mardi 23 décembre 2014

Homélie de Noël

Homélie de Noël

« Toutes ces religions, je ne sais pas si c’est le même Bon Dieu, mais c’est tout du même diable ! » Ainsi s’exprimait un brave homme plutôt déconcerté par les nombreuses propositions religieuses désormais disponibles dans le supermarché des religions, y compris chez nous. Il y a deux semaines, on a inauguré à Berne une « maison des religions » qui rassemble dans un même espace toutes sortes de chapelles consacrées aux principales religions du monde. Tant mieux, si ça peut servir la cause de la tolérance, du dialogue et finalement de la paix par la convivialité des croyants.

Mais ce grand bazar des religions nous invite, surtout au moment d’un Noël péniblement rescapé des déluges consuméristes, à nous poser la question fondamentale : c’est quoi, le christianisme ? quelle est son originalité qui définit son identité ?
La réponse est dans la fête liturgique de ce jour.
Si la religion consiste pour l’homme à se relier à Dieu, qui est le Dieu du christianisme ? Son secret tient en un mot : Dieu est Amour, tout amour, rien que amour. Et déjà ça change tout. Nous confessons même que ce Dieu-là est tellement amour en lui-même qu’il est communion parfaite et éternelle entre le Père, le Fils et le Saint Esprit, un seul Dieu en trois personnes. Premier mystère.

Quand il s’agit d’amour, celui qui aime le plus, c’est celui qui se fait le plus proche de celui qu’il aime, jusqu’à faire tout le chemin à sa rencontre, jusqu’à donner sa vie pour lui. Tout le contraire d’une divinité lointaine qui croirait préserver sa majesté en augmentant toujours plus la distance entre elle et nous.
Noël ! Il n’y a plus de séparation, il n’y a plus d’obstacle : le Fils de Dieu s’est fait l’un de nous par amour. L’amour infini a inventé le mystère de l’incarnation réaliste puisque le Verbe s’est fait chair pour habiter vraiment au milieu de nous.
Divinement, mais aussi humainement, c’est-à-dire en commençant dans le sein d’une femme, en naissant par un accouchement, en grandissant grâce au lait maternel.
Il a un nom : Jésus de Nazareth. Il a un visage, il aura bientôt un sourire. Toujours pour nous dire, et de plus en plus, l’amour de Dieu son Père, pour lui et pour nous, inséparablement.

Les parents, surtout les mamans, savent cela. Quand on aime vraiment, on s’adapte au plus petit, on donne priorité au plus fragile, on veille sur le plus malheureux. Et pour faire son apprentissage dans l’exercice de cet amour-là, Jésus de Nazareth a voulu expérimenter lui-même, jusque dans sa chair et dans son cœur, la condition humaine des plus nécessiteux parmi nous. Il nous a aimés d’en-bas pour nous chérir sans jamais nous humilier, en prenant, lui, d’emblée la dernière place pour nous sauver tous. Car telle est la puissance de l’amour qu’il se manifeste d’abord par la solidarité avec les plus pauvres.

* Un déraciné entre Nazareth et Bethléem, avec des parents en quête d’un gîte en urgence, qui ne trouvent pas d’accueil dans les hôtelleries.
* Un pauvre gigotant dans une étable parmi des bergers peu fréquentables, et bientôt un fuyard sur les routes menant à l’Egypte pour échapper- déjà- aux cruautés d’un despote.
* Et puis il y aura un jour la croix, le prix à payer sous nos coups de haine et de folie, pour faire triompher l’amour là où il n’y en a plus, au point de pouvoir redonner la vie aux morts dans l’expérience partagée de la résurrection glorieuse. Car jamais l’amour ne peut se laisser vaincre par le mal et la mort.
* Le Dieu Amour aura le dernier mot en Jésus, de la crèche au matin de Pâques. Finalement, c’est bel et bien pour ce matin-là qu’il est venu dans la nuit de Noël, pour le jour où se réalisera définitivement la promesse chantée par les anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes que Dieu aime ! »
Oui, la petite graine de Noël n’a donné tout son fruit qu’au moment de Pâques, ne l’oublions pas. Alors « s’est manifestée la grâce de Dieu pour le salut de tous les hommes », rappellera l’apôtre Paul, « dans la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et sauveur Jésus-Christ qui s’est donné pour nous en faisant de nous un peuple ardent à faire le bien ».
Et ce peuple, c’est nous, aujourd’hui.

Alors on peut se poser cette question : si le christianisme part du Christ –c’est évident-, dans le meltingpot des religions, qui va parfois jusqu’à la cacophonie, c’est à nous de signifier ce qu’est vraiment ce christianisme aujourd’hui.
* C’est vivre au jour le jour sous le signe de l’Amour majuscule irradiant nos amours les plus minuscules.
* Le chrétien de Noël apprécie les silences priants au lieu de s’étourdir, jusqu’à se perdre, dans les rumeurs et les fureurs des hauts parleurs tonitruants.
* C’est celui qui aime en priorité les petits et les pauvres en épousant lui-même un style de vie simple, privilégiant les qualités de l’être et la tendresse des relations plutôt que les vanités du paraître et le nombre des connexions.
* Le chrétien de Noël aime les gens, tous les gens, sans barrières ni frontières, en allant jusqu’au pardon pour construire de nouveaux ponts et renouer des alliances.

En résumé : le chrétien de Noël ne sépare jamais Dieu de notre humanité parce qu’ils se sont définitivement mariés en Jésus de Nazareth, dans le creux de la crèche, sur le bois de la croix, dans la lumière éternelle de Pâques. Dieu et nous : voilà les vrais intouchables, les vrais inséparables !
* Se laisser aimer par l’Amour trinitaire, se laisser toucher par l’Amour incarné, se laisser sauver par l’Amour crucifié, se laisser transfigurer par l’Amour ressuscité : quel magnifique programme !
* Et ensuite aimer, même les moins aimables, et trouver sa joie dans ces amours en petite monnaie, au gré des évènements de la vie ordinaire, selon cette promesse divine portée par les anges : « Je vous annonce une bonne nouvelle qui sera une grande joie pour tout le peuple ».
La bonne nouvelle que Dieu est Amour, la grande joie de se avoir aimé par lui, le bonheur d’aimer à notre tour, ne serait-ce qu’un peu, comme lui.

                                                           Claude Ducarroz

samedi 13 décembre 2014

Troisième dim. de l'Avent

Homélie
Troisième dimanche de l’Avent

« Qu’est-ce qu’il fait ? qu’est-ce qu’il a ? qui c’est celui-là ? »
L’évangile de ce jour me fait penser à une chanson qui commençait ainsi.

En effet, à propos de Jean Baptiste, il semble qu’on ait affaire à une véritable commission d’enquête, car les prêtres et lévites envoyés de Jérusalem s’adonnent au jeu trouble d’un interrogatoire serré à Béthanie, de l’autre côté du Jourdain.
Jean ne refuse pas de répondre, encore que ses réponses soient plutôt du genre négatif : « Je ne suis pas le Christ, je ne suis pas le prophète Elie. » On comprend que ses interlocuteurs soient restés sur leur faim. Et quand il passe au positif, l’affirmation n’est guère plus compréhensible : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert… »

En réalité, Jean Baptiste ne veut pas qu’on s’intéresse à lui. Il renvoie à celui qui, comme il le dit, se tient au milieu de nous alors même que nous ne le connaissons pas. Quant à lui, il est seulement indigne de délier la courroie de sa sandale. Tout cela n’est donc pas très clair, même si une chose est évidente : le plus important est encore un anonyme dans cette foule et il vaut la peine de chercher à mieux le connaître.

Après 2000 ans de christianisme, les choses ont-elles beaucoup changé ?
Le Christ est-il mieux connu, même chez nous ? N’est-il pas devenu ou redevenu cet anonyme inconnu ou mal connu qui circule au milieu de nous sans déranger beaucoup de monde finalement ? Même quand on évoque sa naissance, il semble avoir disparu comme étouffé sous les avalanches des productions matérialistes. Le Père Noël me paraît être mieux connu et en tous cas beaucoup plus attendu que le Jésus de Bethléem. On investit plus de publicité et de décorations pour susciter l’espérance de recevoir des cadeaux de pacotille que pour creuser la faim de rencontrer le Christ, véritable cadeau de Dieu à notre monde.
Ainsi va la civilisation de la consommation à outrance dans laquelle, pour beaucoup, le gavage sous toutes ses formes semble avoir supplanté le besoin du salut apporté par l’enfant de la crèche.

