuse capacité d’aimer et d’être aimé.
Bonne nouvelle ! L’auteur de la vie, le maître de notre vie, est aussi le vivant de Pâque, celui qui a traversé la mort, celui qui est ressuscité au-delà de cette mort. Pas seulement pour lui, comme s’il était un champion solitaire qui abandonnerait tous les autres dans leur triste néant.
Non, d’au delà de sa mort, il est revenu nous annoncer cette étonnante nouvelle et rallumer notre fragile espérance : « Là où je suis, vous serez aussi avec moi pour toujours ». Par amour évidemment. En ajoutant : « Croyez-vous cela ? »

Bien sûr, ça signifie un énorme saut dans la foi, dans l’abandon confiant en cette promesse. Tous ne parviennent pas à y croire. Il ne faut surtout pas les juger, et encore moins les discriminer.
Par ailleurs, ce cadeau de Jésus –la vie éternelle- ne disqualifie pas nos larmes, n’empêche pas nos chagrins humains.
Il ne répond pas à toutes nos questions légitimes. Jésus lui-même a pleuré devant le tombeau de son ami Lazare. Il a aussi posé ses questions à Dieu du haut de la croix : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »
La foi en la vie éternelle -qui nous donne cet immense espoir de nous retrouver tous pour continuer de nous aimer en Dieu-, cette foi respecte notre humanité faite de grandeurs et de misères, de joies et de peines, de rires et de larmes, de quelques certitudes bienheureuses et de beaucoup d’interrogations.
Du moins savons-nous maintenant que dans tout amour sincère veille une semence d’éternité qui fleurira dans le royaume de Dieu, quand ce Dieu-Amour sera « tout en tous ».
Puissions-nous continuer de vivre, et un jour aussi de mourir, dans cette espérance-là !

                                               Claude Ducarroz

mardi 29 octobre 2019

Après le synode sur l'Amazonie

Où est l’Amazonie ?

 Dans la foulée de son encyclique Laudato sì sur la sauvegarde de la maison commune et la promotion d’une écologie intégrale (2015), le pape François a eu le courage prophétique de passer aux travaux pratiques en convoquant au Vatican un synode extraordinaire sur l’Amazonie.

Sur le versant écologique, le bilan est audacieux, à la mesure des agressions qui blessent ce vaste territoire et impactent ses populations de manière cruciale. On aurait pu se contenter d’une problématique régionale, découplée du reste du monde. Or le document final nous implique tous dans le sauvetage de cette portion de notre planète. De même que la responsabilité globale est en jeu dans les causes des crises écologiques qui affectent ces terres et leurs habitants, ainsi la solidarité internationale doit se montrer active pour apporter des solutions humaines à ces questions vitales. L’Amazonie, c’est loin, là-bas. Mais, pour soigner ses maux, nous devons tous nous mobiliser. Peu ou prou, nous sommes tous un peu Amazoniens, pour le meilleur ou pour le pire.

Avec sa grande intelligence pastorale, le pape avait assigné aussi au synode le devoir de réfléchir sur la mission et la vie de notre Eglise dans ces territoires isolés. Le diagnostic est impitoyable. A côté de germes d’évangile prometteurs, des renouveaux urgents doivent être mis en œuvre pour une présence d’Eglise qui soit à la fois fidèle au message du Christ et profondément enracinée dans les cultures respectées de ces peuples. Pour assurer un meilleur dynamisme missionnaire, des questions délicates ont été empoignées à bras le corps : le rôle actif des laïcs, les responsabilités pastorales des femmes, la vie et le ministère des prêtres, l’inculturation de la liturgie, etc… Et aussitôt sont apparus des clivages qui risquent bien d’enliser les quelques audaces prophétiques dans les sables des traditions les plus frileuses.

Un éventuel diaconat pour les femmes ? Après la mort clinique d’une précédente commission d’étude, on peut essayer de la ranimer ! Des ministères reconnus dans l’animation des communautés par ces mêmes femmes ? On va réfléchir ! Sans déroger à la tradition du célibat obligatoire pour les prêtres de l’Eglise latine, ne pourrait-on pas –à certaines conditions et exceptionnellement- ordonner des hommes mariés ? Peut-être, mais seulement s’ils sont d’abord des diacres aguerris. Et le tout, uniquement avec l’autorisation du pape, au cas par cas. 

