Fleur de vie
Les aquariums
Je n’avais jamais vu cela. Sur chaque table de ce restaurant chic, il n’y a pas le traditionnel petit bouquet de fleurs, mais un aquarium carré dans lequel nage un seul poisson rouge. Le pauvre célibataire me fait pitié. Il s’agite vaillamment, mais surtout se cogne tristement aux parois de verre de sa transparente prison. Il lorgne parfois avec concupiscence vers l’aquarium d’à côté dans lequel frétille un compère tout aussi esseulé. Misère de la claustration forcée. La consolation (relative) m’est venue de la serveuse. Elle me promet qu’une fois par mois tous ces poissons sont mélangés dans un même aquarium, sans doute pour leur éviter la dépression nerveuse et favoriser les contacts plus ou moins amoureux.
Que d’êtres humains stagnent ou gesticulent dans des aquariums de solitude ! Certains, il faut l’admettre, ont choisi librement ce mode d’existence privée de vraies relations. Nous les respectons. Et souvent arrive le jour où la vie se rappelle brusquement à leur souvenir par des épreuves qui remettent en question leur isolement préféré à la communication. Mais tant d’autres personnes, jeunes ou moins jeunes, et parfois âgées, sont comme enfermées dans leur déréliction non voulue, en exil dans un aquarium d’indifférence ou d’abandon. Des célibataires obligés, par exemple.
Pourquoi ne pas prendre le beau risque de mélanger parfois ces bipèdes intelligents, ne serait-ce que par un sourire, un bonjour, une visite, un téléphone entre aquariums, afin que l’humanité ressemble un peu plus à une fraternité qu’à une exposition de poissons rouges en déshérence ?
1607 signes Claude Ducarroz
vendredi 11 mars 2011
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