jeudi 4 juin 2020

La troisième question

La  troisième question

Tous déconfinent. Donc déconfinons. Sans oublier d’observer les mesures sanitaires évidemment. Juste conseil de frère Alain Berset.

Après deux mois de jeûne liturgique presque total, après une si longue traversée du désert religieux, maintenant que nous avons plus ou moins goûté aux célébrations virtuelles – la manne! -, nous allons rentrer dans la terre promise des messes présentielles. Les nouvelles techniques ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour pallier les absences réelles de l’eucharistie. Merci à celles et ceux qui se sont donné corps et surtout âme pour alimenter notre vie spirituelle par des invitations et des incitations à écouter la parole de Dieu et à prier autant que possible, y compris dans une certaine nostalgie de la communion.

Et maintenant sonne l’heure de vérité. Au moment où les célébrations vont à nouveau investir nos églises et chapelles restées si longtemps en état d’abstinence eucharistique, comment allons-nous réagir, nous les « vieux croyants » plus ou moins habituels et parfois habitués ?

D’abord quant à l’eucharistie qui nous a tellement manqué, n’est-ce pas ?  Allons-nous revenir en cohortes nombreuses et ferventes vers nos sanctuaires désormais tout ornés pour nous accueillir « à la maison » ? Ou aurons-nous pris goût à un certain confort des « messes-canapés » qui ont fini par nous offrir gratuitement parole et prière à domicile, à toute heure du jour et de la nuit ? Franchement, avons-nous conservé –et peut-être développé- cette faim de la communion qui devrait nous précipiter vers nos tables eucharistique d’où le prêtre est si heureux de nous redire : « Heureux les invités au repas du Seigneur » ? Réellement, pas seulement virtuellement !

Et puis il y a aussi la question de la communauté. Le confinement, même compensé par des liturgies soignées, nous a surtout montré des églises presque vides, des nefs occupées par des bancs désolés, autrement dit l’absence réelle de la communauté en chair et en os.  Bien sûr, nous avons porté dans nos cœurs et dans nos prières l’Eglise universelle devenue largement invisible. Dans les mystères liturgiques, la communion des présents est toujours plus ample que la réunion des visibles. Mais peut-être, à la faveur du service à domicile des liturgies, pour des groupes très restreints, voire même des personnes seules, cet éparpillement ecclésial aura-t-il diminué en nous le besoin de revoir les autres chrétiens, la faim de refaire communauté, la joie de revivre concrètement de vrais rassemblements d’Eglise.  Dans la crise, sommes-nous devenus plus individualistes ou plus communautaires ? Sans oublier que la réponse à cette question ne concerne pas seulement les liturgies. Elle interroge la mentalité quotidienne des chrétiens, si la « pratique religieuse  » déborde largement la fréquentation des églises.

Je me suis permis de poser deux questions : l’une sur la soif profonde de l’eucharistie « vraie », l’autre sur le besoin viscéral que re-composer des communautés d’Eglise bien vivantes.
Finalement, il reste une troisième question, adressée à tous, à travers les deux premières. C’est celle que Jésus posa un jour à ses disciples : « Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16,15) Oui, la seule question qui mérite la réponse de toute une vie. Celle de chacun de nous, avant, pendant et après le confinement.

Claude Ducarroz










mercredi 18 mars 2020

Qui l'eut-cru?

Qui l’eut cru ?

Dans ma (lointaine) enfance, j’entendais des personnes âgées raconter encore quelques souvenirs de la grippe dite « espagnole » (1918), et ça nous faisait froid dans le dos. Toutes proportions gardées, nous y voici à nouveau, si l’on en croit les mesures drastiques que le coronavirus impose en cascade à nos sociétés, y compris à la nôtre qui s’estimait sans doute à l’abri pour toujours de telles calamités.  Progrès de toutes sortes obligent ! Mais hélas !

Pour en rester aux conséquences sur la vie religieuse proprement dite –sans oublier toutes les autres évidemment-, nous sommes affrontés à des impacts encore inimaginables, il y a quelques jours. Non seulement la plupart des réunions sont déconseillées ou renvoyées, mais les messes elles-mêmes – le cœur battant de la piété catholique-  sont supprimées un peu partout. Il nous faut faire ce sacrifie par solidarité citoyenne et chrétienne à l’égard des malades actuels ou potentiels, comme aussi par soutien à nos autorités qui doivent assumer des responsabilités si graves et si difficiles.