Derrière ces velléités plutôt que ces volontés, je subodore une peur. On redoute celles et ceux qui estimeraient qu’il y a aussi, ecclésialement, des Amazonies hors de l’Amazonie. Quand un prêtre, âgé ou fatigué, parcourt un vaste territoire pour assumer la pastorale dans 10, 20 ou 30 paroisses –des clochers, comme on dit poétiquement en France-, ne sommes-nous pas un peu en Amazonie ? Y compris chez nous. Même s’il peut compter sur le dévouement admirable des laïcs, à commencer par les femmes ! On pourrait ajouter d’autres exemples.

Si le synode, du point de vue de l’avenir de notre Eglise, aboutit à clôturer hermétiquement l’Amazonie dans ses exceptions pour éviter toute contagion des réformes ailleurs, malgré les besoins avérés et les désirs répétés du peuple chrétien, on aura peut-être avancé en Amazonie, mais reculé chez nous.

Seigneur, accorde-nous la grâce de la patience.
Sans perdre celle de l’impatience !

Claude Ducarroz


Ce commentaire a paru sur le site cath.ch le 30 octobre 2019

dimanche 13 octobre 2019

Mission et Ste Marguerite

Homélie
Luc 17,11-19
13 octobre 2019

Il marchait vers Jérusalem où il pressentait que ça allait mal finir pour lui. Il marchait, mais il prenait tout son temps, le temps de croiser des gens, chemin faisant, pour leur annoncer la bonne nouvelle –ce qu’on appelle l’évangile – et pour les guérir de toutes sortes de maladie, selon les besoins de chacun.

Le terrain de mission n’était pas des plus faciles. La Samarie, habitée par des juifs dissidents et rebelles qui évitaient de fréquenter ceux de Jérusalem. Et ce n’était pas mieux en Galilée qu’on avait qualifié de « carrefour des païens », tant s’y mélangeaient des cultures et des religions surgies de tous les horizons.

Mais c’est justement là que Jésus aimait à circuler, à rencontrer les gens, surtout les plus humbles et les plus souffrants, pour leur révéler le visage de son Père qui est aussi le leur, le Dieu d’amour sans barrière et sans frontière.

 Et aujourd’hui le hasard fait que 10 lépreux vinrent à sa rencontre, autrement dit des malades, mais aussi des exclus, des méprisés, tant il est vrai que plusieurs maladies, y compris sociales et économiques, aggravent encore le pénible destin de ces malheureux.

Et Jésus les guérit, de leur lèpre évidemment, mais aussi de leur exclusion sociale et religieuse, puisqu’ils peuvent aller se présenter chez les prêtres.
Il le fait sans autre considération que la compassion active qui jaillit de son cœur touché par leur épreuve.

Il y a un samaritain parmi eux, autrement dit un hérétique peu fréquentable? Qu’à cela ne tienne !  C’est encore lui que Jésus citera en exemple  parce qu’il eut, bien plus que les autres, le réflexe de la reconnaissance. Relève-toi, lui dit Jésus – déjà le langage de la résurrection-, ta foi t’a sauvé.

Car la mission de Jésus, et par conséquent celle de l’Eglise aujourd’hui, est toujours la même, encore que les paysages et les contextes soient différents.

Oui, une Eglise en sortie, comme dit le pape François, qui s’avance au milieu des êtres humains tels qu’ils sont, qui les aime avec leurs grandeurs et leurs misères, qui leur annonce une bonne nouvelle de libération et de salut, qui enrobe ses paroles de gestes de compassion et de partage, qui ne met aucune limite ni aux élans de son cœur, ni aux accents de sa parole, ni aux bienvenues dans ses communautés.

 La mission est une aventure divine en pleine pâte humaine. Simplement, nous savons que Jésus nous tient par la main, que son Esprit respire en nous. Et nous avons envie d’inviter à ce pèlerinage d’amour et de liberté tous ceux que nous rencontrons, pour leur joie et pour la nôtre. Une belle mission !

Quelqu’un a vécu un peu tout cela, et même beaucoup, en arpentant les chemins caillouteux de sa campagne près de Romont, en pays de Fribourg.

