dimanche 6 janvier 2013

Homélie de l'Epiphanie

Epiphanie 2013




C’est qui, ces bonshommes ? De manière plus polie, le pape Benoît XVI se pose la même question dans son dernier livre consacré à l’enfance de Jésus. Qui sont ces « Mages venus d’Orient » dont nous parle l’évangile de cette fête ?



* Des mages, selon le texte biblique, avec le côté fascinant, mais aussi inquiétant, que peut induire le mot « magie », surtout quand elle vient d’Orient.

* Des savants, et même des scientifiques, puisqu’ils observent le cours des astres. Peut-être tout simplement des astrologues.

* De toute évidence, ils ne se contentent pas de constater, ils sont sensibles aux signes qui dépassent le pur phénomène physique. Ils seraient donc des sages, voire des philosophes rompus à l’interprétation des évènements.

* Et puis la tradition en a fait des rois parce qu’ils viennent « adorer le roi des juifs », et parce que le psaume 72 avait annoncé que tous les rois de la terre viendraient se prosterner devant le Messie promis.



Quant au nombre trois, déduit à partir des trois cadeaux royaux offerts à Jésus, il permet de décrire ces personnages mystérieux comme provenant des trois continents connus alors : l’Europe, l’Afrique et l’Asie.

Et puis il ne faudrait pas oublier le rôle essentiel de l’étoile - un élément de la seule nature, mais investi d’une importante fonction- qui finit par s’arrêter exactement au dessus du lieu où se trouvait l’enfant Jésus.



Comme vous le devinez, au-delà des aspects historiques qui demeurent bien mystérieux, c’est dans le champ de la symbolique qu’il nous faut creuser pour trouver, si possible, un sens actuel à cet étrange épisode que Matthieu est le seul à raconter.



Et là, nous avons beaucoup à apprendre et beaucoup à retenir. On pourrait le résumer en une phrase : de la nature -à travers l’étoile- aux cultures –par la sagesse et par les sciences- en passant par le culte -ils viennent en adorateurs- : tout conduit au Christ, tout se prosterne à ses pieds, tout culmine en lui. L’arrivée de ces mages non juifs venus du lointain Orient signifie que toute l’humanité, dans l’extrême variété de ses manières d’être, de penser et de croire, se rassemble finalement dans l’attraction exercée par le Christ, même lorsqu’il est encore muet, ou du moins discret, dans le brouhaha des civilisations.



Le Christ n’est pas la propriété privée des seuls chrétiens.

Surtout depuis l’évènement de sa résurrection, complétée par son ascension et l’envoi de l’Esprit, le Christ déborde infiniment ceux et celles qui l’ont reconnu dans l’AOC du christianisme. C’est ce qu’insinuent déjà, au départ de son existence terrestre, ces mages mystérieux venus d’on ne sait où et repartis chez eux par un autre chemin. A nous d’élargir notre esprit, notre cœur et notre foi à ces nouvelles dimensions du salut apportées dès Bethléem, par le Jésus de Nazareth et le Seigneur de Pâque.



* La nature d’abord. Elle chante la gloire de Dieu. Puisque tout a été fait par lui et pour lui, le Christ est vraiment le centre écologique de l’univers. Chaque fois que nous contemplons avec admiration les merveilles de la nature, nous rendons gloire à celui qui tient toutes choses dans l’être par un geste d’amour. Quand nous étudions les secrets de la vie et de toutes choses, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, quand nous respectons ce monde tout en en faisant un usage raisonnable, nous rendons hommage à celui qui a pris le beau risque de nous le confier, non pas pour le dévaster au bulldozer, mais pour le cultiver à la manière d’un bon et délicat jardinier.



* Et puis, il y a la culture, ces constructions que l’homme, à partir de la nature et en puisant dans ses capacités créatrices, ajoute au monde et à l’histoire, pour leur donner un sens par la pensée, pour les décorer de multiples beautés, pour inventer de nouvelles fraternités, pour enrichir l’humanité de tout ce qui peut lui faire expérimenter que les êtres humains, quels qu’ils soient, sont bel et bien créés à l’image et à la ressemblance de Dieu.



Rien que dans cette cathédrale, nous pouvons expérimenter en concentré ce que la culture peut avoir d’humain et de divin en alliance. Il suffit, comme on l’a fait spécialement durant l’année jubilaire du chapitre cathédral, de regarder ses beautés de pierre, de verre, de bois, de peinture, d’écouter la musique et les chants, en nous rassemblant dans un peuple fraternel, en fête par et pour son Dieu.



* Et le culte alors ? Tout en appréciant et en soignant notre relation à Dieu selon la révélation judéo-chrétienne et dans la communion de l’Eglise, il nous faut encore élargir notre vision de la religion. Comment, à la suite des mages, ne pas espérer que tous les croyants sincères, tous les priants du monde, quelles que soient leurs religions, soient finalement en chemin vers le Christ seul médiateur entre Dieu et les hommes ?

Y compris ceux qui ont de la peine à croire ou se disent incroyants, s’ils sont en quête profonde d’un sens ultime à leur vie et à leur mort, dans un partage généreux avec celles et ceux qui les entourent.



Finalement, c’est à nous de leur révéler celui qu’ils ignorent encore et qui pourtant les aiment comme il nous aime, afin qu’ils trouvent un jour le visage de celui qu’ils cherchaient sans le savoir dans le sanctuaire secret de leur conscience.



La nature, la culture, le culte, tous en route vers le Christ, comme les mages vers la crèche ! Il y a un moment privilégié où nous expérimentons cela, tous ensemble. C’est justement maintenant, à l’eucharistie.

La nature est là, avec ce pain et ce vin qui sont d’abord des fruits de la terre. Et la culture aussi, car ils sont aussi les fruits du travail des hommes et des femmes. Et puis il y a ici tant d’autres richesses culturelles : la parole, les gestes, la musique, les chants, les arts, dans l’écrin d’une si belle cathédrale toute resplendissante des traces héritées des cultures anciennes et récentes.

Avec au centre cette parole qui m’émeut toujours : le Christ du pain et du vin consacrés « pour vous et pour la multitude ». Pas seulement pour nous, mais pour les multitudes.



Alors le rayonnement de l’Epiphanie du Seigneur prend des dimensions nouvelles. Cette « manifestation » gagne peu à peu les profondeurs de l’humanité et les confins de la terre. Nous célébrons cette messe sur le monde et sur l’histoire. Enfin -il était temps-, nous devenons catholiques !



Claude Ducarroz



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