Est-ce à dire que la vie dans l’Esprit des chrétiens et des communautés est en voie d’extinction, voire de disparition ?  Ce serait une deuxième tragédie. Il est grand temps de réfléchir et de prier pour mieux nous recentrer sur l’Essentiel vital, pour nous ancrer davantage dans l’Unique nécessaire.

D’abord nous pouvons accepter ces privations en signe de profonde communion avec tous les chrétiens -d’hier et encore d’aujourd’hui- qui se cramponnent vaillamment à l’Evangile alors qu’ils vivent la persécution, l’extrême difficulté de rassemblement, la précarité d’une vie d’Eglise sans église et souvent sans eucharistie possible. Ce que nous devons assumer par nécessité provisoire est souvent leur pain quotidien. Je l’avais vérifié en visitant certains pays d’Europe de l’Est sous la férule communiste.

Par ailleurs, il nous reste encore tant de trésors évangéliques à explorer et à goûter, mieux que d’habitude, pourquoi pas ? Je pense à la visite des églises pour des temps d’adoration en silence, à la prière en famille –cette cellule de base de l’Eglise-, à la méditation de la Parole de Dieu, toujours si accueillante dans les libres bibliques et liturgiques. N’oublions pas non plus que les nouveaux moyens de communication sociale sont aussi pleinement à notre service si l’on veut bien les utiliser pour entrer en contact avec d’autres personnes et d’autres communautés, notamment par la retransmission de certaines liturgies.
Nous ne sommes pas sans rien, Dieu merci.

Que l’absence ou la raréfaction ne provoque pas une mauvaise habitude plus ou moins paresseuse. Il serait évidemment très dommageable à cause de cette épreuve de diète religieuse, que nous abandonnions le désir de nous retrouver en communautés rassemblées, que nous perdions le goût de participer en direct à l’eucharistie, ce rendez-vous mystique et sensible avec Celui qui nous invite à sa table.

Nous n’avions pas prévu ce jeûne-là. Mais préparons-nous déjà, après notre passage au désert avec les austérités qui s’imposent, à nous retrouver en bonne forme spirituelle pour refaire Eglise dans la joie des retrouvailles eucharistiques et fraternelles.

Sans oublier que l’amour du prochain, à commencer par celui qui va à la rencontre des plus pauvres et des plus souffrants, est aussi, en toutes circonstances, une très belle forme de communion.


Claude Ducarroz                                           A paru sur le site  cath.ch

samedi 14 mars 2020

La Samaritaine

Homélie
Troisième dimanche de carême 2020
Jean 4

Tout était en place pour que rien ne se passe, autrement dit qu’ils ne se rencontrent ou du moins ne se parlent jamais. Au final : tous les deux ont vu leurs vies bouleversées. Il y eut un avant et un après. On pourrait appeler cela : coup de foudre au bord d’un puits

Au départ en effet, tout les séparait, du moins dans le contexte de ce temps.
Une femme ne bavarde pas avec un homme inconnu en public. Lui était juif, elle une Samaritaine, autrement dit une mauvaise juive, une sorte d’hérétique. A ne fréquenter sous aucun prétexte. Il y a parfois pire que les étrangers : les voisins insupportables parce que trop différents.
Et puis les circonstances. Il est dit que Jésus était « fatigué par la route ».  En plein midi, il avait surtout besoin d’une sieste.

Et pourtant il y avait un point commun entre l’homme de Nazareth et cette femme anonyme. Une pauvreté à partager, qui les rassemblait pour y répondre : la soif, le manque d’eau, la nécessité de creuser dans le même puits.

C’est Jésus qui rompt le silence. « Donne-moi à boire », dit-il à cette femme. Celui qui avait tant à donner –tout à donner- commence par se faire mendiant auprès de cette Samaritaine très gênée par cette requête inattendue. Après quoi, ou plutôt grâce à cette divine humilité, Jésus peut lui faire découvrir, peu à peu, en elle, une autre soif, et lui offrir une autre eau.
La soif d’un amour gratuit, tellement différent des aventures qui ont occupé ou plutôt encombré sa vie jusque là. Et le don d’une présence en forme d’amour inconditionnel –« si tu savais le don de Dieu ! » – au point de lui faire reconnaître en cet homme fatigué, mais si respectueux, le sauveur du monde…et donc aussi le sien.

