samedi 8 novembre 2014

Messe à la mémoire de nos soldats

Homélie
In memoriam 2014

Alors, la guerre, comment ça va ?
Merci pour elle, elle va très bien.
Et vous ? Comment allez-vous ?

Ce petit dialogue, presque banal, pourrait s’appliquer à la situation internationale, telle que les medias nous la rapportent et nous la montrent. Ainsi vont les guerres, avec quelques spécialités typiques de notre temps. Ici et là, la religion refait alliance avec la violence, comme s’il fallait sacraliser les horreurs pour les rendre non seulement excusables mais acceptables.
Les chrétiens -mais d’autres aussi- sont devenus des cibles faciles pour certains « combattants de Dieu ». Sur les routes de l’inhumanité, en ce moment-même, marchent, tombent et meurent des milliers d’innocents pris au piège de la haine, du fanatisme, de l’intolérance et de l’exclusion la plus radicale.

Et pendant ce temps-là, ici, dans notre cathédrale, au cours d’une belle messe, nous évoquons pieusement la mémoire de soldats qui, s’ils étaient prêts à se sacrifier pour leur patrie, sont morts non pas dans les combats, mais simplement dans l’accomplissement de leur devoir citoyen, comme on dit, « sous les drapeaux ». Honneur à eux !
Dans notre célébration grave mais pacifique, une fois de plus, sonne et résonne l’heure des martyrs, celles et ceux qui paient de leur vie leur attachement à la dignité des personnes, à la liberté de conscience et au droit d’exprimer et de vivre sa foi.

Le saviez-vous ? Il y a dans notre belle cathédrale un vitrail réservé aux martyrs. Celui-là, près de la chaire, sur votre gauche. Ne manquez pas de le contempler une fois dans le silence d’une méditation.
A gauche, il y a deux hommes, parmi lesquels d’ailleurs un soldat, saint Maurice qui, tout en pratiquant son métier, fit objection de conscience quand on le força à choisir entre son Dieu et l’empereur. Il en mourut au fil de l’épée, avec ses compagnons.
Mais il y aussi deux femmes -à droite- reconnues comme patronnes de Fribourg : Catherine d’Alexandrie et Barbe, que certains situent à Antioche, deux martyres provenant de cet Orient qui fournit encore le plus gros contingent des martyrs contemporains.

Les martyrs pourraient être beaux quand on les place sur des vitraux réalisés par des artistes de génie, comme l’était le polonais Joseph Mehoffer, lui-même d’ailleurs victime des conséquences de notre dernière guerre à Cracovie en 1946. Mais au bas du vitrail, le peintre n’a rien voulu cacher des horreurs qui sont le prix de la vaillance et de la fidélité, tant féminines que masculines. Regardez : chaque personnage est représenté nu, dans toute la cruauté de son destin, y compris les femmes, sans pudeur, quand il s’agit de donner sa vie comme le Christ, nu sur la croix du sacrifice.

Mais je vous prie d’observer encore de plus près les brutales scènes du martyre en acte. Dans chaque représentation, l’artiste a inséré, près de l’horreur triomphante, un discret visage de femme. Oui, toujours une femme, y compris du côté des hommes, un peu comme Marie au pied de la croix du Christ, où il y avait plus de femmes que d’apôtres, quand Jésus achevait d’offrir sa vie pour le salut du monde, sous la violence de ses bourreaux à la fois politiques, militaires et religieux.

Voyez ces visages de femmes, qui sont si discrètes et pourtant nous disent l’essentiel, pour tout racheter, pour tout sauver. A droite, une femme prie. Puis une autre pleure. La troisième embrasse et la quatrième relève dans un admirable geste de soutien.
Tout est dit quand il n’y a plus que le silence. Mais qu’est-ce qui est dit quand tout semble accompli, comme au calvaire ?

Sûrement la mission de la femme et des femmes dans un monde de bruts, si souvent masculins, pour ne pas dire « une affaire de mecs »: la prière, la compassion, l’amour et le tendre relèvement. L’espérance vient encore si souvent des femmes et de leurs enfants, y compris de nos jours.

Mais il faut aller plus loin, je crois. Ne serait-ce pas finalement la parabole incitative et invitatoire de la mission de l’Eglise dans notre société, telle qu’elle est ? Autrement dit notre tâche à tous, y compris aux soldats, avant, pendant et surtout après la bataille quand celle-ci est peut-être inévitable.
* Ne jamais cesser de prier.
* Continuer de compatir en écoutant son cœur et pas seulement ses armes.
* Aimer, y compris celui qui ne nous aime pas, car il faudra bien un jour ressusciter ensemble grâce au pardon échangé.
* Et finalement multiplier les gestes de soutien, de solidarité et de guérison.

La croix rouge n’est-elle pas le symbole inversé de la croix suisse ? Il y a un appel permanent pour nous, pour notre pays, pour ses autorités et tous ses habitants, dans cette symétrie tellement significative, qui flotte encore aux vents de toutes les tempêtes du monde.

C’est pour ces valeurs-là -je veux dire celles qui sont illustrées sur ce vitrail- que nos soldats sont morts. Nous qui avons la grâce de vivre dans un pays en paix, même s’il n’est pas parfait, comment voyons-nous notre mission citoyenne, comment vivons-nous notre engagement de chrétiens, dans le monde tel qu’il est, fascinant et cruel à la fois ?

Avec cette parole de saint Paul encore plus précieuse qu’un vitrail parce qu’elle est illuminée de l’intérieur par l’Esprit de Dieu : « Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c’est vous ! »
Vous. Nous. Tous les humains.

Amen !

                                               Claude Ducarroz


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