 Elle avait les pieds bien sur terre, mais elle marchait surtout à la rencontre des autres, à commencer par les plus petits et les plus nécessiteux, par solidarité humaine, mais aussi par esprit missionnaire.

Car c’est bien cela, l’évangile en actes : visiter les malades, enseigner le catéchisme aux enfants, inviter à la prière en priant beaucoup soi-même, autrement dit aimer Jésus et le faire connaître et aimer, au ras des pâquerettes –elle s’appelait Marguerite.
Non pas en accomplissant des choses extraordinaires, mais en distribuant avec charité la petite monnaie des conseils tout en sourire, des invitations tout en respect, des sacrifices de soi tout en gratuité, les yeux et le cœur tournés vers la croix de Jésus ressuscité.

Marguerite Bays est actuellement canonisée à Rome. Elle doit en être très étonnée, et même plutôt gênée. Elle figure en image au fronton de la basilique St-Pierre à côté d’un cardinal anglais, John Henry Newmann, un géant de culture du même siècle qu’elle.

Mais soyons rassurés, Marguerite demeurera toujours la sainte bien de chez nous, pieuse et généreuse, dans la sainteté de la proximité avec les gens simples et au service d’un évangile qui rejoigne les pauvres de toutes sortes.

Avec elle, l’Eglise nous rappelle que la vocation à la sainteté de la vie –autrement dit miser sur la foi et sur l’amour- est à la portée de tout le monde, avec les énergies de l’Esprit du Christ.

Car Jésus, avec les saints et saintes d’hier et d’aujourd’hui, en attendant ceux de demain, continue de marcher mystérieusement dans notre monde en nous disant à tous et à chacun : Relève-toi et va ! Ta foi t’a sauvé.


Claude Ducarroz

vendredi 4 octobre 2019

Jacques Loew: de conversion en conversion

Jacques Loew : de conversion en conversion
Il fait partie de ceux qu’on a appelé « les grands convertis du XXème siècle ». Et sa vie est bel et bien allée de conversion en conversion.

Un enfant gâté et un grand vide
Cet homme avait tout pour être heureux. Fils unique d’une famille de médecin, entre le soleil de Nice et les études de droit à Paris, il se découvre à 24 ans « complètement athée…puisque avant sa naissance rien n’existe pour l’homme et après sa mort rien n’existe non plus ». Un athéisme hédoniste, avec un grand creux à l’intérieur. Un séjour en Suisse –à Leysin exactement – pour cause de maladie sera un peu son chemin de Damas, complété par quelques jours à la Chartreuse de la Valsainte (Gruyère). La beauté de la nature l’a conduit à l’orée de la foi, le témoignage des moines en pleine eucharistie planta en lui cette question décisive : « Ou bien ces hommes sont fous ou bien c’est moi qui suis aveugle ». Il prie, il médite l’Evangile. Il entre alors dans l’univers de la foi par la porte royale de l’Amour de Dieu. Encore devait-il « avaler l’Eglise, » lui qui avait été placé à la catéchèse protestante pour qu’il échappât aux griffes des curés. Finalement, il est resté là où l’on pouvait dire en vérité les paroles de l’eucharistie, dans l’Eglise catholique, malgré ses lourdeurs historiques.

La ferveur du néophyte
Re-né dans la foi au Christ vivant et dans la communion de l’Eglise, le jeune converti s’annonce chez les Dominicains en 1934. Il goûte à fond la théologie thomiste, il devient prêtre en 1939, sans se douter qu’une nouvelle conversion l’attendait.
L’Eglise de France était alors soulevée par une volonté de nouvelle évangélisation en milieu ouvrier. Entraîné par le Père Lebret, fondateur de Economie et Humanisme, Jacques Loew devient le premier prêtre-ouvrier à Marseille. Ce fils de la bourgeoisie partage la vie des dockers. Dans la solidarité sur les quais, Jacques Loew prend conscience de plusieurs misères dans ce peuple : la violence de l’injustice, le manque de considération, de tendresse, de sens à la vie. Treize ans durant, sa vie de prêtre sera intimement mêlée à celle des prolétaires. Deux rencontres vont illuminer cette recherche et cette expérience originales. En 1942, c’est un premier contact avec Madeleine Delbrêl, elle-même convertie, qui s’était installée en banlieue rouge de Paris, à Ivry, pour témoigner de l’Evangile en pleine pâte marxiste. Autre contact fécond en 1951 : la rencontre avec Mgr Montini à Rome, le futur pape Paul VI, toujours sympathisant des initiatives pastorales venues de France.