Et ce n’est pas fini. Tandis que les disciples –des hommes évidemment- sont très préoccupés par les affaires de l’intendance -étaient-ils un brin suisses ?-, ils avouent leur surprise. Ils constatent, avec un reproche refoulé, que Jésus parlait avec une femme, et surtout celle-là, dont la réputation faisait sans doute jaser dans le landernau. Cinq maris ! c’est beaucoup !

Mais Jésus dans sa souveraine liberté, notamment à l’égard des femmes, fussent-elles de mauvaise renommée, a choisi son camp. Pour apporter la bonne nouvelle aux gens du village, il envoie précisément cette femme peu recommandable, annoncer son évangile, celui de la miséricorde et du salut offert à tous.

Et ça a marché, on peut même dire mieux qu’avec les apôtres masculins : « Beaucoup de Samaritains crurent en Jésus à cause de la parole de cette femme, au point qu’ils invitèrent le Seigneur à prolonger son séjour parmi eux pour écouter et pour apprécier plus longuement sa parole de salut.
Oui, Jésus n’a pas craint de confier à une femme plutôt irrégulière un ministère de type apostolique : diffuser son évangile. En terrain difficile.
Comprenne qui pourra ! Y compris dans notre Eglise encore tellement patriarcale.

Nous sommes tous des Samaritaines dans nos vies. Nous avons soif de plus essentiel que ce que peut nous offrir –plutôt nous vendre- une société qui prétend parfois nous rendre heureux en nous gavant de matérialisme ou d’égoïsme. Il suffit parfois d’une épreuve -ou d’un méchant petit virus- pour mesurer les creux intérieurs qui demeurent au plus profond de nous-mêmes, quand nous croyons avoir tout dévoré, tout essayé, tout dominé.

Alors comme la Samaritaine, osons prier ou crier : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’ai plus soif ». Dans un premier moment, comme au bord du puits de Jacob, ça peut être l’eau d’une véritable amitié humaine, un amour pur et gratuit, un geste de solidarité ou de compassion, qui sait ? un sourire, une parole, un accueil.
Mais je suis persuadé que, en embuscade derrière toutes les amours humaines, sous toutes ses formes les plus sincères, il y a cette soif de l’Amour majuscule, qui est le nom même de Dieu.

Nous allons puiser à des fontaines provisoires, à des puits bienfaisants mais encore si imparfaits. Notre soif -finalement, la soif de bonheur total, d’amour sans fin, de rencontre comblée- n’exige-t-elle pas rien moins que Dieu lui-même au bout de cette soif, quand notre petite rivière humaine se fondra dans l’océan de l’amour qu’est Dieu.
 C’est bien ce que Jésus promit finalement à cette femme …comme à nous aujourd’hui : « Celui qui boira de cette eau-là aura encore soif. Mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai, n’aura plus jamais soif, car cette eau deviendra en lui source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
A votre santé…pour l’éternité !
 Amen !


mardi 18 février 2020

Pour + Paul Jubin

+ Paul Jubin


Paul et Béatrice. Ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre.  Pouvaient-ils mourir l’un sans l’autre ? Oui, mais pas longtemps. Béatrice a quitté Paul le 29 novembre dernier. Et ce dimanche, Paul a appelé : Béa. Mamie. Elle était là.
 Paul nous a aussi quittés. C’est à la fois notre tristesse – un grand vide parmi nous-  et notre consolation – ils étaient inséparables, ils se sont retrouvés, ils sont réunis par Dieu et en Dieu-.

Quand j’ai annoncé la mort de Paul à quelqu’un qui le connaissait bien, il m’a dit : Voilà quelqu’un qui n’est pas rentré les mains vides. Plein les mains, plein l’esprit, plein le cœur : la vie, sa longue vie.
Quelle vie ! Paul fut un grand vivant, et jusqu’au bout, au milieu de nous. Trois jours avant sa mort, il jouait encore aux cartes, dans sa soif de relations humaines, malgré son chagrin. Pas seulement pour troubler sa nouvelle solitude, mais pour faire du bien aux autres.
Il aimait la vie, il rendait les autres plus vivants, notamment en leur disant merci. Je l’ai vérifié moi-même : il était très reconnaissant, de vivre, de vivre avec et pour les autres, à commencer par sa famille évidemment (Marie, Dimitris, Lea et Yannis, merci de lui avoir bien rendu jusqu’à la fin ce qu’il vous avait donné si affectueusement avec Béatrice.)
 Et aussi avec des amis très fidèles, qui mesurèrent la grâce d’avoir connu et rencontré sur leur chemin un tel personnage, un tel humain, un tel chrétien.