Mais trêve de jérémiades aspergées d’eau bénite. L’important, ne serait-ce pas que les chrétiens redeviennent des Jean-Baptiste en notre temps ? Oui, qu’il y ait encore des hommes et des femmes qui osent témoigner pour le Christ puisque, même s’il est très discret, il continue de se tenir au milieu de nous, lui, le ressuscité qui nous a promis : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

Des Jean-Baptiste pour aujourd’hui. Qu’est-ce à dire ?

D’abord ne pas avoir honte d’être des résistants. Nous ne pouvons pas nous laisser aspirer –au point de finir noyés- par cette société dominée par l’avoir, le paraître, le commerce du futile plus que de l’utile, sans même parler du nécessaire. D’autant plus que nous ne pouvons ignorer la situation de la majorité de la population de notre planète qui, trop souvent, est encore à la recherche désespérée du minimum vital, pour survivre un peu plus dignement.

Oui, résister pour mieux partager. Jean-Baptiste lui-même, vêtu d’un vêtement de poils de chameau avec un pagne de peau autour des reins,  n’a-t-il pas fini par répondre à ceux qui le harcelaient de questions : « Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas.  Que celui qui a de quoi manger fasse de même. N’extorquez pas d’argent. » ?
Si personne n’est obligé de prendre part à son repas de sauterelles et de miel sauvage, nous ferions bien d’imiter sa capacité prophétique de ne pas vivre nécessairement comme tout le monde, pour être heureux et faire des heureux.

Résister, mais aussi attester. Car Jean-Baptiste est présenté surtout comme un témoin, venu rendre témoignage à la lumière qu’est le Christ en personne. Aujourd’hui, dans un monde brassé de mille manières par toutes sortes de philosophies et de religions -y compris les religions de celles et ceux qui disent n’en avoir aucune-, comme il est important que les chrétiens n’aient pas honte de leur foi, mais osent en témoigner courageusement.
« Ne soyez pas des chrétiens édulcorés », a rappelé récemment le pape François.

Il ne s’agit pas d’agresser les autres par nos convictions, mais plutôt de ne pas se réfugier dans un silence trop commode qui friserait la démission, voire la trahison. Dans une société qui, chez nous du moins, offre l’avantage d’une certaine liberté d’opinion et d’expression religieuses, pourquoi choisir de cacher notre foi alors que tant d’autres n’hésitent pas à proclamer la leur, y compris dans les nouveaux réseaux de communication sociale ?

Le prophète Isaïe annonce que l’Esprit répandu sur les croyants leur donne l’audace de proclamer la bonne nouvelle aux pauvres, d’annoncer la libération aux prisonniers. Et l’apôtre Paul nous supplie de ne pas éteindre l’Esprit, de ne pas mépriser les prophéties.

Baptisés dans l’Esprit de Pentecôte, nous avons en nous tout ce qu’il faut pour témoigner en faveur du Christ par la parole et par les actes, afin que le nom de Dieu soit glorifié, que la présence de Jésus soit reconnue et accueillie, que l’Eglise continue, humblement mais courageusement, de diffuser l’évangile dans notre monde tel qu’il est.
Car le Seigneur veut encore faire germer les semences de sa parole pour que retentisse sa louange devant toutes les nations.

Etre de simples jardiniers dans ce jardin, c’est sans doute un devoir. Ce doit être surtout notre joie.


                                               Claude Ducarroz

Petit commentaire 3ème dimanche de l'Avent

Troisième dimanche de l’Avent

Bon appétit !

Des sauterelles et du miel sauvage. Mais vous n’êtes pas obligés de goûter à ce menu. De même pour l’accoutrement : une tunique de poils de chameau et un pagne de peau autour des reins. Ce n’est pas très recommandable sous nos climats.
Et pourtant l’homme en question est vivement recommandé à notre méditation et à notre imitation par l’évangile de ce dimanche. Car à l’heure des illuminations tous azimuts, on a surtout besoin de rencontrer des témoins de la vraie Lumière qu’est le Christ. Pourquoi pas nous ?
La vocation, la consécration et l’envoi sont déjà garantis par le baptême, celui de Jésus Christ. Il nous reste à y aller, de toute notre foi, humblement et courageusement, comme Jean Baptiste.
Humblement. Jean ne se prenait pas pour un autre. Indigne de délier la courroie des sandales du Christ –comme il le dit-, il lui suffisait de savourer le bonheur de s’effacer devant le Sauveur, après l’avoir montré à son entourage en l’appelant l’Agneau de Dieu. Courageusement. Car rien que pour affirmer cela, il lui fallut une grande vaillance. Jusqu’au martyre.
Nous sommes dans une société –chez nous- qui nous offre la liberté de conscience et de culte. Dans le tintamarre des philosophies et religions, les chrétiens sont devenus plus humbles. Ils ne sont plus les seuls. Ils doivent respecter les autres, y compris celles et ceux qui disent ne pas croire en Dieu ou n’avoir aucune religion.
Est-ce une raison pour que nous devenions timides, muets ou honteux ? La manière d’être de Jean Baptiste étonnait. Sa façon de vivre posait question. Il y eut un grand débat autour de sa personne, ce qui lui permit de témoigner franchement, à haute voix,  pour celui qui, plus grand que lui, se tenait encore comme un inconnu au milieu de son peuple.
N’est-ce pas aussi notre situation ? Le Christ est-il mieux connu et reconnu de nos jours qu’aux temps du Baptiste ? Une conclusion s’impose : on cherche des Jean Baptiste, et les baptisés sont les premiers qui devraient se sentir concernés, appelés, envoyés.
Pour que Noël ne soit pas qu’une débauche de consommation autour du père Noël. Pour que la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth parlent encore aux hommes et femmes de notre temps. Et finalement leur disent : « Dieu est Amour. Il t’aime. Laisse-toi aimer par lui, à la suite de Jésus. Le sais-tu ? Il y a même un repas pour expérimenter tout ça : l’eucharistie. Prend et mange. C’est si bon ! »

                                               Claude Ducarroz

A paru sur le site   www.cath.ch


mardi 9 décembre 2014

Accueil au Chapitre cathédral de Saint- Nicolas

Accueil des nouveaux chanoines
8 décembre 2014

« Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés : ils vous ont annoncé la parole de Dieu. Méditez sur l’aboutissement de la vie qu’ils ont menée, et imitez leur foi. Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité. » He 13, 7-8.

Qui a dit que l’on ne savait pas assez dire merci dans notre Eglise ? En pleine communion avec notre évêque Charles, le Chapitre cathédral est heureux de démontrer le contraire. Car ensemble, nous voulons remercier et honorer –si possible- quatre excellents serviteurs de notre Eglise et, plus largement, de toute l’Eglise, la catholica. Dans les deux sens du  mot « reconnaissance » : reconnaître et avoir de la reconnaissance.

Mgr Amédée Grab, enfant de Genève, devenu moine bénédictin à Einsiedeln, a été ordonné prêtre en 1954, il y a exactement 60 ans. Il exerça durant 4 ans le ministère de secrétaire de la conférence des évêques suisses. Ordonné évêque en 1987, il fut d’abord évêque auxiliaire à Genève durant 8 ans, puis notre évêque diocésain durant 3 ans, avant de gagner Coire comme évêque durant 9 ans. Il a présidé le Conseil des conférences épiscopales d’Europe durant 5 ans.

Mgr Jean-Claude Périsset, natif d’Estavayer-le-Lac, a été ordonné prêtre en 1964, il y a exactement 50 ans. Après un ministère de vicaire à Genève, il s’est mis au service du St-Siège dans plusieurs dicastères de la Curie romaine. Ordonné évêque par le pape Jean-Paul II en 1997, il devint nonce apostolique en Roumanie durant 9 ans avant d’exercer le même service en Allemagne durant 6 ans. Il a retrouvé Estavayer-le-Lac pour une retraite dite « bien méritée ».

Mgr Pierre Bürcher, Haut-Valaisan ayant grandi dans le canton de Vaud, a été ordonné prêtre en 1971. Il exerça d’abord son ministère dans cette paroisse, notamment comme vicaire au service de la communauté de Saint Paul. Après un temps de vicariat à Lausanne, il devint curé à Vevey durant 9 ans, avant de diriger notre séminaire diocésain. Ordonné évêque auxiliaire en 1994, avec résidence à Lausanne, il devint ensuite évêque de Reykjavik en Islande en 2007. Il a aussi présidé l’œuvre Catolica Unio au service des Eglises catholiques d’Orient.