« Douleurs et déchirements »
1954. Un couperet tombe de Rome. Il est mis fin brutalement à l’expérience des prêtres-ouvriers. S’ouvre alors une grave crise provoquant des réactions en chaîne parmi les premiers concernés. Des prêtres quittent le ministère pour demeurer avec les ouvriers, d’autres finissent par obéir, la mort dans l’âme. Le Père Loew réagit par une résilience douloureuse mais positive. Il a l’intuition qu’il faut inventer autre chose pour garder la solidarité avec le monde ouvrier tout en évitant les pièges d’une sécularisation politique du ministère. En 1955 déjà, il fonde la Mission ouvrière saints Pierre et Paul, la MOPP. Dans les milieux populaires, il lance des équipes à forte densité évangélique. Partage de vie avec les plus pauvres, intense animation spirituelle et liturgique, sauvegarde du lien avec l’Eglise : de telles mini-communautés sont fondées aux quatre coins du monde, dans ces périphéries devenues chères au pape François. La MOPP, c’est la réponse prophétique, mais aussi ecclésiale, à l’épreuve de l’interdiction des prêtres ouvriers en France. Un rebondissement réussi, une nouvelle conversion.

Et puis vint le concile Vatican II
A l’affut des besoins de l’Eglise en ses profondeurs, le Père Jacques Loew a l’intuition que l’avenir du concile se joue au niveau d’un retour aux fondamentaux de la vie chrétienne. A partir de la redécouverte catholique de la Parole de Dieu –désormais largement diffusée dans et hors de la liturgie-, il faut constituer de nouveaux levains d’évangile pour la pâte humaine et ecclésiale. La mission se fera à partir de petites communautés-signes, ce qui correspondait d’ailleurs à l’évolution en cours parmi les institutions religieuses. Les grandes structures se fractionnent en mini-communautés. Encore faut-il les accompagner et les nourrir. C’est la fondation de l’Ecole de la foi à Fribourg dont la théologie universitaire offrait une opportunité de formation plus sereine qu’en France. Nous sommes au lendemain de 1968.
Durant 35 ans, fidèle au projet de son fondateur, l’Ecole de la foi a formé près de 2000 « disciples » -expression chère à Jacques- appelés à répandre ensuite cette bonne nouvelle à travers 75 pays de notre monde. Quelle nouvelle ? Un enseignement  biblique et théologique très sérieux, une vie spirituelle et liturgique savoureuse et surtout une vérification de l’acquis dans les profondeurs d’un fort partage communautaire en des petites équipes internationales. Ces trois piliers ont constitué la marque de fabrique pour les protagonistes de l’Ecole de la foi. Aujourd’hui encore, des laïcs, des religieux/ses et des prêtres en témoignent avec bonheur. Si l’Ecole de la foi de Fribourg a dû malheureusement cesser ses activités en 2006, une Ecole de la foi à Yamoussoukro a pris le relais maintenant en Côte d’Ivoire.

Les dernières conversions
Pas facile pour un fondateur de laisser son œuvre entre d’autres mains. Le Père Loew l’a fait pour la MOPP en 1973 déjà et en 1981 pour l’Ecole de la foi en la confiant à un couple diaconal, Noël et Josiane Aebischer. Il a pu alors s’adonner au rayonnement de sa brillante intelligence à travers des voyages et des prédications un peu partout dans notre monde, y compris au Vatican. De nombreuses publications constituent encore la richesse de son influence parmi nous. Encore fallait-il qu’il se préparât au grand départ. Ce ne fut pas simple…encore une conversion ! D’anciens désirs remontaient à la surface de son âme. La vie communautaire en monastère ? La vie érémitique dans la solitude ? Ce fut une recherche personnelle laborieuse. Cîteaux, Tamié, des ermitages dans les Pyrénées, il finit par trouver son ultime nid spirituel parmi les moniales trappistines d’Echourgnac, dans le Périgord. C’est là qu’il se remit entièrement à Dieu, le 14 février 1999 à l’âge de 91 ans.