Il s’appelait Paul, ce n’était pas un hasard. Comme Paul de Tarse, jusqu’à Rome mais en passant par Jérusalem, Paul Jubin fut le disciple du Christ en mettant ses pas dans ceux du grand apôtre. On peut relire son pèlerinage en ce monde en donnant la main à son saint patron missionnaire.

Tarse, pour Paul Jubin, à savoir ses racines, c’était son Jura natal. Il a aimé cette terre, cette patrie qui gonfla son cœur d’affections fidèles, d’engagements libérateurs, de poésies qui marient si bien la beauté et la bonté. Certes il ne se sentait nulle part en exil, parce que son  humanité était capable d’accueils larges et de fraternités sans frontières. Mais il est resté jurassien, avec sa Béatrice Fleury dans le jardin des Franches Montagnes. Avec le Doubs qui rencontrerait la Sarine pour un beau mariage de culture et de foi.

Comme celui de Tarse, Paul Jubin est aussi monté à Jérusalem, le lieu de la communion avec le frère Jésus, le Seigneur. On ne comprendrait pas le secret du Paul –comme on dit à Saignelégier- si l’on ne s’attardait pas avec lui à Jérusalen et environs, la patrie de sa foi profonde, le lieu  d’une Eglise toute remuée par les énergies de Pentecôte.
Le mystère pascal, cette passion de donner de la vie, de donner sa vie par amour, les voilà qui ont tellement vibré dans le sang humain de Paul, avec la présence, importante mais humble, de sa bien-aimés au doux nom de béatitude.
L’évangile, comme le disait la première lecture, pas en paroles ni par des discours, mais en actes et en vérité. Et en prière aussi. Oui, cette bonne nouvelle qui apaise le cœur, mais surtout fait passer, non pas de la vie à la mort, comme on le voit si souvent dans l’actualité du monde, mais de la mort à la vie.
 Je le pressentais quand Paul fermait ses beaux yeux pour les ouvrir déjà ailleurs, devant le grand vivant de la gloire.  Car là où je suis, promet Jésus, là aussi sera mon serviteur. Dans la Jérusalem céleste. Alors du ciel vint une voix qui disait : Je le glorifierai encore. C’et fait.

Il faut encore parler, à l’instar de l’apôtre à Rome, du Paul  Jubin des grands espaces et des larges horizons, celui qui non seulement a marché sur des longues routes, mais qui a entrainé avec lui de nombreux voyageurs en quête d’une nouvelle humanité à l’image de l’homme nouveau, le pascal de toujours.
 Les racines de Paul Jubin ne l’ont jamais empêché d’avoir des ailes magnifiquement déployées sous le vent de l’Esprit missionnaire. L’ile de la Réunion, puis l’animation de Frères sans frontières et finalement l’Action de Carême : tout fut pour lui invitation aux voyages, pas pour le tourisme de la consommation, mais dans l’élan de la révolution évangélique, donc profondément humaine parce que divinement inspirée.
Tant de personnes parmi nous pourraient dire actuellement ce qu’elles doivent à Paul Jubin, appuyé sur la complicité de Béatrice, dans leur cheminement de solidarité concrète vers les frères et sœurs, au loin ou ici, tous embrassés d’un même regard d’ample fraternité.

Il n’y a pas de plus grande reconnaissance pour ce frère ainé, ni plus de fidélité à sa mémoire, que de continuer maintenant le combat humain et chrétien, dans notre contexte actuel, celui que Paul suivit jusqu’au bout avec beaucoup de curiosité et de sympathie, chez nous et jusqu’au bout du monde. Oui, la lutte, non violente mais résolue, pour exiger la justice, promouvoir la liberté, accueillir les migrants, aider les souffrants et nécessiteux, sauvegarder la nature, transformer la société et aussi construire une Eglise œcuménique et inclusive. C’était Paul. Ce doit être nous tous maintenant.

Tels sont les grains de vie, les semences d’Evangile que Paul a déposés dans nos mains et dans notre cœur avant de partir, pour que nous les répandions partout où nous sommes, afin que, comme dit Jésus, le semeur se réjouisse en même temps que le moissonneur.


                        Claude Ducarroz

mardi 11 février 2020

Reste la beauté

…et il reste la beauté !

