samedi 5 février 2011

In memoriam Joseph Bovet

In memoriam + Joseph Bovet
1951 - 2011


Je traverse le cimetière d’un petit village dans la Broye fribourgeoise, une région de plaine, où l’on préfère contempler les montagnes de loin. Au hasard de mon recueillement, je remarque un monument funéraire qui ne comporte ni RIP ni Alleluia, mais quelques notes de musique sur une portée. Ré ré do si do si la. Les premières notes du Vieux Chalet … Là haut sur la montagne ! Tout est dit, ou plutôt chanté !

Et j’ai compris quelque chose. Le Vieux Chalet, c’est la version alpestre du mystère pascal, une parabole de l’espérance chrétienne, un évangile de paroles mises en musique en 1911, -il y a exactement 100 ans- pour partager un message de vie au-delà de la mort.
Ce vieux chalet, n’est-ce pas chacun de nous ? ce chant si populaire, n’est-ce pas le dessin poétique et musical de notre propre destinée ?

L’était un vieux chalet : comme l’écrivait Garaudy, nous naissons tous vieux, parce que nous ne sommes encore que le produit des siècles antérieurs. Ce passé coule dans notre cœur neuf, mais pas encore employé pour aimer, pour créer, pour enrichir le monde d’une nouveauté absolument originale, ce supplément d’amour et de beauté qui méritent seul le nom de vie. Pour reprendre la symbolique de l’évangile de ce jour, le sel est encore dans l’antique salière et la lampe à peine allumée n’est pas encore sur le lampadaire.

Croula le vieux chalet : ce sont les épreuves de la vie, les crises de croissance qui produisent toujours quelques résidus de regrets ou de remords sur le bord de l’existence. Et puis nos échecs, nos erreurs et jusqu’à nos péchés, cette neige et ces rochers unis pour nous arracher au meilleur de nous-mêmes. Nous avons tous nos blessures de corps, nos cabosses de cœur et d’esprit qui laissent nécessairement des cicatrices, le plus souvent secrètes, dans les aléas de notre vie humaine, rien qu’humaine.

Quand Jean vint au chalet : ce sont nos chagrins d’amour ou de deuil, ces larmes amères ou nobles qui, plus encore que nos yeux, arrosent nos douleurs et troublent nos relations. Les débris du bonheur, on les ramasse un peu comme les feuilles mortes, dans les couples et les familles déchirés, parmi les nations en guerre, chez les enfants abusés ou affamés, au sein des luttes coûteuses et risquées pour la justice et la liberté. Le vieux chalet, surtout avec l’apport de l’abbé Pierre Kaelin, s’est élargi aux dimensions du monde. Il n’est plus seulement sur les flans mythiques de notre Moléson. Il est en construction ou en destruction partout où des hommes et des femmes se sacrifient pour la fraternité et la solidarité.

L’est un nouveau chalet. Il y a parfois dans les chansons de l’abbé Bovet des accents de tristesse, des relents de nostalgie ou de mélancolie. Par exemple dans l’émouvant « Baiser de ma mère », ce souvenir poignant de l’orphelin qu’il fut. Mais il y a aussi « La fanfare du printemps », et cette résurrection du chalet reconstruit « plus beau qu’avant ».
Ce nouveau chalet, une fois encore, c’est chacun de nous, quand il donne, pardonne et se donne, quand il tisse de nouvelles relations plus humaines. Et aussi quand il s’élève par la foi et la prière au dessus des marécages du matérialisme et de l’égoïsme, quand il s’engage pour des causes qui augmentent le niveau de culture, de respect et de dignité dans notre pauvre monde.
Et nous le savons bien -ou plutôt nous l’espérons à cause de la Pâque de Jésus-, ce nouveau chalet, tellement plus beau qu’avant, il fera partie du village d’amour du Père qui accueillera ses enfants chez lui, là où il y a de nombreuses demeures pour abriter dans sa joie éternelle toute sa famille enfin parvenue « à la maison ». La fanfare de l’éternel printemps de Dieu.

L’abbé Bovet a composé son immortel « Vieux chalet ». Il l’a surtout vécu lui-même, dans toutes les saisons de sa vie, y compris, nous le savons mieux maintenant, par les chagrins du soupçon, la douleur d’une sorte d’exil, la mort hors de sa maison. Son corps repose dans cette cathédrale –dont il fut le chanoine dès 1930- et qu’il a si bien servie dans ses liturgies, pour soulever la piété du peuple de Dieu. Mais son esprit et son cœur sont surtout vivants en nous et en tous ceux, encore très nombreux, qui chantent ses compositions et vibrent d’émotion lorsqu’ils les entendent chanter, dans ou hors des églises.

Joseph Bovet a bien accompli sa mission d’homme, de chrétien et de prêtre. Jeter, avec la musique et le chant, des grains de sel dans les menus variés de nos vies, le sel qui donne du goût en forme de beautés pour le cœur, le sel qui conserve l’esprit au niveau d’une humanité civilisée, le sel qui provoque le rassemblement communautaire autour du partage de tous les bons repas, depuis l’amitié toute simple jusqu’à l’eucharistie en Eglise.


Oui, Joseph Bovet a su allumer chez nous, et bien au-delà de chez nous, des foyers de lumière chantante et enchanteresse, qui continue de briller, des montagnes à la plaine en passant par les rives de nos lacs, et surtout dans nos cœurs encore touchés et émerveillés par les échos de son génie créateur.

En lui disant encore merci - sans oublier ceux et celles qui ont recueilli et prolongé son héritage, et le prolongent encore aujourd’hui- nous rendons grâce à Dieu de vivre en un pays et en une Eglise où la beauté donne la main à la bonté, où paroles et musiques s’embrassent pour accueillir le divin dans l’humain et élever l’humain à l’orée du divin.

Claude Ducarroz

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