Les traces vives d’un passage fécond
Quel bilan d’une telle aventure humaine et chrétienne, qui puisse continuer de nous édifier aujourd’hui ? Dieu seul le sait. Mais il nous reste des traces encore signifiantes pour nous. Ce qui aurait pu devenir banal est devenu une aventure parce que Dieu a écrit droit sur les lignes courbes de cette vie.
D’abord la foi. Elle ne fut pas un héritage, mais une redécouverte, une irruption à partir du vide. Dans une société de plus en plus sécularisée, les croyants par tradition ou par héritage sont de moins en moins nombreux. Comme Jacques Loew, nos contemporains sont ou seront de plus en plus des commençants ou des recommençants. Relire Jacques Loew, donner la main à un tel grand frère ne peut qu’encourager tous les novices de l’Evangile.
Une fois reconnu le visage humain et divin de Jésus de Nazareth au terme d’un voyage intérieur, c’est encore une autre histoire qui commence, la rencontre inévitable avec une Eglise fort imparfaite. Par les temps qui courent, il semble que les distances d’avec l’Eglise soient plus spontanées que les communions avec cette institution d’apparence humaine, trop humaine. Dans l’itinéraire de Jacques Loew, des rencontres personnelles ont compté davantage que les prestiges historiques des structures.  Où sont de nos jours ces témoins significatifs qui peuvent conduire fraternellement jusqu’au cœur du mystère de Jésus ? Ne sommes-nous pas tous invités, malgré nos faiblesses, mais dans la transparence de quelque béatitude évangélique, à servir de relai pour tant de cœurs assoiffés d’amour ouvert sur la vraie vie ? Aujourd’hui comme hier.
Quand l’homme et le chrétien finissent par coïncider, comment choisir sa voie pour avancer sur le chemin du salut ? Il faut avoir un cœur accroché à l’espérance, car l’itinéraire peut réserver bien des surprises. Encore faut-il avoir la souplesse de plusieurs vocations successives, car naviguer avec Dieu n’est jamais chose tranquille. On n’est pas chrétien pour enchaîner les siestes.
 Comment réagir quand le vent souffle violemment dans l’arbre de l’Eglise ? Se cramponner aux grosses branches. Autrement dit sans cesse revenir à Celui qui est le chemin, la vérité et la vie. Et donner la main à d’autres laissés pour compte au bord de la route. Le bourgeois Jacques Loew, finalement, a toujours préféré la fréquentation des pauvres et des derniers pour découvrir le lieu humain et ecclésial où Dieu lui donnait rendez-vous. C’est dans cette proximité qu’il a trouvé les terrains de sa mission en même temps que le bonheur d’être homme. Et aussi la véritable Eglise de Jésus, autrement dit là où bat le cœur eucharistique du Christ et là où souffle le vent imprévisible de l’Esprit.

Ultime parole, ultime silence
Enfin, il n’y a de transmission qui aide à vivre, que celle qui s’offre à partir d’une vie entièrement donnée. Jacques Loew, s’est beaucoup donné, mais pas sans peine. Les virages de son parcours sinueux ne furent pas  négociés sans hésitations ni souffrances. Trouver le terrain d’atterrissage final pour déposer son destin dans les mains de Dieu fut une quête ardue. On ne se quitte jamais sans arrachements quand il s’agit de se laisser absorber par l’Amour majuscule, jusqu’au bout. Le dernier mot fut son silence, à l’ombre des monastères de contemplation, quand  tout est déjà dit, quand il ne reste plus qu’à offrir le dernier sourire, le dernier soupir. Après avoir vécu tant bien que mal avec  Jésus au milieu des hommes, nul ne peut faire l’économie de mourir un peu comme lui, avant de passer dans la Pâque avec lui. Alors les grandeurs des extrêmes diminutions se superposent aux grandeurs des plus fécondes croissances pour former l’ultime sacrifice eucharistique. Pas seulement mourir en communiant, mais aussi communier en mourant Ou, selon Jacques, …comblé de n’être jamais rassasié de te désirer, et de commencements en commencements, par des commencements sans fin, j’irai ».

                                                                                  Claude Ducarroz
Pour mieux connaître la personnalité, l’oeuvre et les écrits de Jacques Loew, on peut relire  Le bonheur d’être homme – Entretiens avec Dominique Xardel  Editions du Centurion 1988

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