            L’hiver, c’est froid, c’est humide, c’est gris, c’est long. Surtout quand il manque la neige qui devrait ajouter un brin de poésie sur ces paysages mornes et dénudés. Vivement le printemps ! Mais il ne s’agit pas de déprimer en attendant. Merci pour le conseil, car j’allais l’oublier : il reste toujours la beauté, celle qui est « hors saison », autrement dit : de toutes les saisons.

            Dans la nature d’abord. Sous le soleil -même quand il est un peu pâlot- campagnes, lacs et montagnes chantent encore le charme discret de la vie. Des écharpes de nuages peuvent essayer de camoufler nos glaciers, des trouées de lumière ne les rendent que plus sublimes. Et dans le jardin de la voisine, des légumes d’hiver montent la garde comme des soldats de l’espérance invincible. Il y a encore des réserves de féérie dans notre univers glacé.
            Et puis vient la culture, quand les sons de la musique, les couleurs des peintures et les subtilités des nourritures terrestres collaborent à l’enrichissement de l’esprit et à l’enchantement de l’âme. Un concert, et tout est réparé. Une exposition, et tout est transfiguré. Une lecture, et tout est compensé. Il y a de la pâque dans les yeux, dans les oreilles, dans le cœur. On survit ou on revit à un autre niveau. Merci, les artistes !
            Il y a surtout les relations humaines. Dans la bonté, il y a toujours aussi de la beauté. Ce papa dans le train qui berce son enfant, cette caissière de magasin qui répète à chacun avec le sourire un bonjour non commercial, ce couple d’aînés qui se donnent la main comme au premier jour, ces jeunes qui défilent pour le climat en criant des slogans chauds : qu’y a-t-il de plus beau que des humains liés et reliés par l’amour ou l’amitié de petite monnaie ?

            Et dans l’Eglise, me direz-vous ? C’est un peu l’hiver de la nuit et du brouillard si l’on en croit certains médias friands de gros titres noirs. Il faut le reconnaître : notre Eglise ne respire pas la beauté dans les images qu’elle donne actuellement d’elle-même, ou celles qu’on se plaît à lui renvoyer. Mais là aussi, il faut creuser plus profond, peut-être en fermant les yeux.
            Qui dira la beauté du chrétien qui prie dans le silence d’une église habitée par le Christ-Eucharistie ? Qui comprendra le geste de celui ou celle qui va visiter des personnes âgées au nom de sa foi humaine et chrétienne ? Qui saura jamais ce qui veille et vibre au cœur de nos liturgies, que ce soit dans la splendeur des rituels solennels ou dans la simplicité des recueillements discrets ? Qui verra le scintillement des yeux penchés sur la page biblique quand la Parole se révèle dans la divine surprise d’un verset qui redit l’Amour incarné ? Qui mesurera l’émotion du croyant soudain bouleversé lorsque retentit le Requiem de Mozart ou resplendit l’Annonciation de Giotto ?
            Ainsi s’avance l’Eglise en boitant, celle des hommes et des femmes de foi, d’espérance et d’amour, qui re-boivent sans cesse aux sources de l’Esprit et ruminent à nouveau l’Evangile de l’humble beauté christique.

            Puisque tout est Grâce, tout peut aussi devenir Beauté.

                                                                                  Claude Ducarroz
A paru sur le site  cath.ch





                                                                                               

lundi 20 janvier 2020

Encore le célibat du prêtre

INTERVIEW   La Liberté  18.01.20.

1.  Pour le cardinal Sarah, l’ordination d’hommes mariés n’est pas une demande des peuples d’Amazonie, mais « un fantasme  de théologiens occidentaux en mal de transgressions ». Qu’en pensez-vous ?

Quel mépris ! Quand les synodes catholiques suisses, déjà en 1972, demandèrent qu’on puisse aussi ordonner prêtres des hommes mariés, ils ne cédaient pas à un prurit progressiste. C’étaient des chrétiens soucieux de l’évangélisation, inquiets du manque de prêtres, coresponsables de l’avenir de l’Eglise chez nous. Comme en Amazonie.

2. Avec cinq autres prêtres et anciens prêtres, vous avez signé un ouvrage de témoignages de vies suivis d’un appel en faveur d’un libre choix du célibat pour tous les candidats à la prêtrise. Pourquoi ?

