Panorama
Dans mes contacts en pastorale, je constate qu’il y a, au risque de schématiser, quatre attitudes fondamentales face à l’œcuménisme.
1. L’œcuménisme, ça n’existe pas, ou plutôt ça ne devrait pas exister. Dans toutes les Eglises, il y a des courants « intégristes » qui refusent l’œcuménisme. Car, à leurs yeux, le mouvement œcuménique est une infidélité, voire une trahison. Toute la vérité appartient à une seule Eglise –la nôtre évidemment- et les autres n’ont qu’à la rejoindre pour être pleinement dans la volonté de Dieu sur son peuple. Ces gens-là sont des ennemis de l’œcuménisme, et ils le font savoir.
2. Une deuxième catégorie pourrait se placer sous le slogan : l’œcuménisme oui, mais on n’y arrivera jamais. Ce sont les déçus, voire les découragés de l’œcuménisme. Ils sont démobilisés. Après y avoir cru, ils en sont bien revenus, devant les lenteurs ou même les reculs de la dynamique œcuménique. Plus ou moins résignés, ils n’attendent plus rien sur ce point. Avec évidemment quelque accusation visant les autres. C’est la faute à l’impérialisme catholique, au conservatisme orthodoxe ou à l’anarchie protestante. Conclusion : restons là où nous sommes sans chercher à nous rapprocher. Essayé, pas pu !
3. Une troisième catégorie rassemble les oecuménistes optimistes et même satisfaits. Ils estiment que l’œcuménisme a fait bien des progrès, que les Eglises se respectent dans leurs diversités et collaborent dans la société. Que demander de plus ? Ce plus petit dénominateur commun leur suffit. Restons-en là. Vouloir davantage risque de remettre question un acquis suffisant. Vive l’âge post-oecuménique !
4. Enfin il y a celles et ceux qui, tout en bénissant le ciel pour le chemin de rapprochement parcouru, estiment qu’il y a encore du grain à moudre avant de réaliser vraiment l’unité telle que le Christ la veut, à savoir à l’image de l’unité trinitaire dans une diversité assumée et reconnue. Ceux-là se mettent à la tâche, tantôt dans le champ biblique et théologique, tantôt dans les relations intercommunautaires à la base, tantôt dans le témoignage commun au cœur du monde. Ils se disent en somme : L’œcuménisme est un vaste et beau chantier. Il y a encore du boulot, et on y travaille !
Le Groupe des Dombes
De tout évidence, le Groupe des Dombes se situe dans cette dernière catégorie. Depuis sa fondation en 1937 par l’abbé Paul Couturier, les théologiens protestants et catholiques de ce gremium non officiel s’attellent à déblayer le terrain doctrinal pour parvenir, si possible, à des déclarations communes sur des sujets brûlants. Ils le font dans un climat de prière favorisée par le cadre monastique dans lequel ils travaillent. Patiemment et parfois laborieusement, ils essaient de trouver le plus vaste accord de base qui permette d’enlever des obstacles et même de construire des ponts sur la route de l’unité à retrouver. Ils ont conscience qu’il ne s’agit là que d’une dimension du vaste programme œcuménique. Mais ils sont persuadés que ce chemin passe aussi par des réconciliations doctrinales, sans préjuger des autres volets du labeur de communion qui inclut la prière, la charité, le service du prochain et même des accords officiels entre autorités reconnues de nos Eglises.
Par une déclaration intitulée « Pour la conversion des Eglises » (1991), le Groupe des Dombes s’est donné une feuille de route qu’il estime fructueuse pour aborder tous les sujets de controverse provoquant encore des divergences séparatrices entre les Eglises. Le maître mot est un concept biblique, que le Groupe veut appliquer au contexte œcuménique : la conversion, avec sa dimension chrétienne fondamentale, selon l’évangile (Cf. Mc1,15), mais aussi avec sa dimension ecclésiale, qui touche toutes nos Eglises, et même une dimension confessionnelle dans la mesure où nos Eglises se sont figées en confessions antagonistes.
