samedi 14 novembre 2015

Université de Fribourg

Dies academicus 2015
Homélie
Siracide 15,1-6 ; Matthieu 13,47-52.

En famille avec la Sagesse…
A la pêche  en vue du Royaume des cieux…
Tel se présente le programme biblique en cette messe de la saint Albert le Grand, patron de notre université.

Peut-être faut-il commencer par la pêche, pas à la ligne, mais au filet, s’il-vous-plaît ! Jésus parle au bord d’un lac. On a affaire à des professionnels. Mais l’image n’est pas très bucolique puisqu’il s’agit pour Jésus et l’évangéliste d’avertir l’assemblée que notre destinée, certes aimantée par la grâce de Dieu, est pilotée par une liberté qui peut nous conduire soit dans le Royaume de Dieu, soit dans ce qui est appelé ici « la fournaise » (kaminos tou purou).

Grandeur et dignité de la condition humaine. Elle court parfois le risque du pire pour pouvoir mieux choisir librement le meilleur, ce Royaume offert par Dieu comme un merveilleux cadeau, toujours proposé, jamais imposé, infiniment désirable sans être irrésistible.

Et puis il semble –dans cet évangile- que nous passons ensuite à l’université de Galilée. Le maître Jésus pose cette question à ses auditeurs : « Avez-vous compris tout cela ? ». (Mt 13,51).  Que des bons étudiants ! Les réponses sont unanimes et évidentes : Oui !


Et pourtant l’essentiel reste à faire, à savoir passer du brillant intellectuel qui a –presque – tout compris au statut de disciple prêt à suivre ce Maître-là, jusqu’à la croix, jusqu’à la Pâque, jusqu’au Royaume.
Et ça, pour moi comme pour vous, n’est-ce pas ?, c’est encore une autre  histoire : l’aventure de la foi, le courage de l’espérance, la générosité de l’amour. Bonne route !

Heureusement, nous avons une compagne et un compagnon de route dans ce pèlerinage vers le Royaume. La compagne, c’est la Sagesse –sofia-, et aussi bien le compagnon Jésus de Nazareth « rempli de sagesse » (Lc 2,40), « puissance et sagesse de Dieu » (I Co 1,24). C’est elle et c’est lui que le  frère prêcheur Albert le Grand a rencontrés dans la foi, contemplé dans sa mystique, fréquenté dans sa théologie et servi au cœur de l’Eglise par son ministère doctoral et épiscopal.

Dans la synthèse de la sagesse -avec minuscule – et de la Sagesse –avec majuscule-, sans confusion mais sans séparation, saint Albert a été capable de tirer du neuf et de l’ancien. La nouveauté des sciences toujours à découvrir, mais aussi les surprises des interprétations et des applications issues de l’insondable révélation biblique. Comme il serait absurde de croire que la nouveauté est seulement du côté des sciences et des techniques, tandis que l’ancien, immuable et répétitif, résiderait en somnolant dans le lit de la théologie et de la religion.

Le pape François vient de fournir opportunément une démonstration contraire dans son encyclique Laudato si. Il a su faire jaillir beaucoup de neuf du trésor biblique et ecclésial, quand il féconde, à la manière d’un ferment, les réalités  humaines, y compris écologiques et sociales.

Etre savant, c’est très bien, nécessaire, noble, surtout en milieu universitaire. Mais être sage, c’est encore mieux, ce qui ne disqualifie ou déprécie nullement les connaissances et les compétences, mais les sublime dans une vision supérieure sur l’être et par un agir efficace toujours orienté par l’amour, la voie suprême.

Elle affleure déjà, cette Sagesse, sous la plume de Jésus, fils de Sira, notable de Jérusalem vers 180 avant notre ère. Pénétré par l’amour de la Torah, fidèle pieux et éclairé, il pouvait être accueillant à certaines vérités et qualités issues de l’hellénisme.