Ces trois évêques, de par la volonté de notre évêque diocésain, nous font l’honneur d’un lien désormais encore plus étroit avec notre Chapitre cathédral qui s’en réjouit.

Mgr Nikolaus Wyrwoll est un prélat allemand qui s’est beaucoup investi au service de la cause de l’unité des chrétiens et de la communion des Eglises, notamment dans les relations avec les Eglises orthodoxes d’Orient. Fan de saint Nicolas de Myre, dont il porte le nom, il est un membre actif de l’Institut supérieur d’études œcuméniques de notre université. Nous voulons honorer sa personne et son action en le nommant chanoine honoraire de la cathédrale de Fribourg.

Cette célébration de gratitude et de fraternité se déroule au cours de la messe de l’Immaculée Conception de Marie. Elle a un goût de Magnificat. Elle prolonge aussi la fête de notre cher patron de cette cathédrale et de notre diocèse, saint Nicolas de Myre. Et, si vous me permettez cette petite publicité gratuite, elle a pour décor l’exposition des huit antiphonaires du Chapitre, datant du temps de sa fondation il y a 500 ans, que vous pouvez encore admirer cet après-midi de 12h à 20h.

Puisse cette fête largement partagée augmenter encore la fraternité des pasteurs au service de la communion des Eglises et de l’Eglise, à cause de Jésus et de l’Evangile !


Claude Ducarroz

dimanche 30 novembre 2014

Vive les veilleuses

Honneur aux veilleuses !

Expérience d’hôpital. Le mot « veilleuse » désigne deux réalités typiques en ce lieu. D’abord la petite lampe bleue qui scintille discrètement durant la nuit. Elle n’empêche pas le sommeil, mais permet de garder les principaux repères en cas de problème. Et puis il y a surtout une personne : l’infirmière de garde qui passe auprès du malade à intervalles réguliers et se tient prête à intervenir au moindre appel.

En ce premier dimanche de l’Avent, l’évangile nous invite à veiller, à devenir des chrétiens « veilleurs ». Ce n’est peut-être pas un hasard : ce même jour commence l’année vouée à la vie consacrée dans notre Eglise. Des veilleurs, des veilleuses : une belle définition pour caractériser la mission des religieux et religieuses.

C’est d’abord l’occasion de dire merci à celles et ceux qui nous ont fait tant de bien au nom de cette vocation particulière. Qui n’a pas croisé sur son chemin de vie, au moins une fois ou l’autre, ces hommes et surtout ces femmes qu’on appelle des religieux, des moines, des Frères, des Sœurs, etc… ?  Ils nous ont aidés à grandir en humanité et en christianité. Avec quelques exceptions évidemment, car nul n’est parfait.

Aujourd’hui, du moins chez nous, ces figures d’évangile sont devenues rares. Elles vivent dans des communautés vieillissantes. La mission de veiller se concentre dans la prière et le courage de l’humble service jusqu’au bout, sans beaucoup de perspectives de renouvellement. Mais nous croyons, avec eux et avec elles, que le Seigneur n’abandonne pas son Eglise, y compris dans le charisme de « la veille évangélique » au cœur du monde.  De nouvelles communautés naissent, des vocations religieuses surgissent sous d’autres modalités.

Et puis la mission des veilleurs n’est-elle pas confiée à tous les chrétiens ? Etre attentifs à la parole de Dieu et aux inspirations de l’Esprit, c’est l’ardent devoir  de tous les baptisés, surtout durant le temps de l’Avent. Avec ou sans des vœux reconnus par l’Eglise, ne sommes-nous pas tous appelés à vivre dans  une certaine obéissance, dans l’esprit de pauvreté, dans une chasteté adaptée à chaque état de vie, selon l’invitation universelle des Béatitudes ?
Même si nous apprécions l’exemple de celles et ceux qui donnent un si beau témoignage de don de soi, y compris par la vie communautaire qui encadre et soutient leur pratique prophétique des conseils évangéliques.

Mes Frères, mes Sœurs : merci !

                                   Claude Ducarroz


 A paru sur le site  cath.ch de vendredi 28 novembre

dimanche 23 novembre 2014

Fête du Christ Roi

Fête du Christ-Roi



Pas de chance ! Au cours de sa longue histoire –depuis 1291-, la Suisse n’a jamais eu de roi. Il y a comme une allergie toute helvétique à ce type de gouvernement. Nous avons beaucoup de défauts, mais nous ne sommes pas monarchistes.
Avec une nuance cependant : les Suisses –et singulièrement les Fribourgeois- furent nombreux à s’engager dans le service militaire des royaumes environnants où certains gagnèrent quelques quartiers de noblesse et beaucoup d’argent. D’où ce proverbe bien connu en France : « Pas d’argent, pas de Suisse ! »
Le saviez-vous ? Dans le premier vitrail à gauche dans le chœur de notre cathédrale, on rend hommage au service mercenaire à l’étranger exercé par de glorieux Fribourgeois.

Et voici que la fête liturgique de ce jour nous présente un roi : le Christ-Roi. Autant dire un roi pas tout à fait comme les autres. C’est le mot Christ qui fait justement la différence. Nous pouvons donc, tout en demeurant des Suisses démocrates et républicains, nous placer sans crainte sous la bannière de ce roi-là.
Un roi quand même puisque l’évangile de cette messe l’appelle ainsi et le présente comme tel. Souvenez-vous : « le Fils de l’homme siégera sur son trône de gloire… Toutes les nations seront rassemblées devant lui… »
Mais là s’arrête la comparaison avec les monarques de ce monde. Pour le reste, je vous conseille de contempler une fois le portail d’entrée de notre cathédrale, car justement il illustre cette page d’évangile.

Le Christ y est présenté comme un roi, assis sur un trône surmonté d’un baldaquin à la bordure dorée. Derrière sa tête, le rayonnement du soleil pour signifier sa couronne de gloire.
Et maintenant s’expose la différence : sur ses mains et ses pieds, on voit encore la trace des plaies ouvertes par les clous. Et regardez bien, c’est un peu étonnant mais combien significatif : jusque dans son royaume, au dessus de l’arc-en-ciel, il a gardé sur sa tête la couronne d’épines.

Tout est dit sur le règne de ce roi.
C’est un règne d’amour qui donne et se donne, et non pas l’irruption d’une puissance qui domine et contraint. Jamais il ne fut autant roi que sur la croix, parce qu’il mettait en pratique jusqu’à l’extrême sa propre parole : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Avec l’autre face de cette gloire par amour : la résurrection, le crucifié glorifié par Dieu dans son Royaume éternel comme fruit de son sacrifice.

Mais attention ! Ce n’est pas un fruit qu’il dégusterait en divin égoïste, lui tout seul, là-haut sur son trône. Non ! Il est en bonne et nombreuse compagnie. C’est une victoire royale qu’il partage avec nous, en vainqueur final du mal et de la mort.
Et la preuve a été donnée déjà sur la croix, de sorte que personne ne puisse dire « ce n’est pas pour moi, je suis trop moche, trop mauvais, trop indigne ». Au crucifié à ses côtés qui lui disait simplement ceci : « Souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume », Jésus répondit tout aussi brièvement : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Or c’était un bandit.
Ainsi se réalisait cette prière de Jésus: « Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, afin qu’ils contemplent ma gloire. »

Nous sommes les sujets de ce roi-là, nous sommes les citoyens de ce royaume-là, nous sommes les promis à cette gloire-là. « Quand tout sera achevé, dit saint Paul, le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père. … Et Dieu sera tout en tous. »
Oui, un jour, nous entendrons le Christ-Roi nous dire : « Venez les bénis de mon Père. Recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. ».

Encore faut-il prendre le chemin qui y conduit pour frapper, le moment venu, à la bonne porte. Ca ne peut être qu’un chemin d’amour, ça ne peut être qu’une porte de miséricorde.

