dimanche 27 février 2011

A l'occasion des 70 ans de mon frère Bernard

Homélie
8ème dimanche du temps ordinaire
A l’occasion des 70 ans de mon frère Bernard

Rien ne va plus ! faites vos jeux !

A observer l’actualité de notre monde, et même celle de notre Eglise, j’ai parfois l’impression de vivre dans un grand casino.

Rien ne va plus ! La crise est partout. La crise économique, la crise politique, la crise écologique, la crise du couple et de la famille, la crise dans l’Eglise. Et on pourrait allonger la liste. Beaucoup de médias -pas tous heureusement- rapportent surtout les mauvaises nouvelles, pourvu qu’elles soient croustillantes, avec un parfum de scandale qui aide à vendre le papier, les sons et les images.
Il faut cependant le reconnaître : il y a du juste dans la description de cette ambiance morose, parfois sinistre et même déprimante. Même dans l’Eglise, il arrive qu’on ne sache plus à quel saint se vouer.

Et voici que tout à coup, dans ce climat plus ou moins désespérant, éclate aujourd’hui une parole étrange, presque exotique, et même provocante, tellement elle semble aller à contre-courant de ce que nous vivons, traînons et souffrons.

« Pourquoi se faire tant de souci ? », nous dit Jésus, « tant de souci pour la nourriture, pour votre corps, au sujet des vêtements, pour demain ? »

Est-ce à dire que l’évangile prône l’insouciance, l’imprévoyance et finalement une paresse irresponsable qui nous transformeraient en hippies sous les cocotiers, sirotant avec flegme des versets d’évangile au goût de schwingum?

Sûrement pas. Ce que le Christ veut nous dire, c’est que, avec ou sans crise, il nous faut sans cesse refaire notre échelle des valeurs, vérifier la solidité de celles qui nous habitent et nous font courir, retrouver la bonne étoile dans notre ciel, surtout lorsqu’il fait nuit en nous et autour de nous. Nous avons tous besoin de repasser de temps en temps dans le scanner de l’évangile afin de discerner, avec une franche lucidité, ce qui est sain et saint, et regarder en face ce qui est nécrosé, infecté peut-être, voire pourri, et qui ne peut que nous rendre malheureux, en multipliant les malheureux autour de nous.

Même les grands saints savaient qu’il y avait, tapi au fond de leur cœur, des zones non encore irriguées par l’Esprit-Saint, qui risquaient toujours de dégénérer en maladies d’inhumanité.
Que dire alors de chacun de nous qui savons, par expérience, combien nous sommes faibles dans notre foi, fragiles dans notre espérance, laborieux dans la pratique de la charité ?

* Nous sommes dans un environnement qui nous pousse au matérialisme. Accueillons avec reconnaissance cet avertissement salutaire : « Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent ». Autrement dit, nous ne devons pas faire de l’argent, de la possession des biens matériels –toujours plus, et surtout plus que les autres- une divinité qui nous occupe et nous préoccupe tellement qu’elle finit par nous asservir. Et bonjour les dégâts !
* Nous sommes continuellement stimulés à miser sur le paraître, le superficiel, pour ne pas dire l’épidermique – en mettre plein la vue, dans l’habillé ou le déshabillé. C’est pour notre bien que le Seigneur nous incite à creuser dans l’être pour trouver les sources du vrai bonheur, même si nous avons des moyens réduits, si nous menons une vie simple, sans canoniser la misère évidemment.
Très concrètement, les textes de la liturgie nous invitent même à retrouver des chemins de joie qui me semblent profondément d’actualité. J’en souligne trois, qui me semblent convenir très bien à la circonstance qui nous rassemble aujourd’hui.

* « Regardez les oiseaux du ciel… observez les lis des champs.. » : sommes-nous encore capables d’admirer la nature, notre si belle nature dans notre pays, dans cette région, pour nous en réjouir, à condition de la respecter évidemment ? Il y a une juste écologie évangélique. Puissions-nous devenir de plus en plus des contemplatifs émerveillés !

* « Est-ce qu’une femme peut oublier son petit enfant, ne pas chérir le fruit de ses entrailles ? »
C’est l’appel à la tendresse, à l’affection gratuite, à la solidarité, ce qu’on appelle l’amour. Savons-nous encore nous aimer les uns les autres, dans les couples évidemment, dans nos familles, mais aussi dans nos communautés chrétiennes, dans nos cités, avec une ouverture sur le vaste monde, puisque la planète est devenue notre village ?

