L’évangile à tout prix ?
Avec la nouvelle évangélisation, que relance le pape Benoît XVI en créant au Vatican un dicastère qui s’en chargera, voici que fleurissent un peu partout des méthodes inédites, voire déconcertantes, pour annoncer la Bonne Nouvelle à notre monde. Puisque les anciennes formules ne marchent plus –il suffit de voir nos églises presque vides-, pourquoi ne pas utiliser des recettes résolument modernes, par exemple celles qu’offrent les multiples médias actuels, notamment pour atteindre les jeunes ? En Amérique d’abord, mais aussi chez nous, on constate avec admiration ou scepticisme les activités d’évangélistes qui n’hésitent pas à se servir des techniques du showbiz ou du starsystème pour proclamer l’évangile et conduire à la foi.
Pourquoi pas ?
Jésus lui-même n’a-t-il pas utilisé les méthodes trouvées dans la culture de son temps pour annoncer le Royaume de Dieu ? Les paraboles imagées, les messages aux foules, les gestes spectaculaires n’ont-ils pas ponctué sa vie de prédicateur itinérant ? Son autorité ne provenait-elle pas de sa capacité à rejoindre les gens dans leurs besoins concrets avec des moyens adaptés à leur contexte de vie ? Et l’apôtre Paul n’a-t-il pas poussé l’audace évangélisatrice jusqu’à se mesurer avec les intellectuels de son temps sur l’aréopage d’Athènes ? (Cf. Ac 17).
Oui, mais…
Jésus lui-même a éprouvé les limites de sa prédication publique en constatant les attentes ambiguës suscitées par ses faits et gestes. Quand il recommande la discrétion autour de son activité, c’est pour éviter les malentendus sur son action et les erreurs sur sa personne. Depuis ses tentations au désert (Cf. Mt 4,1-11), il avait appris à se méfier du merveilleux qui foudroie, même pour la bonne cause. Et l’apôtre Paul, qui se vantait d’aller très loin « pourvu que le Christ soit annoncé » a fini par comprendre qu’il lui fallait se concentrer sur le mystère de Jésus le Christ, « scandale pour les juifs et folie pour les païens » (ICo 1,23).
Quelle évangélisation ?
Aujourd’hui comme hier, l’évangélisation est une équation complexe à quatre dimensions.
Il y a d’abord le message. Il nous vient d’ailleurs, on n’a pas à le réinventer, même s’il faut toujours le réinterpréter. Paul, le grand journaliste de l’évangile, écrivait aux Corinthiens : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » (ICo 2,2). Quoi qu’on fasse, il ne faudrait pas croire qu’on puisse faire mieux !
Et puis il y a l’émetteur, à savoir celui ou celle qui annonce la Parole. On sait combien, dans notre société hypercritique, la crédibilité du locuteur est essentielle à l’heureuse réception du message. « Tu causes, tu causes, mais tu ne causes rien », nous disent à juste titre les sceptiques qui nous voient dire sans faire, lorsque nous prêchons comme des perroquets et non pas comme des témoins cohérents avec ce qu’ils racontent. Qu’est-ce qu’un bon évangélisateur, avec ou sans beemer ? Il suffit de relire le chapitre 2 de la première épître aux Thessaloniciens pour le savoir.
A l’autre bout de la proposition de la foi, il y a évidemment le récepteur, celui qui cherche, s’intéresse, écoute et, dans le meilleur des cas, accueille la parole évangélique. Qu’elle lui parvienne par des moyens qui le touchent dans sa culture et sa sensibilité, tant mieux ! Il n’y a pas à se méfier par principe de ceux que notre société met à notre disposition pour communiquer, dans la variété des civilisations actuelles. Avec ou sans la panoplie des astuces modernes issues du monde de la publicité de masse, personne cependant ne pourra éviter à cet auditeur curieux ou séduit le fameux pas difficile de la foi. A un moment ou un autre, c’est dans le cœur de cet humain et dans son insondable mystère que se nouera –ou pas- la rencontre décisive avec le Christ, que personne ne peut maîtriser, même pas les champions de la nouvelle évangélisation par spots, haut-parleurs, vidéos ou internet. Le concile Vatican II nous rappelle opportunément le rôle irremplaçable de la conscience personnelle, « le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre. » (Gaudium et spes no 16).
Les moyens
On comprend alors que, si beaucoup de moyens modernes -la quatrième dimension- peuvent servir opportunément l’évangélisation, tous ne sont pas conformes au message dont il s’agit. Quand il y va de la rencontre avec Dieu et son envoyé Jésus Christ, cette fin ne justifie pas tous les moyens. Ceux-ci doivent consonner avec le respect de la conscience personnelle, avec l’appel à une vraie liberté, avec l’estime pour le cheminement intérieur des personnes, toutes conditions indispensables à une authentique évangélisation en profondeur. Tout ce qui ressortirait du conditionnement collectif infaillible, de la pression psychologique, de la séduction émotive ou de l’envoûtement religieux n’est pas digne de Celui qui n’a cessé d’inviter sans jamais contraindre, au point de réprimander sévèrement les ultra-zélés qui souhaitaient se servir du feu du ciel pour accélérer la conversion (Cf. Lc 9,55).
Le cinquième acteur
Car finalement, c’est le cinquième acteur sur la route de l’évangélisation qui a le dernier mot, le plus important : l’Esprit-Saint. Au-delà de toutes les méthodes, fussent les plus efficaces, et souvent en les contournant par une action intérieure invisible, c’est l’Esprit qui travaille au cœur de tout homme de bonne volonté, c’est lui seul qui parvient à lui ouvrir les portes de la révélation, dans un mystérieux processus d’engendrement –parfois subit, souvent très lent- qui aboutit à l’émerveillement de la foi.
« Heureux ceux qui voient ce que vous voyez », dit Jésus à ses disciples euphoriques sous l’effet d’une évangélisation réussie. Mais il avait ajouté auparavant : « Réjouissez-vous plutôt de ce que vos noms sont inscrits dans les cieux…Et nul ne sait qui est le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler ». (Cf. Lc 10, 21-24). Dont acte !
Claude Ducarroz
6011 signes
Cet article a paru dans le numéro de janvier 2011 de la revue CHOISIR
dimanche 9 janvier 2011
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