Le sacrement de mariage, le célibat consacré et les divers ministères sont tous des cadeaux de l’Evangile dans le trésor de l’Eglise pour le salut du monde. Il faut cesser de les opposer. Selon la plus vénérable tradition de l’Eglise universelle, l’Esprit peut susciter des vocations de prêtres parmi les mariés comme parmi les célibataires. Après discernement et formation, ce ministère, sous ses deux formes, peut être accueilli et vécu dans une belle liberté responsable, comme le démontre la pratique de toujours des Eglises d’Orient, tant orthodoxes que catholiques. Souhaiter une telle pratique chez nous n’a rien de révolutionnaire.

3. Mais n’est-ce pas bouleverser une longue tradition dans l’Eglise catholique ?

Il n’est pas question de critiquer les valeurs du célibat ecclésiastique quand celui-ci est vécu comme une vraie vocation dans une liberté assumée, au service des communautés chrétiennes. J’ai pu vérifier que ce célibat peut être un très bon serviteur du ministère presbytéral. Mais en faire la voie unique qui mène à ce ministère, c’est restreindre la liberté de l’Esprit et diminuer fortement les possibilités de se donner en Eglise d’une autre façon. Ceci dit, je ne pense pas que des prêtres mariés constitueraient une solution à tous nos problèmes, mais je suis persuadé que l’obligation universelle du célibat compte aussi dans la raréfaction malheureuse des vocations presbytérales.

4. Mais avec des prêtres mariés (viri probati) en Amazonie, le cardinal Sarah parle de « blessure dans la cohérence interne du sacerdoce ». Quel est votre avis ?

Où va-t-il chercher cette blessure interne au sacerdoce ? Les prêtres mariés dans les Eglises d’Orient sont-ils moins prêtres que les célibataires ? Ou les nôtres sont-ils de meilleurs prêtres parce qu’ils ne sont pas mariés ? Dans le Nouveau Testament, Jésus parle d’un célibat « pour le Royaume des cieux » destiné à ceux qui peuvent l’accueillir comme une grâce (« Comprenne qui pourra !»). L’apôtre Paul conseille le célibat dans le contexte d’un prochain retour du Seigneur. Mais à aucun moment, ni l’un ni l’autre établit un lien de nécessité entre le célibat et le ministère ordonné. C’est presque le contraire. Après avoir exalté la beauté du mariage chrétien (Cf. Ephésiens 5), Paul le célibataire recommande qu’on choisisse pour épiscope dans les communautés « un homme irréprochable, mari d’une seule femme…, sachant bien gouverner sa propre maison…Car celui qui ne sait pas gouverner sa propre maison, comment pourrait-il prendre soin de l’Eglise de Dieu » ? (I Tim 3)


5. Vous ne pouvez nier le fait que le célibat des prêtres s’est peu à peu imposé, sans doute avec quelques bonnes raisons.

Il faut reconnaître que, assez tôt après les apôtres, certaines spiritualités pessimistes ont émis des doutes sur la compatibilité entre le ministère de prêtre et la vie matrimoniale. On a commencé à exiger des prêtres qu’ils renoncent aux relations sexuelles. Puis on a contraint leurs épouses à s’éloigner d’eux. Sous l’influence du prestige des moines célibataires par vœux, on a préféré ordonner des prêtres engagés dans le célibat. Il faut cependant admettre que l’on a aussi résisté, surtout en Orient, à cette sorte d’intégrisme célibataire. Par ailleurs, en Occident où la règle du célibat pour tous s’est imposée au 12ème siècle, il faut savoir que cette injonction fût loin d’être respectée partout et par tous, même chez les évêques.

6. Le célibat n’est pas un dogme, mais beaucoup tiennent à ce qu’il demeure obligatoire, du moins chez nous. Le pape émérite Benoît estime aussi que la prêtrise exige « l’exclusivité à l’égard de Dieu », donc le célibat. Sans que le ministère de prêtre « laisse du temps pour une vie privée et de gentils loisirs », ajoute le cardinal Sarah.

Reste que le célibat obligatoire n’est donc pas un dogme. C’est  une loi d’Eglise  qui peut comporter des motivations très respectables, mais qui peut aussi être assouplie ou modifiée, comme une large majorité d’évêques l’a souhaité pour l’Amazonie lors du synode de Rome en octobre dernier, en fonction de nécessités pastorales toujours prioritaires. Chez nous aussi.