* Et puis « cherchez d’abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Où est la place de la spiritualité, de la prière, de l’évangile, finalement de la communion avec Dieu, lui est à la fois notre source maternelle par amour –moi, je ne t’oublierai jamais- et notre océan d’accueil au terme de notre vie, sans compter la boussole pour parcourir le difficile chemin entre le départ et l’arrivée ? Comme une mère, il ne peut nous oublier. Mais nous, nous l’oublions si souvent, n’est-ce pas ?
La beauté, l’amour, la vie spirituelle : voilà ce qui sauve et sauvera toujours le monde. Car finalement, la beauté, c’est Dieu, Dieu est Amour et son Esprit est notre meilleur compagnon de route, quoi qu’il nous arrive.

Je crois pouvoir dire que, chez nous, les paroliers, les compositeurs, les choristes, les musiciens sont vraiment les apôtres de ces valeurs-là. Ils ne sont pas seulement utiles, ils sont nécessaires, comme les fleurs des champs, comme la tendresse des mamans, comme la prière des croyants. On peut leur appliquer ce que disait l’apôtre Paul en pensant aux ministres de l’évangile dans les premières communautés chrétiennes : «Que l’on nous regarde comme les serviteurs du Christ et les intendants des mystères de Dieu. Et ce qu’on demande à de tels intendants, c’est de mériter confiance. »

Cher Bernard, chers artisans de la musique, du chant, de la communion humaniste, vous nos bienfaiteurs parce que les serviteurs et les servantes des plus beaux mystères : nous méritez plus que notre confiance, vous avez notre vive reconnaissance, vous pouvez compter sur notre amitié, nos encouragements et même notre admiration.
Je sais que vous faites tout cela dans un esprit d’humilité qui ajoute une valeur merveilleuse à ce que vous réalisez pour notre bonheur.
Plus précieuse encore que notre gratitude émue, c’est cette parole de l’apôtre Paul à la fin de la lecture tout à l’heure qui s’applique à vous : « La louange qui revient à chacun lui sera donnée par Dieu. »
Claude Ducarroz

vendredi 25 février 2011

A propos du diable

A propos du diable

Mon intervention lors de l’émission TV « Mise au point » de dimanche 20 février –ou plutôt ce qu’on a retenu de ce que j’avais dit lors de l’interview- a jeté quelque trouble dans le landerneau ecclésiastique. Selon certains, j’aurais nié l’existence du diable !
Qui lit et médite l’évangile ne peut nier que Jésus se soit affronté au démon, appelé aussi diable ou Satan. Il a surtout vaincu cet Ennemi par sa victoire pascale. A ne jamais oublier !
On peut croire –car on est dans le domaine de la foi- que le ou les démons sont encore à l’œuvre dans le monde pour contrecarrer l’oeuvre de la rédemption. Mais il ne faut pas voir le diable partout, ce qui reviendrait à nier les méfaits possibles du mauvais usage de leur liberté chez les hommes eux-mêmes. Nous sommes des êtres responsables.
Quand peut-on estimer que le diable est directement à l’œuvre, qu’il est comme visible dans des démonstrations extraordinaires, qu’il prend possession d’une personne ? Là était l’objet de l’émission de la télévision qui était consacrée aux exorcismes. J’ai déclaré que, dans ces cas-là, la présence du diable était « possible, mais pas certaine ». Je veux dire que de telles manifestations exigent un discernement très subtil, ce que l’Eglise pratique en confiant ce service délicat à des personnes formées et prudentes. Les exorcistes nous disent que la présence évidente de l’action diabolique directe leur est apparue très rarement, ce qui contribue à me laisser sur une certaine réserve. Pour ma part, je ne me souviens pas d’avoir pu « voir le diable en direct », même si j’ai évidemment côtoyé le mal et des maux au cours de mon ministère. Une seule fois, j’ai eu comme la conscience qu’il existait bel et bien derrière une œuvre vraiment « diabolique ». C’était après une visite du camp de concentration nazi à Auschwitz.
Je crois que le meilleur remède contre le diable est de grandir dans la communion avec le Christ, notre Sauveur. Pour le reste, je prie chaque jour, comme tous les chrétien, pour que le Seigneur nous délivre du Mal…ou du Malin !
Claude Ducarroz