Un indice ne trompe pas. Il est donné par le roi lui-même : « J’avais faim, j’avais soif, j’étais prisonnier, j’étais étranger, j’étais malade, j’étais nu…et vous m’avez aimé en étant solidaire, compatissant, généreux. « Car tout ce que vous faites à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous le faites. »

Autrement dit, le roi de gloire est déjà parmi nous. Pas besoin de le traquer dans les nuages. Il nous donne rendez-vous dès maintenant, car il se cache sous les traits de tous ceux qui souffrent, espèrent une libération, ou simplement ont besoin d’un verre d’eau, dit Jésus, pour ne pas décourager ceux qui n’auraient que ce petit peu à donner, mais de bon cœur.

Oui, le royaume des cieux commence sur cette terre partout où des hommes, quels qu’ils soient, inventent des gestes d’amour, de pardon, de compassion, d’entraide, de service gratuit.
Et dans notre société si labourée par les violences, les injustices et les misères de toutes sortes, ce ne sont pas les occasions qui manquent, n’est-ce pas ?
N’allons pas chercher bien loin. Chacun de nous, avec ce qu’il a et surtout ce qu’il est, peut faire un pas en avant sur le chemin royal qui mène au paradis en donnant la main du cœur à quelqu’un d’autre qui peine, qui tombe ou n’arrive pas à se relever tout seul.
Pour le bonheur de celui qui reçoit, mais aussi pour la joie de celui qui donne. Car, disait encore Jésus en parlant d’un apéritif royal partagé dès maintenant: « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir. »
Oui, c’est la main des pauvres qui nous offre les cadeaux de Dieu.

                                               Claude Ducarroz




samedi 15 novembre 2014

Vive le capitalisme !

Mt 25,14-30

Je les vois déjà saliver, les capitalistes obsédés par les bénéfices sur investissement. Car voici enfin une parabole fort encourageante. Mieux : qui justifie et même glorifie l’habileté financière à des taux dépassant toute concurrence…fiscale ou bancaire. Imaginez la mine réjouie des actionnaires de cet évangile : on a doublé les sommes mises en jeu.

Sauf que les comptes seront bouclés dans le Royaume de Dieu, autrement dit avec la seule monnaie de l’amour. Car Jésus ne parlait pas des rendements à exhiber devant un conseil d’administration ici-bas, mais de la moisson espérée dans le ciel lors de son retour en gloire à la fin des temps, même si les semailles sont accomplies en ce monde et la croissance l’affaire de toute notre vie.
La Parole ensemencée est un pur cadeau du divin paysan. Mais c’est aussi de l’accueil du terrain que dépendent la germination du grain et la générosité de l’épi. Que ce soit sous la forme des talents ou sous la figure de l’argent, Jésus fait appel à notre responsabilité dans l’aventure de la maturation selon l’évangile. Il ne suffit pas de laisser dormir ce qu’il nous a donné en termes de talents, charismes ou capacités. La jachère, ce n’est pas son truc.
Car toutes ses semences cherchent un terreau fertile, exigent un développement durable, pointent vers des fruits. Et ce processus vital, tout en étant profondément dépendant de la sève de l’Esprit en nous, postule notre collaboration libre et ardente. Nous ne sommes pas des choses inertes dans la main de Dieu. Nous sommes les partenaires actifs de ses desseins d’éternité. Donc le contraire de ces serviteurs mauvais et paresseux que fustige Jésus dans la parabole des talents.

Encore faut-il ne pas se tromper sur la marchandise. Ce que souhaite l’évangile, ce ne sont ni les dividendes de l’avoir, ni les exploits du pouvoir, encore moins les esbroufes du paraître. Parce que l’Esprit de l’évangile ne sème que de l’amour -puisque Dieu est Amour-, c’est uniquement à l’aune de l’amour que se mesurera la valeur de la récolte dans le royaume de Dieu.
Dès lors, chacun de nous, y compris les plus faibles et les plus  pauvres aux yeux des capitalistes de ce monde, peut devenir un bon gérant de fortune en vue du retour du Christ. Qui n’a pas du temps à consacrer, de la tendresse à donner, des aptitudes à offrir, afin que grandisse dès maintenant sur cette terre ce qui s’épanouira un jour pleinement dans le ciel ?

Vive le capitalisme évangélique !

                                                                       Claude Ducarroz


samedi 8 novembre 2014

Messe à la mémoire de nos soldats

Homélie
In memoriam 2014

Alors, la guerre, comment ça va ?
Merci pour elle, elle va très bien.
Et vous ? Comment allez-vous ?

Ce petit dialogue, presque banal, pourrait s’appliquer à la situation internationale, telle que les medias nous la rapportent et nous la montrent. Ainsi vont les guerres, avec quelques spécialités typiques de notre temps. Ici et là, la religion refait alliance avec la violence, comme s’il fallait sacraliser les horreurs pour les rendre non seulement excusables mais acceptables.
Les chrétiens -mais d’autres aussi- sont devenus des cibles faciles pour certains « combattants de Dieu ». Sur les routes de l’inhumanité, en ce moment-même, marchent, tombent et meurent des milliers d’innocents pris au piège de la haine, du fanatisme, de l’intolérance et de l’exclusion la plus radicale.

Et pendant ce temps-là, ici, dans notre cathédrale, au cours d’une belle messe, nous évoquons pieusement la mémoire de soldats qui, s’ils étaient prêts à se sacrifier pour leur patrie, sont morts non pas dans les combats, mais simplement dans l’accomplissement de leur devoir citoyen, comme on dit, « sous les drapeaux ». Honneur à eux !
Dans notre célébration grave mais pacifique, une fois de plus, sonne et résonne l’heure des martyrs, celles et ceux qui paient de leur vie leur attachement à la dignité des personnes, à la liberté de conscience et au droit d’exprimer et de vivre sa foi.

Le saviez-vous ? Il y a dans notre belle cathédrale un vitrail réservé aux martyrs. Celui-là, près de la chaire, sur votre gauche. Ne manquez pas de le contempler une fois dans le silence d’une méditation.
A gauche, il y a deux hommes, parmi lesquels d’ailleurs un soldat, saint Maurice qui, tout en pratiquant son métier, fit objection de conscience quand on le força à choisir entre son Dieu et l’empereur. Il en mourut au fil de l’épée, avec ses compagnons.
Mais il y aussi deux femmes -à droite- reconnues comme patronnes de Fribourg : Catherine d’Alexandrie et Barbe, que certains situent à Antioche, deux martyres provenant de cet Orient qui fournit encore le plus gros contingent des martyrs contemporains.

Les martyrs pourraient être beaux quand on les place sur des vitraux réalisés par des artistes de génie, comme l’était le polonais Joseph Mehoffer, lui-même d’ailleurs victime des conséquences de notre dernière guerre à Cracovie en 1946. Mais au bas du vitrail, le peintre n’a rien voulu cacher des horreurs qui sont le prix de la vaillance et de la fidélité, tant féminines que masculines. Regardez : chaque personnage est représenté nu, dans toute la cruauté de son destin, y compris les femmes, sans pudeur, quand il s’agit de donner sa vie comme le Christ, nu sur la croix du sacrifice.

Mais je vous prie d’observer encore de plus près les brutales scènes du martyre en acte. Dans chaque représentation, l’artiste a inséré, près de l’horreur triomphante, un discret visage de femme. Oui, toujours une femme, y compris du côté des hommes, un peu comme Marie au pied de la croix du Christ, où il y avait plus de femmes que d’apôtres, quand Jésus achevait d’offrir sa vie pour le salut du monde, sous la violence de ses bourreaux à la fois politiques, militaires et religieux.

Voyez ces visages de femmes, qui sont si discrètes et pourtant nous disent l’essentiel, pour tout racheter, pour tout sauver. A droite, une femme prie. Puis une autre pleure. La troisième embrasse et la quatrième relève dans un admirable geste de soutien.
Tout est dit quand il n’y a plus que le silence. Mais qu’est-ce qui est dit quand tout semble accompli, comme au calvaire ?

Sûrement la mission de la femme et des femmes dans un monde de bruts, si souvent masculins, pour ne pas dire « une affaire de mecs »: la prière, la compassion, l’amour et le tendre relèvement. L’espérance vient encore si souvent des femmes et de leurs enfants, y compris de nos jours.

Mais il faut aller plus loin, je crois. Ne serait-ce pas finalement la parabole incitative et invitatoire de la mission de l’Eglise dans notre société, telle qu’elle est ? Autrement dit notre tâche à tous, y compris aux soldats, avant, pendant et surtout après la bataille quand celle-ci est peut-être inévitable.
* Ne jamais cesser de prier.
* Continuer de compatir en écoutant son cœur et pas seulement ses armes.
* Aimer, y compris celui qui ne nous aime pas, car il faudra bien un jour ressusciter ensemble grâce au pardon échangé.
* Et finalement multiplier les gestes de soutien, de solidarité et de guérison.