Ici, la Sagesse qui vient à la rencontre du futur disciple se présente comme une mère, comme une jeune épouse, comme un père solide sur qui on peut s’appuyer avec confiance. Et le résultat est là : dans cette riche famille ornée de multiples charismes, le disciple sera bien nourri du pain de l’intelligence, abreuvé de l’eau de la Sagesse et finalement couronné de joie et d’allégresse (Cf. Si 15,1-6). Qui dit mieux ?

On dirait un programme de vie pour une université, surtout si elle se prétend –encore ?- catholique.

Si les sciences - toutes les sciences-  doivent y briller sans modération, si la Sagesse divine doit y rayonner dans le respect des consciences, que règne aussi un état d’esprit plus familial, plus fraternel. Alors se donnent la main, dans une saine et sainte harmonie, ce qui enrichit l’esprit, ce qui prépare à l’action, ce qui fait chaud au cœur et ce qui oriente toutes choses vers le Royaume des cieux en germination dès ici-bas.

Il y a encore de belles réserves d’humanité et d’humanisme à vivre dans notre chère université.


                                                                       Claude Ducarroz

dimanche 8 novembre 2015

A la mémoire de nos soldats

Homélie
In memoriam 2015


15 !
Non, je ne joue pas au loto, mais je parcours avec vous certaines années 15 particulièrement significatives.

1215 : fondation de l’ordre des Frères prêcheurs
1315 : la bataille de Morgarten
1415 : l’exécution par le feu du pré-réformateur Jan Huss au concile de Constance
1515 : la bataille et défaite de Marignan
1715 : la mort de Louis XIV après 70 ans de règne
1815 : l’entrée de Genève, Valais et Neuchâtel dans la Confédération suisse à la faveur du congrès de Vienne
1915 : le génocide arménien
2015 : nous ici, dans cette cathédrale pour la messe In memoriam, en souvenir des soldats et autres vaillants citoyens et citoyennes morts pour la patrie.

Il y a de tout dans cette litanie. Des bonheurs, des erreurs et des horreurs. Des générosités jusqu’au sacrifice suprême. Des ruptures et des accueils. En résumé : l’humanité, notre humanité, avec le pire et le meilleur. Ce que nous sommes en somme, dans la tragique et sublime dignité de notre liberté.

Cette ambiguïté foncière est inscrite dans le vitrail à gauche du chœur de notre cathédrale. Des petites fribourgeoises dansent pour célébrer le retour de la paix en 1918, après les terribles malheurs de celle qu’on avait appelé « la grande guerre », en espérant qu’elle serait la dernière. Les autorités sont là, sous les drapeaux suisses déployés dans le vent de la fête.                     Mais au dessous des images d’un certain bonheur retrouvé veillent deux femmes chargées de symbole : l’histoire qui file les évènements au rouet de la vie pleine d’incertitudes et une veuve de guerre qui pleure le prix payé pour des victoires toujours aléatoires, tant que l’homme ne sera que l’homme dans sa commune et inquiétante humanité.
Une veuve, l’humanité.

Or il y a deux veuves dans les textes liturgiques de ce dimanche, tels qu’ils sont proposés partout dans l’Eglise catholique de rite latin.

La première habite Sarepta, une ville païenne près de la côte méditerranéenne du Liban actuel. Avant de s’apprêter à mourir de faim, elle rassemble encore ce qui lui reste de farine et d’huile afin de nourrir une dernière fois son fils : « Nous mangerons et nous mourrons », dit-elle. Le prophète Elie lui propose alors une démarche un peu folle : Ce que tu as prévu pour toi et ton fils, donne-le moi, et le Seigneur te libérera définitivement de la famine.

Alors que tant de riches estiment n’avoir pas encore assez pour partager avec les autres, cette femme -qui n’avait presque plus rien- accepte de tout donner dans un geste à la fois d’amour et de confiance. Amour du prochain et confiance en Dieu.