jeudi 24 février 2011

La cuchaule

Fleur de vie

La cuchaule

J’ai repéré dans mon quartier une petite boulangerie artisanale qui recommande ses produits sous le label « Créations maison naturelles pur beurre ». L’artisan est un jeune monsieur à barbiche qui vient servir lui-même ses clients encore rares.
Sur l’étal, je pointe une petite cuchaule appétissante, exactement ce qui convient à un célibataire légèrement gourmand. « Bien volontiers, me dit le boulanger, mais ce sera gratuit ». Je proteste de ma volonté de payer, comme c’est normal, et surtout quand il s’agit d’un artisan qui doit sans doute peiner à faire sa place au soleil à coté des supermarchés gloutons. Rien à faire. Il m’explique : « Cette cuchaule date d’hier, elle est encore très bonne, mais je ne veux pas vous la faire payer comme un produit frais. »
Honnêteté et générosité : des qualités qui ne sont plus si courantes dans le contexte actuel de la vie économique. La gratuité se perd dans une société où tout se paie parce que c’est la valeur marchande qui fait la valeur tout court. Certes, marchandises et services doivent être rémunérés pour faire vivre propriétaires et travailleurs. Mais que deviendraient nos relations humaines s’il n’y avait plus de place pour du gratuit, du gracieux, du généreux ? Nos Eglises pourraient-elles encore accomplir leur mission si leurs bénévoles faisaient grève ?
Apprendre la joie de donner sans rien attendre en retour, ça fait partie de ce minimum vital sans lequel nous nous desséchons dans l’utilitaire matérialiste et l’égoïsme érigé en système.
Cette leçon vaut bien une cuchaule, n’est-ce pas ? Excellente par ailleurs !
1603 signes Claude Ducarroz

dimanche 20 février 2011

Homélie du 7ème dimanche du temps ordinaire

Homélie

7ème dimanche du temps ordinaire
20.02.2011

Federer… Cuche… Ronaldo ! Vous connaissez ?
Faut-il être un Federer de la sainteté,
un Cuche de la perfection,
un Ronaldo de la charité ?
- Excusez de ne citer que des hommes, mais je sais qu’il y a aussi des femmes. –
Faut-il être des champions toutes catégories pour être des chrétiens, selon la liturgie de ce jour ?
En effet, le programme – proposé ou imposé – semble relever des Jeux Olympiques de la sainteté :
Etre saints comme le Seigneur est saint, parce qu’il est saint.
Vous êtes le Temple de Dieu. L’Esprit de Dieu habite en vous.
Aimer ses ennemis… prier pour ceux qui nous persécutent.
Tendre la joue… donner aussi son manteau.
Et cette finale, digne de tous les superlatifs sportifs :
« Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Rien que ça !

Il faut le reconnaître : si l’on envisage tout cela à la manière sportive, c’est-à-dire à coups d’entraînements, de dépassements de soi, de performances ascensionnelles, de sacrifices pour la victoire : nous sommes perdus d’avance, nous n’arriverons jamais, nous ne finirons même pas la course dans les dernières places du classement. Echec et mat !

Heureusement, la sainteté n’est pas un défi à relever à la force de nos exploits spirituels.
La sainteté, c’est d’abord quelqu’un, un autre que nous :
« Moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint. »
On peut même ajouter : le seul saint !
Et heureusement encore – deuxième bonheur –, ce Dieu saint est aussi – et même d’abord – un père, notre Père, selon la révélation de Jésus.
« Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
Et ça change tout.
La sainteté, sa sainteté, il la partage, il en fait un cadeau, ce qu’on appelle une grâce.
Nous ne sommes pas saints à la force de nos poignets religieux, nous le devenons en ouvrant nos mains pour accueillir ses grâces comme d’humbles mendiants – humbles certes, pauvres même – mais jamais humiliés par celui qui offre ses cadeaux. Au contraire : relevés, remis debout, et même un jour, re-suscités, ressuscités !

Les cadeaux, ils sont là, gratuits et généreux :
Vous êtes le peuple de Dieu.
Vous êtes le temple de Dieu, un sanctuaire sacré, habité par Dieu lui-même.
Vous êtes les fils d’un Père qui est aux cieux.

Et cette liste de cadeaux rappelés par Paul : tout vous appartient :
• Paul, Apollos et pierre : autrement dit l’Eglise !
• le monde et la vie : c’est bon, tout ça !
• la mort, certes mais avec un avenir, un au-delà.
Oui, tout est à vous. Tout !