La croix rouge n’est-elle pas le symbole inversé de la croix suisse ? Il y a un appel permanent pour nous, pour notre pays, pour ses autorités et tous ses habitants, dans cette symétrie tellement significative, qui flotte encore aux vents de toutes les tempêtes du monde.

C’est pour ces valeurs-là -je veux dire celles qui sont illustrées sur ce vitrail- que nos soldats sont morts. Nous qui avons la grâce de vivre dans un pays en paix, même s’il n’est pas parfait, comment voyons-nous notre mission citoyenne, comment vivons-nous notre engagement de chrétiens, dans le monde tel qu’il est, fascinant et cruel à la fois ?

Avec cette parole de saint Paul encore plus précieuse qu’un vitrail parce qu’elle est illuminée de l’intérieur par l’Esprit de Dieu : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »
Vous. Nous. Tous les humains.

Amen !

                                               Claude Ducarroz


vendredi 31 octobre 2014

Commémorer l'espérance

Dimanche 2 novembre 2014

Commémorer l’espérance

C’est plutôt exceptionnel : le 2 novembre tombe cette année sur un dimanche. Le 31ème dimanche du temps ordinaire s’efface donc devant la commémoration de tous les fidèles défunts. Du coup, une ambiance de cimetière pourrait plomber la liturgie dominicale. Encore que certains cimetières soient plutôt des lieux de paix et de beauté.
Il n’y a pas de honte à être triste quand on a perdu un être cher. Il n’y a pas de gêne à pleurer quand on évoque telle personne trop tôt disparue. Nous sommes aussi des êtres d’émotion, et celle-ci doit pouvoir s’exprimer sans remords. Il y a place en ce jour pour une saine et sainte nostalgie. La mémoire peut aussi se teinter de chagrin. C’est humain.
Mais la liturgie de cette fête, toute illuminée par le mystère pascal, convertit nos souvenirs consternés en solide espérance. Il suffit de quelques petites phrases, quand elles viennent de la Parole de Dieu, pour transfigurer nos afflictions en consolation et même en confiance retrouvée.
Et si c’était vrai ? Que la vie des justes est dans la main de Dieu. Que le Dieu d’amour accorde à ses fidèles grâce et miséricorde. Que nous verrons la bonté du Seigneur sur la terre des vivants. Que nous partagerons pour toujours la gloire du Christ ressuscité.
Bien sûr, devant une tombe ou une urne, personne ne pourra jamais nous dispenser du saut de la foi. Il faut comprendre celles et ceux qui meurent sans espérance ou commémorent leurs défunts sans parvenir à dépasser la douleur d’une perte sans espoir de revoir. « On les croyait anéantis, alors qu’ils sont dans la paix », dit l’auteur du livre de la Sagesse.
Il ne faut rien moins que la résurrection du Christ pour changer le cours fatal de notre histoire. Autrement dit un pur cadeau qui, s’il est offert à tous, n’est pas une évidence imposée à chacun. Celles et ceux qui croient à la vie éternelle ne peuvent qu’en témoigner humblement, y compris dans leurs deuils qu’ils partagent avec tous les autres humains, sans se prétendre plus vaillants qu’eux. Mais nous avons au moins ce ferme espoir que le Seigneur accueillera dans sa maison, pour les inviter à sa table, tous ceux qui, même sans l’avoir connu ni reconnu, auront servi leurs frères et sœurs humains dans la gratuité de l’amour. Comme Lui.
 « Heureux seront-ils ! », promet Jésus lui-même.
Et Marie sera sans doute là près de la porte, selon ce poème de Charles Péguy, décédé sur le front de la guerre il y a exactement 100 ans :
Nous ne demandons rien, refuge du pécheur
   Que la dernière place en votre Purgatoire
     Pour pleurer longuement notre tragique histoire
                                     Et contempler de loin votre jeune splendeur.
La tapisserie de Notre-Dame  1913

                                                                                                          Claude Ducarroz
A paru sur le site  cath-ch



Homélie de la Toussaint

Toussaint 2014



Heureux ! Neuf fois heureux !
Heu-reux ! C’est facile à dire, mais tellement plus difficile à faire ou plutôt à être, n’est-ce pas ?
Comment être heureux quand on a des gros ennuis de santé, quand on a perdu un être cher, quand on a des problèmes au travail, quand on a des soucis dans son couple ou avec ses enfants ? Et puis tout ce qu’on lit, voit, entend sur la situation du monde, qui ne peut pas nous laisser indifférents.

Ces déclarations de bonheur –qu’on appelle les béatitudes- sont-elles des provocations un peu trop faciles ou une feuille de route… qui tient la route, justement ? Il n’est pas si simple de répondre à cette question.

On peut évidemment tout renvoyer dans le Royaume de Dieu, la terre nouvelle promise au-delà de la mort, « car votre récompense sera grande…dans les cieux », conclut Jésus.
Nous n’allons pas cracher sur une telle promesse. Elle est garantie par le Christ ressuscité qui nous a dit : « Je vais vous préparer une place… Et là où je suis, vous serez aussi avec moi. » N’est-ce pas ce que nous demandons et espérons pour tous nos chers défunts ? En attendant que ce soit pour nous, avec tous les saints et saintes du ciel. 
Nous avons bien raison de nous cramponner à cette espérance qui, finalement, correspond à nos plus chers désirs, pour nous-mêmes et pour ceux et celles que nous aimons : être heureux pour toujours avec Dieu, la source de notre vie et l’océan de notre rivière. Oui, comme dit l’apôtre Jean : « Nous serons semblables à Dieu parce que nous le verrons enfin tel qu’il est. »
Faut-il dès lors en rester là, au risque de transformer la religion en opium du peuple, à savoir une vague promesse de consolation illusoire dans l’au-delà ? Elle peut éventuellement nous aider à supporter les maux d’ici-bas, mais sans conférer un sens à cette vie, autre que d’être la salle d’attente plus ou moins confortable en vue de la vie d’après ? Le vaudois qui préférait le vin d’ici à l’(e)au-delà aurait-il, quelque part, raison ?

Regardons ces fameuses béatitudes d’un peu plus près. Elles ouvrent une espérance de vie éternelle, mais elles tracent aussi un chemin qui devrait nous aider à marcher sur cette terre déjà, debout et non pas en rampant. Certes c’est parfois paradoxal, un peu comme la vie : « Ceux qui pleurent seront consolés, ceux qui ont faim et soif de justice seront rassasiés, les miséricordieux obtiendront miséricorde et les artisans de paix recevront la dignité de fils et filles de Dieu. » Pas seulement dans l’au-delà, mais dès maintenant.

Il y a donc une possibilité ouverte, même pour ceux qui traversent des adversités et des souffrances, d’être heureux maintenant, en attendant le bonheur parfait de l’autre côté de la mort. Un bonheur que Jésus décrit ainsi : « Que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite… Une joie que personne ne pourra vous enlever. »

Et c’est vrai. Quand on regarde la vie des saints, on se rend compte que beaucoup parmi eux ont passé par des épreuves, mais qu’ils ont su garder la joie essentielle. Pensons par exemple à saint François d’Assise. Quelle belle leçon !

Elle est double. D’abord cette joie, il faut aller la chercher dans les profondeurs, au niveau de l’être plutôt que dans le faire ou le ressentir. Je ne veux pas signifier par là qu’il n’est pas important de trouver aussi du plaisir à vivre, des petits bonheurs quotidiens, dans les expériences de l’amour, de l’amitié, des relations humaines d’apparence banale. Comme on est heureux d’avoir encore de la petite monnaie dans son porte-monnaie !
Jésus lui-même a apprécié les délices de la table entre amis, les beautés de la nature, le sourire tout neuf de celles et ceux qu’il aidait à vivre ou à revivre.
Mais quand il voulait puiser dans la nappe phréatique de la vraie joie, il se retirait sur la montagne, priait le Père dans le secret, accomplissait sa volonté et non pas nécessairement la sienne propre. Quand il exulta sous l’action de l’Esprit-Saint, c’est parce que le Père avait caché ses mystères aux sages et aux habiles et les avait révélé aux pauvres et aux petits.
Le bonheur, finalement, c’est une affaire de communion des êtres plutôt que les démonstrations du paraître ou les exploits du faire.
Et cela est possible même dans les difficultés. On pourrait dire que ce bonheur-là est offert à tous en toutes circonstances, car il est un cadeau de Dieu sans interruption. Les saints nous en donnent la preuve.