Mais pas sans le coup de pouce décisif du prophète juif qui accepte de parler à cette femme païenne et de transformer sa générosité à elle en une source de bienfaits durables pour d’autres encore : « Et la jarre de farine ne s’épuisa pas, et le vase d’huile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur l’avait annoncé par son prophète Elie. »
Finalement, sur l’esplanade du temple de Jérusalem, c’est une veuve semblable que Jésus repère et met en évidence. Tandis que les disciples se laissent impressionner par la générosité ostentatoire des riches, Jésus –et lui seul- remarque les deux piécettes de la pauvre veuve jetées discrètement dans le tronc des offrandes.
Et le commentaire de Jésus devrait nous toucher, nous encore : « Tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »

Je passe sur toutes les applications que l’on peut faire de ces épisodes dans le contexte où nous sommes. Je pense au drame plus immédiat des réfugiés qui fuient la violence institutionnelle ou la misère endémique. Je fais aussi allusion à une économie mondialisée encore incapable de relever le défi des disparités inadmissibles entre les pays dits développés et ceux qui n’arrivent pas encore à décoller de l’extrême et surtout inhumaine pauvreté.

Mais nous sommes ici d’abord pour faire mémoire de nos soldats et des membres de leurs familles touchées par leur sacrifice. La vie n’est pas un superflu. C’est le minimum nécessaire à respecter et à protéger. Dans les batailles évoquées plus haut, pour de bonnes et de moins bonnes causes au jugement postérieur de l’histoire, ces hommes ont donné aussi de leur nécessaire : leur vie.

Par une grâce extraordinaire et comme inexplicable, nos soldats suisses, depuis près de 170 ans, n’ont pas eu à faire le sacrifice suprême sur des champs de bataille où se mélangent trop souvent les erreurs et les horreurs. Mais ils étaient prêts à le faire. Leur courage les honore, leur don de soi nous oblige.

Oui, il nous invite et nous incite à travailler, là où nous sommes, de toutes nos forces et de toutes nos compétences, pour bâtir un monde de justice et de paix.
Voilà les autres noms de la fraternité possible, selon notre plus profonde vocation, y compris entre croyants de toutes religions, entre citoyens de toutes origines et cultures, finalement entre participants d’une seule et commune humanité. Celle qui a été créée à l’image de Dieu, celle que –nous le croyons- le Christ est venu sauver sans barrières et sans frontières, celle que l’Esprit de Dieu cherche sans cesse à habiter et à inspirer.

Celle que les chrétiens, avec les autres évidemment, doivent servir humblement et efficacement, à commencer par les plus pauvres et les plus fragiles de ses enfants. Comme le prophète Elie. Comme notre frère et seigneur Jésus de Nazareth.
Celle que le pape François, parmi d’autres, veut humblement accueillir, réconcilier, rassembler parce qu’il mise non sur la puissance ou la violence, mais sur l’amour et notamment celui qu’on nomme miséricorde.

Oui, ouvrir son cœur sur les misères –miséricorde-, comme l’a fait le Christ en croix, comme il l’a montré et démontré au soir de Pâques.
Et les lendemains de cette Pâque, c’est nous aujourd’hui.

Amen


vendredi 6 novembre 2015

La petite monnaie

La petite monnaie
Mc 12,38-44
Il y en avait déjà au temps de Jésus, des bons capitalistes généreux. Ils en avaient beaucoup. Ils pouvaient en donner une (petite) partie. L’argent s’entend. Et ils faisaient en sorte qu’on les voie. Ce sont probablement les mêmes dont Jésus parle au début de l’évangile de ce dimanche.  Ils déambulent en beaux costumes, on les salue bien bas sur les places, ils occupent les premiers fauteuils dans les banquets. Et même dans les synagogues !

Quant à la (modeste) obole de la veuve, il faut bien regarder pour voir quelque chose. Pas étonnant que Jésus soit le seul à l’avoir remarquée. Ni le don ni la donatrice ne vont faire la une des médias. Mais elle fait la une de l’évangile.

Y avait-il de l’amour dans les substantielles offrandes des riches ? Peut-être. Mais sûrement beaucoup d’ostentation. Il ne pouvait y avoir que de l’amour dans la discrète aumône de la veuve puisqu’elle a donné « tout ce qu’elle avait pour vivre ». De la petite monnaie, mais avec tout son cœur.