Tout, et même plus : la miséricorde de Dieu, son cœur de Père ouvert sur nos misères.
Car la sainteté de Dieu, c’est qu’il nous aime encore lorsque nous sommes en queue de classement, c’est qu’il nous relève toujours lorsque nous tombons, c’est qu’il est, comme dit le psaume :
tendresse et pitié
lent à la colère et plein d’amour.

Sa sainteté en nous, c’est qu’il ne cesse de nous couronner d’amour et de tendresse.

Alors parce que nous sommes émerveillés, bouleversés par cet amour, nous avons envie d’aimer un peu plus comme lui nous aime, à savoir :
• aimer notre prochain, et même nos ennemis,
• ni vengeance, ni rancune
• respecter le temps de Dieu qu’est tout homme
• donner avec joie, de bon cœur,
• donner de nous-même, de notre temps, de notre compassion, de nos biens aussi, si nous en avons.

Mais pour faire cela, qui est vite dit mais difficile à mettre en pratique, il nous faut quelqu’un qui nous donne la main, un ami, le meilleur des amis.

« Tout est à vous, dit saint Paul, mais vous êtes au Christ et le Christ est à Dieu ». Voilà l’ascenseur pour la sainteté. Voilà le chemin de la grande remontée, accompagnée, bien accompagnée, avec quelqu’un qui ne nous lâche jamais, quoi qu’il nous arrive !

Et c’est justement ce que nous vivons maintenant, comme à chaque messe :
• un sacrement d’alliance nouvelle et éternelle
• le Christ vient à nous, dans sa Parole qui nous éclaire pour suivre le bon chemin
• le Christ vient en nous pour une communion d’amour chaleureux
• le Christ reste avec nous chaque jour de notre vie, dans les joies, les difficultés et les peines de nos existences.

Peu importe le classement, c’est la joie qui compte, celle de savoir qu’il est avec nous… et nous avec lui.

Bénis le Seigneur, ô mon âme… n’oublie aucun de ses bienfaits.
Amen
Claude Ducarroz

jeudi 17 février 2011

Le grand virage

Fleur de vie

Le grand virage

J’écoute une dame qui vient d’entrer dans un home pour personnes âgées. Quelle différence de vie ! Je n’aurais pas imaginé autant de changements imposés en si peu de temps. Une véritable conversion.
Passer d’un appartement à une seule chambre, pas bien grande d’ailleurs. Avoir de nombreuses relations, au gré des allers et venues dans un quartier animé…et se retrouver dans un univers plus confiné, qui diminue forcément le nombre et la qualité des contacts avec l’extérieur. Avoir toujours autour de soi -ou en face de soi- des personnes non choisies, dont certaines sont très diminuées dans leur santé physique ou mentale.
Tout cela peut être vécu comme une épreuve difficile à surmonter. Il faut le comprendre.
Une épreuve, mais aussi une invitation.
Invitation à se concentrer sur ce qui fait l’essentiel de la vie, ce noyau qui rayonne de l’intérieur quand tout le reste s’est simplifié au point de diminuer, voire de disparaître peu à peu.
Et qu’est-ce donc ? Deux (nouvelles) communions.
Celle qui nous relie avec ce Dieu plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes, celui qui nous donne rendez-vous à tout moment au coeur de notre propre mystère, dans le murmure de la prière et du silence habité.
Et la communion avec les autres, ces humains qui sont là tout près de nous, à condition de les regarder autrement, comme des frères et sœurs à aimer, et non plus comme des passants à évaluer sur leurs apparences si souvent trompeuses.
Telle est l’aventure féconde de l’automne de la vie, qui laisse encore de beaux fruits à cueillir humblement sur les branches de nos journées.
1602 signes Claude Ducarroz

samedi 12 février 2011

Doodlez en paix!

Fleur de vie

Doodlez en paix !