Finalement, la meilleure recette du bonheur ici et maintenant, --après avoir mangé et bu dans le bonheur même de Dieu qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes-, ne serait-ce pas de contribuer à faire le bonheur des autres, selon cette parole de Jésus : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ! » ?
On peut appeler cela la joie d’aimer, mais aussi, plus simplement peut-être, le bonheur de faire plaisir, de donner un coup de main, d’aider à se relever, à grandir, à retrouver un sens à la vie. A qui, aujourd’hui, as-tu offert ne serait-ce qu’un petit supplément de bonheur ? C’est peut-être ça la sainteté au quotidien.

* La mort des autres nous rappelle sans cesse, et parfois douloureusement, que nous sommes tous mortels et que, par conséquent nous devons nous tenir prêts, car nous ne connaissons ni le jour ni l’heure.
* La présence discrète des saints et saintes nous indique la prairie du bonheur parfait dans les jardins du paradis auprès de Dieu qui nous comblera de sa propre joie. Heureusement.
* Et le partage avec celles et ceux qui nous entourent sur cette terre nous invite à toujours prendre les chemins de l’amour fraternel pour semer dès maintenant des graines d’éternité qui donneront des fruits dans le royaume des cieux.

Alors nous expérimenterons l’actualité de cette invitation exorbitante de Jésus, la dernière béatitude. »Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux »


                                   Claude Ducarroz

vendredi 17 octobre 2014

César et/ou Dieu?

César et/ou Dieu ?

« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ! »
Que de malentendus, que d’erreurs, que de crimes même autour de cette petite phrase de l’évangile citée seulement par Matthieu.
- Puisqu’il faut rendre à César ce qui est à lui, les princes d’ici-bas ont-ils le droit d’exiger tout et n’importe quoi de leurs sujets, y compris lorsqu’ils les nomment plus  démocratiquement des « citoyens » ?
- Puisqu’il faut rendre à Dieu ce qui lui appartient -autrement dit tout-, les pouvoirs religieux peuvent-ils user même de la violence pour contraindre les hommes à accomplir leurs devoirs sacrés ?
On a vu tout cela dans l’Histoire, et parfois encore aujourd’hui. Les deux règnes antagonistes n’ont pas fini de se disputer le cœur et la conscience des personnes.
Soyons justes : dans nos sociétés européennes, de gros progrès ont été accomplis dans les relations entre César et Dieu. Traduisons : entre l’Etat et les Eglises. Sous le slogan « Une Eglise libre dans un Etat libre », on a cherché à mieux définir les droits et devoirs des personnes qui appartiennent à la société de cette terre tout en revendiquant un attachement à une religion qui pointe vers le ciel.
Sans être parfaite, la démocratie pluraliste assure au mieux un certain équilibre entre les allégeances. Les citoyens ont des droits, mais aussi des devoirs, que les Eglises leur rappellent. Car on n’est pas encore dans le Royaume de Dieu. Mais les croyants doivent pouvoir jouir des libertés fondamentales qui leur permettent d’exprimer sans entrave leurs convictions, en privé et en public, évidemment avec égard pour celles et ceux qui ne pensent pas nécessairement comme eux. C’est à l’Etat de veiller sur le respect de ces espaces de liberté.
Où en sommes-nous aujourd’hui chez nous ? A la faveur d’un individualisme qui frise l’égoïsme, on en vient à exiger surtout le respect des droits personnels sans estimer que nous avons aussi des devoirs, y compris vis-à-vis de la communauté sociale et politique. Les Eglises feraient bien aussi de répéter aux croyants –et aux autres en passant- que tous doivent aussi rendre à César ce qui lui appartient afin que la vie commune sur cette terre soit marquée non seulement par le primat des libertés individuelles mais aussi par la nécessité des solidarités sociales. Y compris par la justice salariale, le paiement des impôts et le secours dû aux plus faibles.
Echange de bons procédés ! L’Etat se doit de respecter les consciences de ses citoyens, notamment  lorsqu’ils s’expriment à travers les religions et Eglises, dans la mesure où le bien commun, défini démocratiquement, est bien servi par leurs engagements au bénéfice de tous, à commencer par les plus pauvres. Un supplément d’âme ne peut qu’être bienfaisant pour toute la société. Les Eglises sont aussi là pour le proposer et le vivre. Dans la liberté évidemment.
César ou Dieu ? Les deux, mais chacun à sa place. Je ne vois pas en quoi les citoyens, même sans religion, auraient à craindre celles et ceux qui estiment que Dieu doit être premier servi quand on sait combien ce Dieu-là est ami des hommes. De tous.

                                                                       Claude Ducarroz

A paru sur le site www.cath.ch

mardi 7 octobre 2014

Si je puis me permettre...

Si je puis me permettre…

Qui suis-je pour (oser) en parler ? Moi qui suis un célibataire, et même un vrai. Sauf que je suis amené à accueillir des fiancés et à bénir des mariages. Avec joie ! Mais pas de semaine -ou presque- sans que j’apprenne la nouvelle d’une séparation ou d’un divorce. Qui l’eût cru ? Il y avait pourtant beaucoup d’amour entre eux et une grande espérance autour d’eux.
Mystère de l’amour. Mystère aussi du désamour. La fragilité des couples –pas tous heureusement- me taraude en mon cœur et en ma conscience. Comment peut-on passer si rapidement des tendresses les plus démonstratives aux conflits sans remède ?

Je regarde le bouquet de roses qu’un (vieux) couple d’amis m’a offert à l’occasion d’une visite. Elles étaient superbes, ces fleurs achetées chez le fleuriste, avec un petit sachet de poudre pour favoriser leur santé. Et pourtant, si peu de jours après, les voilà déjà en train de flétrir, bientôt destinées au cimetière des beautés mortes par incapacité de durer. C’est que ces roses avaient été coupées de leurs racines. L’eau dans le vase, même avec le coup de pouce du sachet bio, ne peut suffire à les prolonger longtemps. Une rose s’épanouit vraiment quand elle demeure sur le rosier, les racines en bonne terre et la sève discrète mais vitale, qui circule dans ses branches, du feuillage jusqu’au sommet de la fleur.
N’y aurait-il pas trop d’amours sans racines spirituelles, trop de couples coupés de leur sève religieuse, qui fleurissent hors sol, périssables comme un bouquet mis dans un vase, joli certes, mais qui ne peut faire illusion bien longtemps ?

Cela dit, je ne veux accuser personne. Les célibataires, y compris les prêtres, ont aussi leurs tentations et leurs fragilités. Ne serions-nous pas tous appelés à retrouver des racines plus solides en plongeant dans le terreau de la parole de Dieu, en nous exposant au soleil de la prière, en nous redonnant la main du cœur par le dialogue et la réconciliation, en nous laissant arroser par l’eucharistie, l’autre sacrement de l’alliance qui tient bon, même par mauvais temps ?

On peut discuter de beaucoup de choses, même dans un synode consacré à la famille. C’est utile. Mais le plus nécessaire sera toujours cette communion avec l’Amour majuscule qui retient et soutient dans son cœur nos amours minuscules.
Minuscules et pourtant porteuses de vocation à l’éternité.

Claude Ducarroz


A paru sur le site  www.cath.ch 

vendredi 3 octobre 2014

Encore une affaire de vignerons!

Encore une affaire de vignerons
Mt 21,33-43.

Ce n’est qu’une parabole, mais c’est encore d’actualité.
Comme il arrive souvent, cette parabole dite des « vignerons meurtriers » suscite plusieurs niveaux de lecture.

Jésus semble d’abord résumer l’histoire d’Israël. Ses privilèges : le propriétaire a soigné sa vigne en la dotant de tout ce qui lui est nécessaire pour donner du fruit. Et il l’a confiée à des vignerons en qui il a placé toute sa confiance. Parabole de l’alliance de Dieu avec son peuple de prédilection.
Puis vinrent les problèmes. Pire encore : les trahisons. On sait, par la bible elle-même –et sans tomber dans l’antisémitisme- combien Israël, souvent tancé par les prophètes, s’est montré indigne de cet amour préférentiel en allant jusqu’à persécuter ceux qui voulaient le ramener dans la fidélité à son Dieu.