On peut le faire comprendre ainsi :
Toutes les Eglises ont besoin de passer par des démarches de conversion au niveau des doctrines, des institutions, des traditions et des pratiques.
Ces démarches ne peuvent aboutir que dans un climat de prière pénitentielle, d’humilité non humiliante et de réconciliation inter-ecclésiale. C’est l’Esprit-Saint qui seul peut reconstituer le puzzle évangélique entre nous, sous le regard de notre Dieu.
Nous avons tous à donner et à recevoir
Dans nos corbeilles respectives, nous avons tous à la fois :
Des charismes et des dons spécifiques pour lesquels nous rendons grâce
Des déviations et des infidélités dont nous devons être prêts à nous laisser défaire, pour notre libération et pour le service de tous
Des questions comme un service fraternel aux autres Eglises afin qu’elles puissent les aider à devenir plus évangéliques.
Concrètement
Et si chaque Eglise, devant Dieu et devant les autres Eglises, dressait dans la vérité et l’humilité la liste :
De ses charismes inaliénables qu’elle estime devoir offrir aux autres comme un humble cadeau
De ses points faibles et de ses péchés pour lesquels elle se déclare prête à la conversion et à la réforme
De ses interpellations pour les autres afin qu’elles grandissent dans la lucidité et la volonté de conversion ?
J’ajoute trois principes qui ne doivent jamais être oubliés :
L’œcuménisme n’est pas un statu quo de type fédératif, ou une pure tolérance libérale, mais un mouvement qui veut rejoindre le projet de Jésus sur son Eglise, à savoir le témoignage cohérent d’une communauté une et unie, mais aussi diverse et plurielle, non sur le modèle humain, mais selon le rêve de Jésus, notre commun Pasteur.
Les charismes propres des Eglises sont souvent aussi le lieu de leurs infidélités par rapport à l’Evangile, qui les empêchent d’être compris et accueillis par les autres ; même ce que nous avons de meilleur doit passer par la conversion pour être partageable et enrichissant pour tous.
Tant qu’une Eglise estime grave telle question, il faut que toutes les autres la prennent au sérieux, car c’est le signe qu’un enjeu important est situé à cet endroit ; dès lors aucun problème ne peut échapper à priori au dialogue, à la remise en question et donc à la réforme.
Epreuves et preuves réussies
De tels principes, je le crois, ont inspiré avec fruit deux thèmes abordés par le Groupe des Dombes, et ce fut avec un succès reconnu. Des thèmes théologiques pas faciles.
Le premier apparaît dans le livre « Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints ». (1999) Cette étude culmine dans cette déclaration étonnante et surtout réconfortante : « Compte tenu des propositions de conversion qui clôturent notre parcours, nous ne considérons plus comme séparatrices les divergences relevées. (…) Notre travail a montré que rien en Marie ne permet de faire d’elle le symbole de ce qui nous sépare. »
Le deuxième terrain d’investigation tourne autour de l’autorité dans l’Eglise. Il s’exprime dans l’ouvrage « Un seul maître »– l’autorité doctrinale dans l’Eglise » (2005), qui fournit un grand pas en avant dans ce domaine délicat, si l’on articule correctement les dimensions communautaires, collégiales et personnelles de l’autorité en Eglise.
Il faut certes aller encore plus loin. Je le vois dans la proposition suivante : A quand un vaste concile universel qui remettrait tout sur la table, comme on étale un puzzle déjà en voie de reconstitution, en ayant soin d’apporter toutes les pièces manquantes, chaque Eglise essayant d’ajuster les siennes aux autres pour que le visage du Christ resplendisse à nouveau dans le monde par le rayonnement de l’Eglise des Eglises ?
Prions pour que Dieu nous donne la grâce de passer de ce rêve à la réalité.
Noël 2009 Claude Ducarroz
samedi 16 janvier 2010
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