Toussaint 2019
« Pourquoi tu pleures ? »
C’était à la fin d’un enterrement. Un petit
garçon, qui tenait la main de son père, s’est tourné vers lui en lui posant
cette question : « Papa, pourquoi tu pleures ? »
Quand un être cher s’en va, surtout lorsque les
circonstances sont particulièrement tristes, inattendues, voire dramatiques,
nous pleurons, et c’est bien naturel de le faire. Il ne faut jamais avoir honte
de ses larmes.
Nous avons toujours au moins deux raisons de
pleurer : justement parce que la personne décédée nous est chère, et aussi
parce qu’elle est morte, disparue, comme on dit pudiquement. Nos larmes sont le
témoignage d’un amour blessé et en même temps le signe d’un espoir cassé. On
voudrait tellement tenir encore l’être aimé dans nos bras, et le retenir pour
toujours dans la vie.
Derrière tout amour vrai, il y a
nécessairement, qu’on l’avoue ou non, le désir d’un toujours, et sa nostalgie
éplorée, quand il faut dire un dernier adieu à celle ou celui qui nous aimait
et qu’on a tant aimé.
Alors les pleurs coulent, les larmes arrosent
les souvenirs. Il va falloir vivre, ou du moins survivre, sans la présence de
cet autre qui donnait un sens à notre existence et contribuait à notre bonheur.
On a parfois l’impression qu’on ne pourra jamais plus être heureux. Et pourtant
il nous faut continuer de vivre.
Où sont les clefs de cette énigme qui, tôt ou
tard, nous rattrape tous ?
Du côté de l’amour perdu, nous pouvons faire
quelque chose. Il est possible que nous
ayons l’impression de ne jamais pouvoir retrouver le bonheur, ou pas comme
avant.
Mais je suis sûr que nous avons encore de quoi
aimer, d’autres à aimer, pour leur bonheur et pour le nôtre. Nos chers disparus
nous ont peut-être dit, et souvent montré, qu’il y a encore de quoi continuer
d’écrire de l’amour, même sur les marges de la vie qui nous reste.
Dans la cadre de la famille le plus souvent,
mais aussi au-delà. Il y a toujours, il y aura toujours des malheureux à
secourir, des solitaires à accueillir, des pauvres à servir, des malades à
visiter, etc… Autrement dit des frères et sœurs à aimer, sans barrière et sans
frontière.
Les souvenirs bénis des morts qui nous font
encore pleurer peuvent devenir des invitations à continuer l’affection d’hier
par la compassion d’aujourd’hui. Rien n’est plus digne de la mémoire des morts
que l’humble service des vivants.
Mais que faire pour l’espérance, me
direz-vous ? Cette espérance d’un toujours qui semblait indissociable de
nos amours. Dire à quelqu’un « je t’aime », de tout son cœur, de tout
son corps, c’est lui dire : « je ne voudrais pas que tu
meures ». Et pourtant il est mort, elle est morte, et c’est bien ce qui
provoque ce terrible chagrin qui peut même conduire tel ou telle jusqu’à l’orée
du désespoir.
Alors là, il faut s’arrêter et réfléchir. Ce
n’est pas parce que nous n’avons pas la clef du « toujours », que
l’éternité de l’amour n’existe pas. Il nous faut simplement, je dirais surtout
humblement, accepter de la recevoir de la main d’un autre que de soi-même. Nous
ne nous sommes pas donné la vie à nous-mêmes, nous l’avons reçue comme un don,
un cadeau gratuit, y compris avec cette merveilleuse capacité d’aimer et d’être
aimé.
Bonne nouvelle ! L’auteur de la vie, le
maître de notre vie, est aussi le vivant de Pâque, celui qui a traversé la
mort, celui qui est ressuscité au-delà de cette mort. Pas seulement pour lui,
comme s’il était un champion solitaire qui abandonnerait tous les autres dans
leur triste néant.
Non, d’au delà de sa mort, il est revenu nous
annoncer cette étonnante nouvelle et rallumer notre fragile espérance :
« Là où je suis, vous serez aussi avec moi pour toujours ». Par amour
évidemment. En ajoutant : « Croyez-vous cela ? »
Bien sûr, ça signifie un énorme saut dans la
foi, dans l’abandon confiant en cette promesse. Tous ne parviennent pas à y
croire. Il ne faut surtout pas les juger, et encore moins les discriminer.
Par ailleurs, ce cadeau de Jésus –la vie
éternelle- ne disqualifie pas nos larmes, n’empêche pas nos chagrins humains.
Il ne répond pas à toutes nos questions
légitimes. Jésus lui-même a pleuré devant le tombeau de son ami Lazare. Il a
aussi posé ses questions à Dieu du haut de la croix : « Pourquoi
m’as-tu abandonné ? »
La foi en la vie éternelle -qui nous donne cet
immense espoir de nous retrouver tous pour continuer de nous aimer en Dieu-, cette
foi respecte notre humanité faite de grandeurs et de misères, de joies et de
peines, de rires et de larmes, de quelques certitudes bienheureuses et de
beaucoup d’interrogations.
Du moins savons-nous maintenant que dans tout
amour sincère veille une semence d’éternité qui fleurira dans le royaume de
Dieu, quand ce Dieu-Amour sera « tout en tous ».
Puissions-nous continuer de vivre, et un jour
aussi de mourir, dans cette espérance-là !
Claude
Ducarroz
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