Le tournant de la parabole pique en pleine actualité. C’est le passage des serviteurs au fils lui-même, autrement dit l’envoi de Jésus, le fils du Père devenu super-prophète au milieu de son peuple. Avec toutes les conséquences à venir : sa passion, sa mort et jusqu’à la résurrection, cette pierre rejetée qui devient la pierre d’angle pour tenir debout tout l’édifice du salut définitif. Une merveille sous nos yeux !

Enfin, il y a l’actualité de la communauté pour laquelle cet évangile a été écrit. On y voit, avec étonnement voire réticence, que des païens adhèrent de bon cœur à l’évangile tandis que les juifs hésitent beaucoup. L’Eglise est en marche vers les « gentils ».

N’y aurait-il pas une lecture possible pour notre actualité à nous, aujourd’hui ?
Bien sûr ! Dans nos pays dits de « vieille chrétienté », que devient l’héritage christique ? Ne sommes-nous pas plutôt du côté des vignerons ingrats et même infidèles qui gaspillent le trésor de l’évangile transmis par nos pères et mères dans la foi? D’autres, au loin, semblent aujourd’hui reprendre le flambeau de cette foi avec la joie de l’évangile, tandis que nous faisons la moue devant la révélation biblique, au point de la rejeter, que ce soit avec une certaine violence antichrétienne ou dans la douceur de l’indifférence.

Et voilà que notre pape nous invite à gagner les périphéries. En nous, autour de nous et jusqu’au bout du monde.
Heureusement, l’œuvre du Seigneur a encore quelques surprises à nous proposer. Il dépend aussi de nous qu’elle puisse devenir ou redevenir « merveille sous nos yeux ».

Claude Ducarroz

A paru sur le site cath.ch 

lundi 29 septembre 2014

Homélie du 26ème dimanche ordinaire

Homélie du 28 septembre 2014 à LA VISITATION

Etrange ! Vous avez dit « étrange ». Oui, Dieu est étrange, très étrange. Mais ce n’est pas une raison pour en faire un étranger.
Au contraire, c’est une raison supplémentaire pour qu’Il devienne un ami de grande proximité.
Dans la première lecture, Dieu est taxé deux fois d’étrange parce qu’il ne désire pas la mort du méchant, mais sa conversion pour qu’il vive !
Dans la deuxième lecture, l’étrangeté de Dieu atteint son paroxysme dans le Christ Jésus.
Lui qui était dans la condition de Dieu, le voilà qui se dépouille lui-même en prenant la condition de serviteur, en s’abaissant jusqu’à mourir sur une croix.
Et dans l’Evangile, il y a aussi une phrase de Jésus qui est bien étrange : « les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu ».
Bizarre autant qu’étrange !
Comment comprendre tout cela ? Deux logiques s’affrontent. Celle du calcul et celle de l’amour. Or Dieu est précisément le dernier en calcul parce qu’Il est le premier en amour. Tout est dit.
Punir le méchant à tout prix : c’est la logique du calcul. L’aimer jusqu’à ce qu’il se convertisse et lui pardonner, c’est l’illogisme de l’amour, qui précisément ne calcule pas.
Quand on est dans la condition de Dieu, on fait tout pour être traité à l’égal de Dieu  c’est ce qu’on attend d’un Dieu tout-puissant qui règne éternellement.
Mais devenir humain, et même un homme, et en plus un crucifié, par dépouillement de soi, à cause de l’amour qu’Il nous porte : c’est la folie de la divine tendresse.
Parce que Dieu est Amour, rien que l’Amour, dans cette merveilleuse démonstration qu’est le Seigneur Jésus.
Les chefs des prêtres et les anciens doivent marcher en tête vers le Royaume : c’est logique puisqu’ils sont évidemment les premiers et les meilleurs.
Mais que des publicains – symbole de tous les marginaux – et même les prostituées les précèdent : ça étonne, ça peut même révolter.
Non pas que Jésus prône la prostitution, évidemment, mais parce que ces gens-là, parfois avant d’autres et mieux que d’autres, ont écouté la parole de Dieu, y ont cru et se sont laissé bouleverser dans leur mentalité et dans leur vie.
Nous sommes donc tous renvoyés à ce face à face personnel entre Jésus et chacun de nous. C’est pourquoi saint Paul peut écrire : « Ayez les mêmes dispositions, les mêmes sentiments, le même amour » que ceux qui animaient le cœur de Jésus en personne. A savoir de la tendresse, de la pitié, de l’humilité. En un mot : de la miséricorde, un mot qui revient souvent dans les homélies du matin du pape François.
Miséricorde : tout un programme, littéralement : du cœur, un cœur ouvert sur la misère, pour l’absorber dans l’amour et la brûler dans le pardon.
On comprend mieux cela justement quand on regarde le Christ en croix, avec son côté ouvert par la lance pour laisser entrer en son Amour toutes nos misères, afin qu’Il les noie dans le sang et l’eau coulant de cette divine blessure.
Avec la signature pascale au bas de l’icône de la croix : Jésus Christ est le Seigneur pour la gloire de Dieu le Père.
Eau et sang : baptême et eucharistie.
Les belles paroles sont devenues des signes concrets, toujours actuels, aujourd’hui dans le festin de cette Eucharistie :
            Prenez et mangez
            Prenez et buvez

Le sang versé par amour pour vous et pour la multitude, en rémission des péchés.
Oui, vraiment heureux les invités au repas d’un tel Seigneur, qui fait de nous, comme lui, d’étranges miséricordieux.

jeudi 25 septembre 2014

Pour mon frère bien-aimé +Bernard

+ Bernard Ducarroz

Bernard. Mon frère. Mon bien-aimé.

Notre bonheur.    Notre douleur.    Notre espérance.

1.      Merci, Seigneur, pour nos bonheurs « Bernard ».
Rien que sa présence, c’était du bonheur. Pour sa famille bien sûr, qu’un pur amour, avec Yvette, avait su élargir si généreusement. Mais aussi pour tant d’autres, parce qu’il était l’homme de tous les oui, l’ami de tous les accueils, l’ardent de toutes les bonnes causes.
Et en plus, toutes ces cordialités spontanées, il savait les transfigurer en poésie. Il aimait les habiller de beauté simple mais profonde, en attendant la valeur ajoutée de la musique, grâce à la collaboration de ses si bons amis compositeurs, metteurs en scène, musiciens et chanteurs.

Bernard avait le talent humble, presque timide, d’autant plus touchant. On chantera encore longtemps les fruits de son arbre aux images, qu’il ne cueillait pas pour paraître sur un marché, mais simplement pour faire plaisir, pour semer dans les jardins des autres de petites joies mûries au soleil de sa spiritualité.

Son passage, ses partages n’avaient-ils pas le goût de ces béatitudes racontées par Jésus ? Neuf fois « heureux », pour ouvrir le voyage de l’évangile. Oui, des bonheurs promis et souvent déjà là, mais d’abord pour les pauvres de cœur, les affamés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix.

Celles et ceux qui connaissent Bernard- sa famille, ses nombreux amis, ou celles et ceux qui l’ont chanté- le reconnaissent là, au détour d’un souvenir béni, dans ce portrait des vrais disciples à l’image de Jésus.

Bien sûr, il n’y a aucun chrétien parfait. Mais on peut te dire merci  aujourd’hui : toi qui, si souvent, nous as aidés à être meilleurs, humainement, chrétiennement, par le sourire, par la parole, par le chant et même par tes silences parfois énigmatiques.

       2. Au milieu de ces béatitudes, il y a celle-ci : « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. »
C’est là où nous sommes aujourd’hui. L’inquiétude devant ta maladie, la perspective de te perdre ici-bas et finalement cette mort inévitable : Bernard, notre douleur.
Le chagrin des tiens, mais aussi la tristesse de celles et ceux que Bernard abritait dans les largeurs et les profondeurs de son bon cœur, sans ostentation, sans prétention, gratuitement, par tendresse et par fidélité.

Nous sommes tous là, profondément unis dans et par cette peine, mais aussi dans une merveilleuse consolation. Celle que nous donne la mémoire vive de sa douce bonté, et celle que nous offre la foi en la bonté de Dieu qui recueille la vie des justes dans ses mains paternelles, après nous les avoir donnés pour toutes sortes de belles fraternités.