Trois doodles, rien qu’aujourd’hui. On se bouscule au portillon de mon agenda. Il y a de la concurrence sur ma ligne.
Le doodle, vous connaissez ? C’est ce système, fort pratique, qui permet de vérifier les disponibilités des personnes afin de parvenir à un rendez-vous commun. Décidément, l’ordinateur a aussi du bon, par exemple pour fixer rapidement une réunion pastorale entre personnes dispersées et très occupées. Merci M. Doodle !
Encore faut-il que les personnes en question soient disponibles à la rencontre. Il y a le temps, évidemment, puisqu’on ne peut être à deux places à la fois. Il y a aussi le désir de retrouver les autres, affectivement et effectivement. Il y a surtout l’ouverture du cœur qu’aucune technique ne peut remplacer. En cochant la case du doodle, je dis aux autres membres du groupe : je serai heureux de vous revoir, nous allons construire quelque chose de beau ou d’utile ensemble. Oui, pour cela, je suis prêt.
Et si l’on pratiquait le doodle…avec Dieu ? Dans les cases de ma journée ou de ma semaine, je peux aussi cocher du temps pour lui, rien que pour lui. Oui, inscrire sur l’agenda secret de mon cœur un temps pour prier de toute ma foi, pour communier par amour, pour écouter sa parole, pour provoquer un instant de silence tout rempli de sa présence.
Avec Dieu, c’est merveilleux. Lui, il est toujours disponible, avec ou sans doodle. Il suffit d’appeler son Esprit, celui qui ouvre les portes intérieures afin que la rencontre s’opère dans la sérénité et la joie.
Alors, doodlons en paix !
1557 signes Claude Ducarroz

samedi 5 février 2011

In memoriam Joseph Bovet

In memoriam + Joseph Bovet
1951 - 2011


Je traverse le cimetière d’un petit village dans la Broye fribourgeoise, une région de plaine, où l’on préfère contempler les montagnes de loin. Au hasard de mon recueillement, je remarque un monument funéraire qui ne comporte ni RIP ni Alleluia, mais quelques notes de musique sur une portée. Ré ré do si do si la. Les premières notes du Vieux Chalet … Là haut sur la montagne ! Tout est dit, ou plutôt chanté !

Et j’ai compris quelque chose. Le Vieux Chalet, c’est la version alpestre du mystère pascal, une parabole de l’espérance chrétienne, un évangile de paroles mises en musique en 1911, -il y a exactement 100 ans- pour partager un message de vie au-delà de la mort.
Ce vieux chalet, n’est-ce pas chacun de nous ? ce chant si populaire, n’est-ce pas le dessin poétique et musical de notre propre destinée ?

L’était un vieux chalet : comme l’écrivait Garaudy, nous naissons tous vieux, parce que nous ne sommes encore que le produit des siècles antérieurs. Ce passé coule dans notre cœur neuf, mais pas encore employé pour aimer, pour créer, pour enrichir le monde d’une nouveauté absolument originale, ce supplément d’amour et de beauté qui méritent seul le nom de vie. Pour reprendre la symbolique de l’évangile de ce jour, le sel est encore dans l’antique salière et la lampe à peine allumée n’est pas encore sur le lampadaire.

Croula le vieux chalet : ce sont les épreuves de la vie, les crises de croissance qui produisent toujours quelques résidus de regrets ou de remords sur le bord de l’existence. Et puis nos échecs, nos erreurs et jusqu’à nos péchés, cette neige et ces rochers unis pour nous arracher au meilleur de nous-mêmes. Nous avons tous nos blessures de corps, nos cabosses de cœur et d’esprit qui laissent nécessairement des cicatrices, le plus souvent secrètes, dans les aléas de notre vie humaine, rien qu’humaine.

Quand Jean vint au chalet : ce sont nos chagrins d’amour ou de deuil, ces larmes amères ou nobles qui, plus encore que nos yeux, arrosent nos douleurs et troublent nos relations. Les débris du bonheur, on les ramasse un peu comme les feuilles mortes, dans les couples et les familles déchirés, parmi les nations en guerre, chez les enfants abusés ou affamés, au sein des luttes coûteuses et risquées pour la justice et la liberté. Le vieux chalet, surtout avec l’apport de l’abbé Pierre Kaelin, s’est élargi aux dimensions du monde. Il n’est plus seulement sur les flans mythiques de notre Moléson. Il est en construction ou en destruction partout où des hommes et des femmes se sacrifient pour la fraternité et la solidarité.