Tout ce qu’il avait pour vivre : c’est aussi ce que Jésus va offrir bientôt sur la croix pour le salut du monde. « Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », dira-t-il, en parfaite connaissance de cause. Dépouillé de tout, de la crèche à la croix, il ne lui restait que de la petite monnaie pour signifier son immense miséricorde, à cœur ouvert. Comme la veuve en somme.

Puisque ce même Jésus regarde d’abord notre cœur et voit surtout les deux piécettes de la veuve plutôt que les gros billets des fortunés, nous n’avons aucune raison d’avoir honte. L’amour vrai, et même surabondant, peut se contenter de nos petites monnaies quotidiennes, de nos pauvres prières et de nos humbles gestes de solidarité pour toucher le cœur de Jésus, seul capable de transformer nos maigres centimes en trésor de bonheur :  « Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des cieux est à eux. »

S’assoir à la même table que la pauvre veuve dans le royaume de Dieu, c’est un très grand honneur et un magnifique cadeau. Car Jésus a promis qu’il continuera de nous servir son amour en passant de l’un à l’autre au banquet de son Royaume.

A commencer par la pauvre veuve anonyme de Jérusalem évidemment.

                                               Claude Ducarroz

Ce commentaire a paru sur le site  www.cath.ch



mardi 3 novembre 2015

Pour le "jour des morts"

Pour le « jour des morts »

Je suis un vivant… et vous aussi ! Encore que je n’ai pas décidé de vivre. .. et vous non plus. La vie, d’une certaine manière, nous a été imposée.
Et puis je vais mourir… et vous aussi ! Parce que nous sommes tous des humains, donc des êtres mortels.
Et entre les deux  -mon commencement et ma fin qui m’échappent l’un et l’autre-, il y a au moins deux questions universelles :
            Quel sens a une vie, ma vie, destinée à la mort ?
            Y aurait-il encore quelque chose après la mort ?
On peut évidemment noyer ces questions pour éviter d’avoir à y répondre. Il y a tant d’anesthésiants –et d’anesthésistes- sur le vaste marché des divertissements. Pour esquiver, pour oublier.

Mais de telles questions, au départ sans réponse, sont plus têtues que toutes nos manoeuvres pour y échapper. Tôt ou tard, nous nous posons ces questions pour nous-mêmes ou pour celles et ceux que nous avons aimés.
Car finalement, aimer pour de bon n’est-ce pas dire à l’aimée, au bien-aimé : « Je ne voudrais pas que tu meures ? »
Mais celui-là ou celle-là meure quand même. Et nous aussi.

A moins que la réponse aux questions de la vie et de la mort nous vienne d’ailleurs, de plus haut que nous, de la région des sources de la vie et de l’amour.
Oui, plutôt que s’écraser sur le non-sens ou l’absurde nihiliste, accepter le cadeau d’une espérance non pas conquise, mais offerte, gratuitement. Et l’emballage-cadeau, c’est justement le message que nous venons d’entendre, un message totalement divin sous des paroles profondément humaines.

Job d’abord. Après avoir goûté pleinement aux délices de la vie, il s’est trouvé dépouillé de tout, au comble des malheurs. Et pourtant pas désespéré puisqu’il peut dire dans un sursaut : « Je sais, moi, que mon rédempteur est vivant… De ma chair, je le verrai, moi, en personne. »
Un rédempteur vivant au-delà de la mort.
L’évangile nous donne son adresse, nous révèle son visage, nous confirme sa promesse : Jésus de Nazareth, celui de sa croix pour la mort, celui de sa Pâque pour la vie éternelle.
Avec cette certitude offerte à notre foi : « Telle est la volonté de celui qui  m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour. »

Au cours de cette messe, qui nous met intimement en contact avec ce Jésus et Christ, nous pouvons accueillir une telle promesse qui peut transfigurer et notre vie et notre mort : « Heureux dès à présent les morts qui meurent dans le Seigneur. Qu’ils se reposent de leurs peines, car leurs actes les suivent. »


Dans la vie éternelle.