Je me souviendrai toujours. A l’hôpital, tu m’as répondu plusieurs fois ceci : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. Et une fois, tu l’as chanté, comme à complies. Et comme nous te demandions où tu puisais ta confiance, tu as répondu aussitôt : « J’ai confiance en celui qui m’a créé. »
Que celui-là t’accueille maintenant dans ce royaume promis justement à ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur. Et qu’il te donne le bonheur de la résurrection, en même temps qu’il sèche nos larmes par la foi pascale. « Réjouissez-vous, car votre récompense sera grande dans les cieux. »

3. Dans cette célébration, y compris avec la probable variété de nos convictions, c’est bien vers le ciel qu’il nous faut maintenant nous tourner. Bernard, notre espérance.
Avec cette liberté d’aller, même s’il reste bien des questions sans réponses ici-bas, vers cet au-delà qui t’a fait dire : « Je suis un homme libre, parce que j’ai déjà tout donné, tout offert. » N’était-ce pas la mentalité du Christ sur la croix ? Quand tout est donné, on peut partir en paix. Les cadeaux offerts demeurent dans le cœur des aimés du plus grand amour, surtout avec l’offrande du sacrifice suprême.

La famille en témoigne d’abord, la famille large évidemment, mais aussi les communautés que Bernard a servies, dans l’enseignement durant 40 ans, dans l’animation liturgique dimanche après dimanche, dans le rayonnement culturel si varié, dans l’amour de son village et de ses deux églises, dans la catéchèse et surtout dans tous ces dévouements gratuits et souvent discrets qui avaient la saveur de l’amitié et les couleurs de la solidarité sincères.
En nous quittant dans nos larmes, avec le chapelet usé par notre maman dans ses mains, Bernard nous entraîne vers la joie, celle du bon serviteur désormais comblé auprès du Christ ressuscité, auprès de ses deux papas, de sa maman Marguerite, de notre Jacquy le précurseur.

Va Bernard ! Nous te laissons partir, le cœur brisé, mais l’âme en paix. Nous devinons où tu es arrivé, dans la maison du Père. Toi, tu les vois maintenant ensemble, Dieu et ton papa que tu souhaitais enfin rencontrer. C’est notre foi, c’est notre consolation.

Ton visage souriant a pris place maintenant pour toujours au fond de notre cœur, parce que le tien repose désormais dans le cœur même de Dieu.

A toi le dernier mot, dans les paroles d’un chant intitulé « Ils sont vivants », mis en musique par Pierre Huwiler pour les « Jardins du paradis » à Delémont en 2009 :

Mais quand debout on les appelle
Du fond d’un cœur ensoleillé
On les entend : « la vie est belle 
Il faut savoir en profiter. »

On n’est pas là pour un adieu
Ils sont vivants dans notre histoire
On les invite à la veillée
Comment  ne pas toujours y croire
Que le printemps vient d’arriver ?

Claude Ducarroz     25 septembre 2014







lundi 15 septembre 2014

Pour les pèlerins valaisans

Homélie
Jn 21,1-14

 Comme il y a plusieurs manières de bien faire, il y a aussi plusieurs façons de lire –ou plutôt de recueillir et d’accueillir- ce texte de Jean dans cet appendice ajouté à son évangile. L’important, c’est que cette parole finalement nous éclaire, nous touche et nous fasse bouger, nous, là où nous sommes aujourd’hui. Et pour vous, c’est au terme d’un pèlerinage en compagnie de Marie, mais on sait combien Marie et le disciple bien-aimé étaient proches, et même ensemble, au pied de la croix de Jésus. Cf. Jn 19,26-27.

Curieux et significatif, ce retour des disciples au bord de leur lac familier, à la rude tâche du métier de pêcheur, loin des évènements extra-ordinaires de Jérusalem. Oui, un certain retour à la « case départ », dans la banalité de la vie quotidienne et sur le lieu qui fut celui de la première rencontre avec Jésus et le témoin de leur vocation. La boucle semble bouclée.
Et c’est justement là que le Seigneur ressuscité les rejoint, car il nous rattrape toujours là où nous sommes, lui qui fait tout le chemin à notre rencontre, tout en restant discret dans les signes qu’il nous adresse. Une révélation progressive, toute de respect, toute en douceur.

Et qui vient-il rejoindre, ce Jésus encore anonyme mais déjà actif ? Une équipe d’amis sur une barque. Tout un symbole sûrement. Jésus reprend contact avec l’Eglise, son Eglise. Avec ce Simon devenu Pierre, et toute sa bande de Galiléens, réunis par la profession, par une amitié pas toujours tranquille, par l’appel de jadis toujours fécond.
On reconnaît le type de rendez-vous à la façon de nommer et de situer les personnes. Ce sont les apôtres, les 12, ceux qui peuvent dire à Simon-Pierre : « Nous aussi, nous allons avec toi » sur la même barque, à la pêche. Mais désormais, avait dit Jésus, « ce sont des hommes que tu prendras ». Cf. Lc 5,10.

Mais justement, ils ne prirent rien ni personne cette nuit-là. Car l’Eglise n’est pas une entreprise qui doit faire du chiffre pour satisfaire l’appétit de rendement d’un conseil d’administration. Elle fait ce qu’elle peut. Si souvent, elle travaille aussi dans la nuit du monde. Le mieux, aujourd’hui comme hier, c’est qu’elle attende son Seigneur jusqu’au lever du jour pour le reconnaître dans la foi et finalement accomplir  humblement les gestes de l’espérance, à savoir toujours recommencer à jeter les filets de l’évangile dans la mer de son temps. Pas parce que nous sommes de meilleurs pêcheurs –nous qui sommes de pauvres pécheurs-, mais parce que Jésus nous le commande et recommande, respectueusement, inlassablement.

Et d’ailleurs il le fait en commençant par demander quelque chose, comme un mendiant qui a faim, avec une simplicité bouleversante. Il vient leur offrir la résurrection, lui le maître de la vie, et il leur dit : « Les enfants, avez-vous quelque chose à manger ? »
Car il a son idée derrière la tête. Une fois accompli le saut de la foi par le disciple bien-aimé -le plus perspicace en amour –« c’est le Seigneur ! »-, Pierre seul se jette à l’eau. Mais c’est dans la collégialité apostolique que tous traînent le filet et tirent la barque sur le rivage. Une manoeuvre délicate qu’il faut réussir sans rompre le filet, le regard fixé sur le divin reconnu de la plage qui les attend avec le repas concocté par lui-même.
Il leur avait demandé à manger, et c’est lui qui a tout préparé, le feu, le poisson et le pain. Ce n’est pas céder à l’imagination pieuse que de reconnaître dans cet étrange pique-nique les symboles de la cène : le feu pour signifier la chaleur de l’amour, des poissons venus de la pêche humaine –« fruits de la mer et du travail des hommes »-  et le pain partagé sur invitation eucharistique : « Venez manger. »

C’est Jésus en personne qui s’approche –il nous aime toujours le premier-, c’est lui qui donne, c’est lui qui se donne. Leur foi, comme la nôtre n’est-ce pas ?, demeure toujours balbutiante. Ils n’osent lui demander  « qui es-tu ? », mais ils savent bien que c’est lui, le Seigneur.

Un pèlerinage, surtout en compagnie de Marie, c’est refaire avec Jésus ressuscité cette expérience maritime, ou lacustre, si Tibériade s’appelle Port Valais. Elle se vit toujours dans la communion de l’Eglise apostolique dont l’évêque est le signe vivant. Elle prend le temps du dialogue avec Jésus, par l’écoute de sa parole révélante et invitante, jusqu’à l’eucharistie au bord du rivage de la vie ordinaire.

Car où que nous soyons, il est bel et bien là, avec nous, tous les jours, comme il l’a promis. Y compris quand nous donnons la main de la fraternité respectueuse à celles et ceux qui ne l’ont pas encore reconnu ou hésitent à le nommer. Jésus vient, s’approche, dialogue par son Esprit au cœur secret des consciences, tout en invitant chacun à faire Eglise autour de la parole et du pain partagés.


A ceux qui acceptent de se jeter à l’eau de l’évangélisation, comme à ceux qui peut-être traînent encore sur la grève, le Seigneur peut faire signe comme ressuscité, parfois éblouissant, toujours infiniment patient, jusqu’à la discrétion, mais toujours avec le rayonnement du feu de braise de son amour, là, sur les divers rivage de nos vies.

                                               Claude Ducarroz