L’est un nouveau chalet. Il y a parfois dans les chansons de l’abbé Bovet des accents de tristesse, des relents de nostalgie ou de mélancolie. Par exemple dans l’émouvant « Baiser de ma mère », ce souvenir poignant de l’orphelin qu’il fut. Mais il y a aussi « La fanfare du printemps », et cette résurrection du chalet reconstruit « plus beau qu’avant ».
Ce nouveau chalet, une fois encore, c’est chacun de nous, quand il donne, pardonne et se donne, quand il tisse de nouvelles relations plus humaines. Et aussi quand il s’élève par la foi et la prière au dessus des marécages du matérialisme et de l’égoïsme, quand il s’engage pour des causes qui augmentent le niveau de culture, de respect et de dignité dans notre pauvre monde.
Et nous le savons bien -ou plutôt nous l’espérons à cause de la Pâque de Jésus-, ce nouveau chalet, tellement plus beau qu’avant, il fera partie du village d’amour du Père qui accueillera ses enfants chez lui, là où il y a de nombreuses demeures pour abriter dans sa joie éternelle toute sa famille enfin parvenue « à la maison ». La fanfare de l’éternel printemps de Dieu.

L’abbé Bovet a composé son immortel « Vieux chalet ». Il l’a surtout vécu lui-même, dans toutes les saisons de sa vie, y compris, nous le savons mieux maintenant, par les chagrins du soupçon, la douleur d’une sorte d’exil, la mort hors de sa maison. Son corps repose dans cette cathédrale –dont il fut le chanoine dès 1930- et qu’il a si bien servie dans ses liturgies, pour soulever la piété du peuple de Dieu. Mais son esprit et son cœur sont surtout vivants en nous et en tous ceux, encore très nombreux, qui chantent ses compositions et vibrent d’émotion lorsqu’ils les entendent chanter, dans ou hors des églises.

Joseph Bovet a bien accompli sa mission d’homme, de chrétien et de prêtre. Jeter, avec la musique et le chant, des grains de sel dans les menus variés de nos vies, le sel qui donne du goût en forme de beautés pour le cœur, le sel qui conserve l’esprit au niveau d’une humanité civilisée, le sel qui provoque le rassemblement communautaire autour du partage de tous les bons repas, depuis l’amitié toute simple jusqu’à l’eucharistie en Eglise.


Oui, Joseph Bovet a su allumer chez nous, et bien au-delà de chez nous, des foyers de lumière chantante et enchanteresse, qui continue de briller, des montagnes à la plaine en passant par les rives de nos lacs, et surtout dans nos cœurs encore touchés et émerveillés par les échos de son génie créateur.

En lui disant encore merci - sans oublier ceux et celles qui ont recueilli et prolongé son héritage, et le prolongent encore aujourd’hui- nous rendons grâce à Dieu de vivre en un pays et en une Eglise où la beauté donne la main à la bonté, où paroles et musiques s’embrassent pour accueillir le divin dans l’humain et élever l’humain à l’orée du divin.

Claude Ducarroz

vendredi 4 février 2011

A ne pas oublier!

Fleur de vie

Ne pas les oublier !

Au retour d’une conversation avec des gens. Je retiens combien les religieuses ont joué un rôle prépondérant dans nos vies et dans nos communautés. Durant des décennies -et parfois des siècles-, elles furent sur la brèche avec une générosité admirable. On les trouvait dans les hôpitaux et les homes pour personnes âgées, dans les écoles et les institutions spécialisées, dans les services sociaux et les paroisses, et jusque dans les couloirs et les cuisines de nos séminaires et internats. Sans oublier les religieuses contemplatives, pas les moins utiles par leurs prières et leur mystérieuse communion.
A l’heure où ces communautés diminuent et même s’effacent dans l’humilité du silence, qui reconnaîtra assez tout ce que nous leur devons pour l’approfondissement de notre foi et tout simplement pour la formation de notre humanité en toutes ses dimensions?
Bien sûr, certains gardent parfois de mauvais souvenirs, car ces femmes n’étaient pas parfaites, comme chacun de nous en somme. Je crois pourtant qu’elles ont donné tout ce qu’elles pouvaient, dans des conditions difficiles, au sein d’une société pauvre et rude. Toujours présentes, fidèles au poste, sans congé et sans argent, elles ont souvent réalisé des merveilles avec des moyens plutôt misérables. Incontestablement, elles ont montré beaucoup d’amour, notamment aux plus faibles et aux plus mal-aimés de notre monde, chez nous et ailleurs.
Mes Sœurs, vous a-t-on assez dit notre reconnaissance ? On peut le faire encore, dans la prière et par des petits gestes qui vous feront sûrement chaud au cœur.
1596 signes Claude Ducarroz

Homélie oecuménique

Homélie pour la semaine de l’unité des chrétiens 2011

« Moi j’appartiens à Pierre ». On pourrait dire les catholiques.
« Moi j’appartiens à Paul ». On pourrait dire les protestants.
« Moi j’appartiens à Apollos ». On pourrait dire les orthodoxes.
Dans un premier temps, cette description de la communauté de Corinthe pourrait nous rassurer. Vous voyez, déjà dans l’Eglise apostolique, au temps de saint Paul, il y avait des divisions entre chrétiens. Rien de nouveau sous le soleil de l’Eglise. Il ne faut pas rêver : de telles désunions, il y en aura sûrement toujours. Il faut faire avec…un point c’est tout.