7. Voyez-vous une relation entre le cléricalisme –dont on parle beaucoup- et le célibat du prêtre ?

Le pape François a appelé tout le peuple de Dieu à lutter contre le cléricalisme, qui établit une relation toxique entre certains prêtres et les autres chrétiens, notamment les laïcs. Il est difficile de voir une relation de cause à effet entre le célibat des prêtres et le cléricalisme. Celui-ci s’explique, entre autres, par une autorité perçue comme un droit sur les autres, par une conscience démesurée du rôle de leader communautaire, par une certaine emprise religieuse qui serait autorisée par le caractère sacré de la vocation et de la mission. Peut-être le célibat, quand il est mal compris ou mal assumé, peut-il contribuer à un tel cléricalisme. Mais il ne faudrait pas oublier tous les généreux engagements des prêtres célibataires qui se donnent, à plein cœur et à plein temps, « à cause de Jésus et de l’Evangile. Ceux-là savent aussi reconnaître, respecter et honorer les autres vocations qui fleurissent dans l’ensemble du peuple de Dieu. Aidons-les dans leur humble fidélité.

Claude Ducarroz



mercredi 8 janvier 2020

Houle et foules

Dans la houle des foules

            L’a-t-on assez remarqué ? 2019 se signale par les très nombreux rassemblements de masse à travers le monde entier. La liste est impressionnante. Et les motifs fort variés. La misère basique, le manque de liberté civique, le mépris des femmes, l’urgence climatique, l’oppression sous toutes ses formes, les inégalités sociales, la cruauté de la guerre : toutes ces raisons, et d’autres encore, ont fourni matière à se réunir pour crier, tantôt une révolte spontanée, tantôt des exigences étayées, toutes, en vérité, pour remettre en question le ou les systèmes qui dominent la guidée de notre aventure humaine.
            Décidément, il y a quelque chose de détraqué dans la mécanique sociale qui gère notre présent et prétend régenter notre avenir en ce monde. Même la Suisse –pays par excellence des compromis tranquilles- n’a pas échappé à quelques fièvres surprenantes. Des dizaines de milliers de femmes dans les rues pour réclamer un plus grand respect de leurs personnes et de leurs droits ; des centaines de milliers de citoyens - emmenés par des jeunes fervents- pour clamer leur volonté de faire davantage pour la survie de notre planète : voilà qui constitue des épisodes significatifs, qu’on aurait grand tort de sous-estimer.
            Ils font partie de ces « signes des temps » que le concile Vatican II avait définis ainsi : « Les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels les chrétiens participent avec les autres hommes », en ajoutant : « L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter ces signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile. »
            Quand on parcourt l’actualité de 2019, comment les chrétiens pourraient-ils rester indifférents aux thématiques soulevées par ces multitudes en marche ? Comment se contenteraient-ils de regarder passer les cortèges de l’Histoire en bavardant sur les trottoirs de la simple curiosité ? Ne devrions-nous pas nous intégrer à toutes les solidarités sociales et à toutes les imaginations créatrices pour changer le cours de notre destinée et améliorer la condition humaine, à commencer par celle des plus pauvres et des  plus nécessiteux ?
            Dans l’immense foule qui a battu le pavé pour le climat à Berne le 28 septembre dernier, j’ai aperçu quelques pancartes signalant la présence des Eglises. Mais ils étaient certainement bien plus nombreux, les chrétiennes et les chrétiens qui manifestaient de manière plus discrète, au nom de leur solidarité humaine d’abord, mais aussi avec leurs motivations évangéliques.
            Et quelles peuvent être ces motivations spécifiques ? Incontestablement une certaine vision de l’homme, comme personne sacrée, imbriquée dans ses relations sociales avec tous. Depuis la venue du Fils de Dieu en notre chair, nous savons mieux que tout ce qui concerne l’humain implique aussi le divin, et que la vocation transcendante de l’homme l’enracine d’autant plus dans les exigences de la fraternité universelle.
            Sans doute, au milieu des manifestations populaires et des débats « terrestres », le chrétien doit-il garder une précieuse liberté critique, ne serait-ce que pour remettre en question certains comportements qui sentiraient le mépris ou conduiraient à la violence. Mais pour tout le reste, ce qui est humain et qui a de l’avenir, comment ne pas témoigner du Christ, le meilleur ami de l’Homme, en étant au milieu des hommes, en partageant leurs peines et surtout leurs espérances, en luttant pour une « écologie humaine intégrale ».
            Dans cet esprit/Esprit, je vous/nous souhaite une bonne année 2020.


A paru sur le site  www.cath.ch                                           Claude Ducarroz