Seulement Paul ne l’entend pas de cette oreille. Il écrit des paroles fortes, et c’est « au nom de notre Seigneur Jésus Christ. »
- Qu’il n’y ait pas de divisons entre vous !
- Cette question : le Christ est-il donc divisé ?
Et l’apôtre de jeter tout son prestige dans la balance :
- Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ?
- Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?

Ces mêmes constatations et ces mêmes interpellations retentissent encore aujourd’hui.
Un test ! Si quelqu’un nous demande de quelle religion nous sommes, nous répondons spontanément : Je suis catholique… je suis protestant…je suis orthodoxe, ou encore autrement.
Pourquoi ne disons-nous pas d’abord, comme le demande saint Paul : « J’appartiens au Christ » …je suis chrétien ?
Bien sûr, il faut le reconnaître et l’accepter : nous avons tous de bonnes raisons -à côté de moins bonnes aussi- de nous situer d’abord dans une Eglise confessionnelle, la nôtre par exemple, la catholique.
Mais pourquoi ne pas exprimer d’abord notre point commun, ce qui nous unit déjà et nous pousse à nous réunir encore davantage : la communion au Christ, le christianisme ?
C’est vrai : c’est dans et par notre Eglise – la catholique pour nous- que nous avons appris à connaître l’Evangile, à aimer le Christ, à vivre avec d’autres frères et sœurs, ce qu’on appelle une communauté chrétienne.
Mais comment ne pas reconnaître aussitôt que ce Christ rencontré là déborde les contours et parfois les barrières de ma propre Eglise, qu’il est aussi le Christ des autres et que personne ne peut le confisquer rien que pour soi.

L’œcuménisme, c’est comme un puzzle en voie de reconstitution. En nous divisant, nous sommes partis en emportant des morceaux du puzzle, et les miens manquent aux autres, et ceux des autres me manquent. Je veux dire leurs différences qui pourraient devenir un cadeau quand nous pourrons à nouveau les apprécier si nous nous rapprochons davantage. Jean-Paul II a défini l’œcuménisme comme « un échange de cadeaux ».
Chaque Eglise a beaucoup à donner et autant à recevoir, pour redessiner, peu à peu, à la face du monde qui nous attend au contour, non pas nos caricatures confessionnelles, mais l’image du Christ lui-même, son visage communautaire.

Car l’enjeu de l’œcuménisme, ce n’est pas la victoire d’une Eglise sur les autres, mais la visibilité de Jésus à la face de l’humanité. Le Christ déjà l’avait pressenti, qui pria ainsi pour l’unité de ses disciples : « Père, que tous soient un afin que le monde croie. »
Je le sais : on ne peut pas en un temps bref effacer des siècles de divisions, parfois de haines et même de guerres dites « de religion ». Relever un tel défi est d’abord l’œuvre de l’Esprit qui seul, mais aussi avec nous, peut réparer ce que nous avons cassé ou du moins gravement abîmé.
La semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous rappelle opportunément que cette œuvre appelée œcuménisme est absolument prioritaire dans l’actualité et le futur de nos Eglises. D’une façon ou d’une autre, tous les chrétiens peuvent et même doivent y contribuer.
Il y a la prière, bien sûr, mais il y a aussi la fréquentation commune de la Parole de Dieu, comme on l’a vécu par exemple chez nous lors de FestBible.
Et puis l’abandon des préjugés, de l’ignorance, et l’approfondissement des rencontres, des collaborations. En un mot : de la fraternité.
Face à une société toujours plus indifférente à la foi et à l’évangile, nous ne pouvons plus nous payer le luxe pervers de demeurer séparés.
Que se réalise enfin la prière de Jésus la veille de sa mort : « Qu’ils soient parfaitement un et que le monde sache que je les ai aimés comme tu m’as aimé. »

Claude Ducarroz